Haine en ligne et fausses nouvelles: cocktail toxique pour la démocratie locale
L’Union des Villes et Communes de Wallonie sonde les élus locaux. Vu le climat, qui s’engagera encore dans la vie publique demain ?
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Publié le 06-03-2023 à 04h00
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Depuis quelques années, les élus locaux expriment assez largement un mal-être qui va au-delà d’un simple coup de blues. Les charges de plus en plus lourdes du mandat de bourgmestre ou d’échevin y sont pour une part. Et les discours de haine, les insultes ou les menaces aiguisent manifestement le malaise.
Après une audition de quatre bourgmestres au Parlement wallon en mai 2022, l’Union des Villes et communes de Wallonie (UVCW) a aussi lancé il y a un mois une enquête en ligne, à destination des bourgmestres, des échevins et des présidents de CPAS.
"Une manière de se faire une idée de l’état de la démocratie locale, indique Michèle Boverie, secrétaire générale de l’UVCW. L’enquête permet à la fois de libérer la parole et d’objectiver un état d’esprit."
Combien d’élus sont prêts à jeter le gant ? Qu’est-ce qui pèse le plus au quotidien ? Quelle est leur relation avec la tutelle ? Avec les réseaux sociaux ? Ont-ils été victimes de violences de la part de citoyens ? Etc.
Actuellement, quelque 400 élus ont répondu à cette enquête, cogérée par l’institut de sondages Dedicated. Les résultats seront divulgués lors de l’assemblée générale de l’UVCW le 23 mai prochain.
Crise de vocations
"Beaucoup d’élus locaux restent passionnés par leur métier, constate Michèle Boverie. Mais la fonction est de plus en plus difficile à assumer. Et le citoyen devient toujours plus exigent et individualiste. Il y a de quoi redouter une crise des vocations pour le scrutin 2024. Exercer un mandat public à ce niveau, c’est être sur le pont 24 heures sur 24. Mais si vous faites un seul pas de travers, les réseaux sociaux ne vous rateront pas. Ajoutez à cela les fausses nouvelles, la violence et les discours de haine qui ruinent toute possibilité de dialogue…" regrette la secrétaire générale.
Et justement, les discours de haine et les fausses nouvelles, le Conseil de l’Europe s’y est intéressé de près aussi dans un rapport récent, sous l’angle précis de leur impact sur les élus locaux et régionaux.
Paralysant
"Il est de plus en plus inquiétant de voir comment les menaces et les abus en ligne peuvent se transformer en attaques physiques de la part de citoyens en colère ou en désaccord avec les actions de certains élus locaux et régionaux", note le Conseil de l’Europe.
Qui pose le même constat, inquiétant, pour tous ses États membres: "La démocratie locale et régionale est détériorée par la peur, la confusion, l’incertitude et le doute instillés dans l’esprit des citoyens exposés à la désinformation et aux fausses informations. Et l’espace disponible pour un débat et un discours ouvert, raisonnable et respectueux entre les responsables politiques et le public se rétrécit." Les effets peuvent se révéler paralysants sur l’action démocratique, pointent les auteurs du rapport.
Pourquoi les élus locaux seraient-ils plus exposés que d’autres par ce climat toxique ? Parce que la proximité, qui est aussi le bonus de la fonction d’un bourgmestre ou d’un échevin, accroît le potentiel d’intimidation de la part de ceux qui "fabriquent" discours de haine et fake news. Juste à côté d’eux, presque sur le même palier.
Des "pros"
Par les décisions qu’ils prennent, les élus sont amenés à ne pas plaire à tout le monde. Ça fait partie du job. Mais au-delà de l’expression (même virulente) d’une opposition, au-delà de la satire, de la dénonciation de faits avérés, ici "l’intention première est de saper le travail des représentants élus et de les intimider", alerte le Conseil de l’Europe.
Où l’on relève que la stratégie des campagnes ciblées sur les réseaux, faisant croire qu’un large public rejoint une attaque en ligne, a tendance à se "professionnaliser". "Les auteurs peuvent même aller jusqu’à cloner les sites internet d’élus locaux et régionaux ou leurs plateformes de réseaux sociaux pour faire croire qu’il s’agit de sites officiels, puis publier de fausses informations sur leurs activités, leurs votes, leurs discours, le contenu de leurs séances de conseil, leur adresse et numéros de téléphone personnels, ou des photos d’eux, de leurs amis et de leur famille, par exemple."
Le rapport propose une recommandation assez générale sur la prévention et la lutte coordonnée contre les discours de haine et les fausses informations, et préconise des recours juridiques efficaces, un éventuel point de contact ou un numéro d’urgence à mettre en place, un registre des incidents, l’échange de bonnes pratiques entre les collectivités… Et, concluent les auteurs du rapport, la promotion de l’éthique et de la transparence font aussi partie de la prévention.