L’ex-épouse de Michel Fourniret au cœur d’une série Netflix: "L'ancien procureur du roi de Namur en pleurs"
Une mini-série documentaire disponible sur Netflix dresse le portrait de l’ex-femme du tueur en série Michel Fourniret, qui a violé et assassiné au moins 12 jeunes filles. Interview de la réalisatrice.
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Publié le 03-03-2023 à 17h44 - Mis à jour le 03-03-2023 à 18h59
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Avec des images d’archives et des scènes reconstituées qu’on croirait sorties d’un film d’horreur, sur fond de musique angoissante, la mini-série documentaire en cinq épisodes consacrée au rôle et à la personnalité de l’ex-épouse du tueur en série Michel Fourniret, et réalisée pour le géant du streaming américain Netflix par Michelle Fines et Christophe Astruc, a de quoi tenir le spectateur en haleine. Laissant la parole aux témoins de première ligne (l’ex-procureur du roi de Namur, Cédric Visart de Bocarmé, l’ex-procureur de la République Francis Nachbar, les avocats des familles des victimes, les familles elles-mêmes, des policiers belges et français…), ou encore à Monique Olivier elle-même, que l’avocat Maître Richard Delgenes interroge par téléphone, alors que sa cliente est en prison, le documentaire intitulé L’affaire Fourniret : Dans la tête de Monique Olivier, disponible depuis ce jeudi 2 mars 2023 sur la plateforme Netflix, tourne autour d’une seule énigme : Monique Olivier est-elle la ménagère soumise, terrifiée par son mari, qui a toujours minimisé son rôle, ou une manipulatrice perverse, tout aussi coupable que lui ?
En travaillant sur cette histoire, on est tombé sur une lettre de Fourniret adressée à un co-détenu dans laquelle il avoue avoir commis 35 crimes en Europe...
Michelle Fines, vous avez réalisé cette série documentaire avec Christophe Astruc. Plutôt que de revenir en détails sur l’affaire, vous avez préféré vous concentrer sur la personnalité et le rôle de Monique Olivier. Pour quelle raison ?

C’est la productrice Delphine Kluzek qui a eu l’idée de raconter Monique Olivier pour mieux entrer dans son intimité, sa psychologie… C’était une nouvelle façon de voir les choses. Jusqu’à présent, cette affaire n’était vue que via le prisme de Michel Fourniret. Celui qu’on surnommait L’Ogre des Ardennes s’est toujours mis en avant, se présentant comme le maître du crime alors que Monique Olivier est toujours un peu passée sous les radars. C’est pourtant elle qui, après l’arrestation de Fourniret, passe aux aveux et détaille le premier nombre de victimes. Elle explique le rôle de Fourniret et donne ensuite des détails sur sa propre participation. Elle se présente toujours un peu comme une victime, une femme qui avait peur… Elle déclare que quand elle monte dans la voiture, elle était terrorisée. Et plus on creuse dans cette histoire, plus on se rend compte que le rôle de Monique Olivier est peut-être moins simple que ce qu’on imaginait. À travers cette série documentaire, on s’est posé la question de savoir qui est cette femme, pour quelle raison a-t-elle participé aux enlèvements et séquestrations et jusqu’où elle est allée. Ensuite, on a en France très peu de couples criminels. On en a qu’un : c’est le couple Fourniret-Olivier. En travaillant sur cette histoire, on est tombé sur des aveux adressés par Fourniret dans une lettre à un codétenu. Il y avoue avoir commis 35 crimes. Sans donner les noms des victimes, à part les premiers noms connus. Pourquoi a-t-il fait autant de victimes ? Parce qu’il avait une femme avec lui. Ça nous semblait pertinent et intéressant de regarder quel était son rôle. Au-delà de tout cela, Monique Olivier est une mère de trois enfants et c’est ce qui a beaucoup interrogé les mères de victimes. Un avocat nous a dit que les mamans des victimes souhaitaient aller au procès. Non pas pour voir Fourniret, mais pour être face à Monique Olivier et lui demander comment elle, mère de famille, avait pu aider à tuer leurs filles…
Selon nos témoins, Monique Olivier se fait passer pour une idiote, manipule et son rôle est beaucoup plus important que celui qu’on pensait initialement.
Vous avez rencontré de nombreux intervenants (enquêteurs, anciens procureurs du roi et de la République, familles de victimes…). Avez-vous vraiment l’impression d’apporter des éléments nouveaux ?
Oui, complètement. Je pense qu’on apporte un regard nouveau et une réflexion nouvelle. On part du point de départ de savoir comment fonctionne ce couple criminel et au sein de celui-ci quel est le rôle de cette femme. Et quand on met son rôle dans ces crimes et ces viols, même si on n’a pas tout raconté dans la série documentaire, parce que tout n’est pas racontable, on se dit que sa participation est importante. Les éléments nouveaux, c’est l’importance de Monique Olivier dans l’ensemble du parcours du couple criminel et comment elle a pu participer et quel est son côté manipulateur. Monique Olivier a tendance à passer sous les radars, à se faire oublier et plein de gens dans le documentaire disent qu’elle se fait passer pour une idiote, qu’elle manipule et que son rôle est beaucoup plus important que celui qu’on pensait initialement. Nous, on ne juge pas, on donne des éléments. Mais les éléments qu’on donne permettent de la voir différemment. On a redécouvert, par exemple, à l’occasion de cette série documentaire, que Monique Olivier avait passé des tests de QI auprès de psychologues belges et français. Ces tests ont prouvé que c’est une personne très intelligente qui peut se faire passer pour quelqu’un de bête.
Les personnes qui l’ont interrogée, qui ont assisté aux interrogatoires ou aux dernières fouilles (dans le cadre des affaires jugées en novembre prochain) pensent qu’elle n’a pas tout dit.
Avez-vous l’impression qu’elle sait encore quelque chose et qu’elle ne dit pas où ont été enterrées certaines victimes ?
Il est très difficile de savoir si elle sait tout. Monique Olivier a participé à beaucoup de choses. Les personnes qui l’ont interrogée, qui ont assisté aux interrogatoires ou aux dernières fouilles (dans le cadre des affaires jugées en novembre prochain) pensent qu’elle n’a pas tout dit. À chaque fois qu’on lui donne un élément, elle donne un élément supplémentaire. Au départ, elle n’y était pour rien pour Estelle Mouzin (disparue en 2003) avant d’avouer qu’elle avait servi d’alibi. Puis elle a expliqué avoir gardé la petite et qu’elle était présente lors de l’ensevelissement du corps. Doit-on la croire jusqu’au bout quand elle ne sait pas où se trouve le corps d’Estelle Mouzin ? La question reste ouverte. D’autant que les enquêteurs ont de grandes interrogations sur le fait de savoir si elle ne dissimule pas encore. En fait, c’est très difficile de savoir qui est Monique Olivier. Autant Fourniret était quelqu’un qui, dans sa folie, disait n’importe quoi, il y avait une logique. S’il avait par exemple des enquêteurs devant lui qui connaissaient très bien les affaires, il allait les aider à retrouver le corps. Les enquêteurs sont ainsi persuadés que si Fourniret avait encore eu toute sa tête, il leur aurait donné l’endroit exact. Mais ce n’est pas possible d’avoir la même rationalité avec Monique Olivier. Elle a une drôle de personnalité.
Aujourd'hui, l’affaire Dutroux et le dossier Fourniret ont fait évoluer le système judiciaire belge et l’ont complètement révolutionné.
Avez-vous le sentiment que la justice belge a tout fait pour retrouver Elizabeth Brichet en vie ?
J’en ai discuté avec les familles des victimes, les avocats des différentes parties et avec les procureurs de l’époque. À l’époque, il n’y avait pas de technique pour détecter, traquer les tueurs en série. En Belgique, il y a eu la révolution Dutroux, disons-le comme cela. En France, enquêteurs et procureur disent qu’ils n’auraient jamais pu avoir de tels résultats que ceux obtenus par les Belges dans le cadre de l’affaire Fourniret. À l’époque, il n’y avait pas de culture du tueur en série. On pensait même qu’il n’y en avait pas. Il n’y avait aucune coordination. Aujourd’hui, l’affaire Dutroux et le dossier Fourniret ont fait évoluer le système judiciaire belge et l’ont complètement révolutionné. Les Belges ont réalisé des progrès dans la traque des actes des tueurs en série, alors que la France a créé un pôle spécialisé, avec des juges spécialisés qui ne travaillent que sur les cold-cases et les tueurs en série, leur permettant d’avoir une certaine connaissance en travaillant avec des psychologues. Ils savent désormais comment fonctionnent les tueurs en série.
On ne peut pas dire que la Belgique n’a rien fait pour traquer le tueur d’Elizabeth Brichet. Comme souvent, dans pareille situation, les enquêteurs sont partis sur de mauvaises pistes.
En tout cas, on ne peut pas dire que la Belgique n’a rien fait pour traquer le tueur d’Elizabeth Brichet. Comme souvent, les enquêteurs sont partis sur de mauvaises pistes en regardant d’abord le cercle familial. Mais ils se sont trompés. Auraient-ils pu faire plus ? Je n’en sais rien, mais ils auraient pu faire mieux s’ils avaient été organisés. Du moins, s’ils avaient été organisés avec les techniques qu’ils ont maintenant. Quand on voit l’ex-procureur du roi de Namur, Cédric Visart de Bocarmé, côté belge, et l’ex-procureur de la République Francis Nachbar, côté français, ce sont des gens de justice. En général, les procureurs ont un recul, ils sont assez froids par rapport à la chose humaine et, ici, on se rend compte à quel point l’un comme l’autre ont été impactés par cette affaire. Lorsque Cédric Visart de Bocarmé parle de la découverte du corps d’Elizabeth Brichet, il s’excuse et pleure. Francis Nachbar nous a, lui, expliqué que cette histoire a bouleversé sa vie, qu’il n’en a pas dormi, qu’il en a fait des cauchemars. Son épouse à qui il racontait des choses en est tombée malade. L’une des choses qui nous a étonnés, c’est que ces personnes, qui ont normalement du recul, ont été bouleversées par cette affaire. Et Fourniret disait d’ailleurs très justement : “Cette affaire, Monsieur le procureur, vous n’en sortirez pas indemne.”
”Se disant battue par son premier mari, elle a l’impression qu’elle n’a jamais été aimée, estimée”
Le documentaire intitulé L’affaire Fourniret : Dans la tête de Monique Olivier, est inédit. “On a vraiment essayé d’entrer dans la tête de Monique Olivier”, nous explique la journaliste et réalisatrice française Michelle Fines. “D’abord avec son avocat qui a réussi à l’approcher, à la comprendre. On lui donne largement la parole. Mais on a aussi beaucoup donné la parole à tous les psychologues belges et français qui ont approché Monique Olivier pour essayer de comprendre. On a cherché dans l’enfance du couple meurtrier, mais on n’a pas trouvé grand-chose.”
Parmi les quelques éléments, Monique Olivier aurait été battue par son premier mari. Ce qu’il a toujours contesté. “Au fond d’elle, elle a l’impression qu’elle n’a jamais été aimée, estimée… Elle a l’impression d’être quelqu’un qui ne compte pour personne. Le seul moment où elle compte pour quelqu’un et où elle a l’impression qu’elle est utile, c’est quand elle sert d’appât pour enlever des enfants et 20 ans plus tard quand elle aide la justice à retrouver le corps de la petite Mouzin. Là, elle est le centre de quelque chose. On s’intéresse à elle, on est autour d’elle. Là, elle est dans son élément.”
"C’est madame Olivier qui lui a donné son permis de tuer"
Alors que Michel Fourniret est décédé à 79 ans, en 2021, emportant ses secrets dans sa tombe, Netflix a donc décidé de s’intéresser au parcours de son ex-femme, Monique Olivier. ” Une femme normale” en apparence, dont “on n’a, au départ, aucune raison de la soupçonner de quoi que ce soit”, comme l’expliquera dans la série documentaire l’ancien procureur du roi de Namur. Mais très vite, les enquêteurs se rendent compte qu’elle dépendait psychologiquement et matériellement de L’Ogre des Ardennes. Ce n’est que le 22 juin 2004 que Monique Olivier, entendue une énième fois, craque lors d’une banale audition. "Elle se libère enfin.” En moins de 30 minutes, elle avoue l’impensable. Six meurtres.
À l’apparence d’une sorcière avec ses cheveux noirs à l’époque et son visage apathique, Monique Olivier parle des victimes comme des objets. “On n’en meurt pas d’être violée”, dit-elle. Selon les experts psychologues et psychiatres, “elle ne ressent pas ce que l’autre peut ressentir, elle n’a aucune empathie pour les victimes". D’ailleurs, deux mois après leur rencontre, Fourniret tue ses victimes. “C’est Madame Olivier qui lui a donné son permis de tuer”, dit même un psy.
Toutes ces affaires laissent des traces psychologiques dans la tête des enquêteurs et magistrats. “L’affaire de l’enlèvement de la petite Brichet a occupé quinze années de ma carrière", explique, ému, l’ancien procureur du roi de Namur. "C’est le genre d’affaire que nous ne voulions pas abandonner, que l’on vivait comme un échec quelque part. […] Vous ne pouvez pas abandonner une affaire comme celle-là. […] Et vous vous dites toujours : A-t-on vraiment fait ce qu’il fallait, a-t-on vraiment cherché là où il le fallait ?”