L’hôtesse de l’air dont la photo avait horrifié le monde après les attentats de Bruxelles : “J’ai encore un morceau de métal dans mon orbite”
Devenue le visage, ensanglanté, des attentats de l’aéroport de Bruxelles du 22 mars 2016, l’ancienne hôtesse de l’air indienne a témoigné ce mardi 7 mars 2023 devant la cour d’assises.
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Publié le 07-03-2023 à 13h07 - Mis à jour le 07-03-2023 à 19h18
”Je vais expliquer ce que je ressens, ce que j’ai éprouvé et ce que ma famille a éprouvé également.” Hôtesse de l’air de la compagnie aérienne Jet Airways, Nidhi Chaphekar est venue d’Inde ce mardi 7 mars 2023 pour livrer son témoignage devant la cour d’assises de Bruxelles chargée de juger dix hommes pour leur implication dans les attentats de Bruxelles. Cette dame, aujourd’hui âgée de 47 ans, est devenue le visage, ensanglanté, des attentats de l’aéroport. Sa photo a fait le tour du monde : ensanglantée sur un banc, les vêtements déchirés et en état de choc.
”Il faut savoir que j’adore prendre l’avion. Voler était ma passion. J’adorais venir à Bruxelles”, explique l’ancienne cheffe d’équipage qui se trouvait au deuxième étage de l’aéroport lorsqu’une première explosion retentit. “Plein de choses volaient en l’air”, se souvient-elle, les mains encore bandées par des gants. “Des morceaux tombaient d’un peu partout. J’entendais des gens crier. Ils étaient effrayés, agités. Je me suis dit qu’on allait tous se faire piétiner. Mais il était trop tard pour m’échapper. Il y a ensuite eu la seconde explosion, où j’ai eu l’impression de voir une boule de feu m’arriver dessus.”
Sous la violence du souffle de la seconde explosion, Nidhi Chaphekar tombe inconsciente. Avant de retrouver de la force pour s’asseoir sur un banc. “J’ai eu très peur”, dit-elle. “Peur aussi d’avoir perdu mes jambes. Puis j’ai commencé à crier. J’ai continué à appeler à l’aide, et quelqu’un est arrivé.” Et la dame de citer les prénoms de tous les intervenants: policier, ambulancier...
Elle retrouve celui qui lui a sauvé la vie après l'attentat à l'aéroport de ZaventemJe ne sentais plus mes jambes. Il y avait des morceaux de métal dedans.
Après l’attentat-suicide, son idée fixe est de prévenir sa famille qu’elle est vivante. Jusqu’à demander à l’ambulancier qui l’emmène vers un hôpital à Anvers de ne pas la laisser s’endormir. “Je lui ai dit que je ne sentais plus mes jambes. Il y avait des morceaux de métal dedans.” Très vite, sa photo se retrouve partout. “Mon beau-frère a appelé mon mari en lui disant qu’il avait vu une photo de moi, lui précisant que je suis en vie.”
Lorsqu'on a annoncé à mes enfants que j'avais été blessée, ma fille s’est évanouie. Mon fils est resté sans expression, impassible".
Son mari remue ciel et terre pour obtenir de ses nouvelles. Il demande ensuite en urgence un visa pour la rejoindre, ce que lui accordera l’ambassade française. Le reste de la famille prend soin de sa fille, âgée alors de 10 ans, et de son fils de 13 ans et demi. À l’annonce de la nouvelle, “ma fille s’est évanouie, mon fils est resté sans expression, impassible”.
”Mon fils n’a voulu parler à personne, il est resté muet pendant un certain temps”, ajoute l’ancienne hôtesse de l’air, précisant qu’il a dû consulter un psychiatre et doit prendre des somnifères pour s’endormir. Sa fille, elle, criait dans son oreiller en rentrant de l’école.
Admise dans un état critique au service des soins intensifs d’un hôpital carolo, Nidhi Chaphekar est plongée dans un coma artificiel. Ce n’est que quand sa fille lui parle que l’ancienne hôtesse de l’air bouge un doigt. Avant que son état de santé se détériore après avoir contracté une infection. “J’ai eu de la fièvre pendant des jours et des jours. On me recouvrait de draps glacés. Les médecins se sont alors rendus compte que j’avais encore une pièce de métal à l’intérieur de mes os. Ils ont dû me réopérer pour l’enlever.”
Au terme de 23 jours de coma artificiel, Nidhi ouvre enfin les yeux. “Lorsque mon mari est rentré dans ma chambre, il est aussi vite ressorti”, dit-elle. “Il avait vu quelqu’un prostré sur les lits avec des cicatrices, sans cheveux. Il pensait que c’était quelqu’un d’autre. Il est resté paralysé par le choc.” Rassuré par une infirmière, "il a demandé à Dieu de ne pas me laisser voir le choc que cela lui faisait de me voir comme ça (...) et est entré en souriant". Toutefois, la mère de leurs enfants ne le reconnaît pas, pire elle ne réagit pas. “Finalement, j’ai commencé à me rappeler ce qui s’est passé, mais j’ai perdu quatre années de ma mémoire. Encore aujourd’hui, je me trompe dans les dates, je commets des erreurs lorsque je lis des informations. Je suis encore aujourd’hui dans la confusion.”
Ce n’est que 100 jours après l’attentat que j’ai pu rentrer à la maison.
De retour en Inde, elle y est hospitalisée. “Ce n’est que 100 jours après l’attentat que j’ai pu rentrer à la maison. Pendant tout ce temps, mon mari n’a pas arrêté de courir, à s’occuper de moi. Il a porté un fardeau très lourd.”
J'ai encore un morceau de métal dans mon orbite. Je dois faire des checks-up réguliers. Les médecins disent que c’est difficile à retirer. Il y a un risque de blesser le nerf optique et donc de perdre la vue.
”Et vous Madame, comment allez-vous ?”, lui demande la présidente de la cour d’assises. L’ancienne hôtesse de l’air revient sur les séquelles. “Il y a des conséquences psychologiques, sociales, financières et physiques”, répond la quadragénaire en anglais. “J’ai eu beaucoup de brûlures, de cicatrices, de rougeurs. J’ai une jambe plus courte que l’autre” depuis l’attentat. “J’ai un problème au genou gauche, j’ai des douleurs, de la rigidité dans le dos, les épaules. J’ai des problèmes d’oreille, j’ai un sifflement permanent dans mes oreilles, ce qui me donne des maux de tête. Il est possible que ça se transforme en surdité. J’ai encore un morceau de métal dans mon orbite, je dois faire des check-up réguliers. Les médecins disent que c’est difficile de retirer. Il y a un risque de blesser le nerf optique et donc de perdre la vue.”
Avec mes cicatrices, plus personne ne veut m'engager.
La quadragénaire évoque encore la perte financière qui découle de l’attentat-suicide. Parce que pour travailler comme hôtesse de l’air en Inde, “il ne faut pas avoir de marque physique, de cicatrice, ce qui n’est plus mon cas… Aujourd’hui, la société qui m’employait n’existe plus et personne ne veut m’engager. Les gens ont peur étant donné ce que j’ai vécu. Ils ont peur que je ne sois pas à 100 % de mon potentiel. Je ne suis pas responsable de ce qui m’est arrivé, mais les gens s’en fichent.”
Aujourd’hui encore, près de sept ans après les attentats de Bruxelles, Nidhi souffre encore. Elle a d’autres problèmes de santé. “Les problèmes sont là, tous les jours. Et je dois vivre avec. Mais je n’ai plus envie de me faire opérer. Je rends grâce à Dieu d'être ici, mais nous voudrions refermer ce chapitre pour toujours. Mon mari sait ce que je traverse, mais personne d’autre”, conclut la quadragénaire, précisant avoir parlé “du fond du cœur”.
"Dans tout ça, ce sont les enfants qui souffrent le plus"
Nidhi Chaphekar insiste surtout sur les souffrances de sa famille. "Ma fille m'a raconté qu'on lui demandait tous les jours à l'école comment allait sa maman. Comme elle ne savait pas répondre, elle secouait la tête puis allait s'enfermer dans les toilettes pour pleurer. Le soir, elle enfouissait sa tête dans un oreiller pour hurler sa colère." Pour sa petite soeur, l'aîné a dû "devenir un parent à un très jeune âge". Sportif, l'adolescent abandonne le badminton, le cricket et le basket après l'attentat dont sa mère est victime. Il tombe en dépression et prend des somnifères. "Dans tout ça, ce sont les enfants qui souffrent le plus", souligne la mère de famille.
Seul Salah Abdeslam n'a pas assisté aux témoignages ce mardi, souhaitant retourner dans le cellulaire
La cour d'assises juge 10 hommes pour leur implication dans ces attentats. Oussama Atar, qui serait mort en Syrie, fait défaut. Huit autres - Mohamed Abrini, Osama Krayem, Salah Abdeslam, Sofien Ayari, Bilal El Makhoukhi, Hervé Bayingana Muhirwa, Ali El Haddad Asufi et Smail Farisi - sont accusés de participation aux activités d'un groupe terroriste, d'assassinats terroristes sur 32 personnes et de tentatives d'assassinat terroriste sur 695 personnes. Le neuvième, Ibrahim Farisi, ne doit répondre que de participation aux activités d'un groupe terroriste.
Ce mardi, seul Abdeslam a souhaité retourner dans le cellulaire, n'assistant donc pas aux témoignages des victimes. Smail Farisi était, lui, absent.