Dossier Batopin: Pierre-Yves Dermagne tape du poing sur la table
Entre le fédéral et les banques, les négociations "Batopin" sur l’accès au cash s’enlisent. Le ministre de l’Économie Pierre-Yves Dermagne en fait le constat. Et la moutarde lui monte au nez. Sans un sursaut du secteur bancaire, il passera par une loi, avec contraintes et sanctions.
Publié le 01-03-2023 à 04h00 - Mis à jour le 01-03-2023 à 07h23
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Pierre-Yves Dermagne (PS), les négociations du fédéral avec le secteur bancaire sur le plan de déploiement des distributeurs de billets en Belgique est en cours. Elles doivent déboucher sur un accord d’ici un mois. Ça ira ?
J’espère toujours pouvoir conclure un accord pour la fin mars. Il y a trop longtemps que les négociations ont débuté. Mais pour être très clair, je ne suis pas satisfait de la manière dont les choses se passent dans le chef des banques. Elles demandent sans cesse des reports de réunions. Et le contenu de certaines de leurs propositions ne me satisfait pas non plus. Dans le même temps, on continue à réduire le nombre de distributeurs de billets sur le terrain.
On utilise aussi de moins en moins d’argent liquide. C’est un fait.
C’est une tendance lourde selon les banques, oui. Mais il y a de plus en plus de plaintes de citoyens, de mandataires locaux qui relèvent des difficultés d’accès au cash sur le terrain. Des conseils communaux votent des motions et des organisations comme Test-Achats et Financité font aussi le même constat. Les banques doivent comprendre qu’il y a une attente de la population, des communes, des commerçants, des indépendants pour bénéficier de services bancaires de proximité. Ça ne va pas. Ça ne va plus. Donc, je vais taper du poing sur la table.
C’est-à-dire ?
Si les négociations ne prennent pas une tournure plus positive dans les prochaines heures, les prochains jours, je viendrai avec un projet de loi pour conserver suffisamment de distributeurs de billets. Pas juste un service de retrait mais une possibilité de réaliser des dépôts bancaires.
Elles ont commencé quand, ces négociations ?
Il y a eu une première phase l’année dernière. Je suis revenu au gouvernement avec un constat d’échec. Et je proposais déjà de passer par une loi. On m’a renvoyé négocier, en accord avec Vincent Van Peteghem (Finances) et Eva De Bleeker (Protection des consommateurs) d’abord, puis Alexia Bertrand. On est revenu dans une dernière phase de la négociation au début de cette année, avec des propositions et des contre-propositions. On a aussi voulu compter sur la BNB, pour l’expertise et la validation de certains points.
Qu’est-ce qui ne va pas dans les propositions des banques ?
Elles sont insuffisantes. On conteste leurs projections 2025 de l’utilisation du cash. Elles ne collent pas avec la réalité.
C’est le point de blocage ?
Oui. Et aussi l’appréciation du taux de couverture sur le territoire et de l’accessibilité aux distributeurs de billets. Des distances à vol d’oiseau… Bon, on a pu faire bouger les lignes de ce côté, mais c’est encore insuffisant. Il faut plus de distributeurs, tant dans les zones rurales que dans les villes.
On ne touchera pas, j’imagine, aux distributeurs automatiques "point Cash Bancontact" qui ont déjà été installés (27% du réseau Batopin, soit environ 600 machines) ?
Certainement pas. L’idée n’est pas de retirer encore des distributeurs, mais d’en ajouter pour une meilleure couverture en ville et à la campagne. Mais il y a des problèmes plus spécifiques, comme ce distributeur installé dans un centre commercial à Ninove. Il est forcément inaccessible après la fermeture du complexe. Or, l’accès au cash, ça doit être 7 jours sur 7 et 24 h/24. D’autant qu’on fait face à un secteur qui se porte bien: 6 milliards de bénéfices, 53% de marge bénéficiaire, 8% de rentabilité pour les fonds propres pour les actionnaires… Tout va bien pour les banques, mais elles veulent encore augmenter leurs marges. On parle d’un service à la population (l’accès à l’argent liquide) qui doit être garanti à la population. L’année dernière, on a réussi à mettre en place un service bancaire de base (même si des entreprises sont encore exclues des banques, et même si des missions diplomatiques et des postes consulaires ont perdu leur compte) et à figer les coûts. On peut donc encore arriver à un accord dans ce dossier-ci. Mais les banques doivent jouer le jeu. C’est une obligation, vu leur santé financière.
Pourquoi envoyer ce message de fermeté maintenant, au lieu d’attendre la fin du mois de mars ?
Je l’ai dit: il y a sans arrêt des demandes de reports et de réduction du nombre de distributeurs. Or, il faut en ajouter. Combien ? C’est difficile d’établir un nombre précis. Mais il en faudra davantage.
Qu’est-ce qui va changer dans l’immédiat ?
Je vais piloter moi-même les négociations jusqu’à la fin du mois de mars. Jusqu’à présent, c’était plutôt l’affaire des techniciens. Et je veux un sursaut de la part du secteur bancaire.
Sinon quoi ?
Sinon, il y aura donc une loi, avec des obligations, des sanctions. Financières, les sanctions. C’est, me semble-t-il, la bonne voie avec des banques. L’État peut décider d’imposer des choses. Mais je ne suis pas dans une logique de rupture. Je veux juste rappeler que le secteur a été sauvé par les pouvoirs publics, par le contribuable. On a garanti les dépôts bancaires jusqu’à 100 000 €. Il y a des contreparties: un service suffisant et correct à la population. On les a sauvées pour ça. Pour un service. Elle doivent rendre la pareille.
Si on passe par une loi, il va falloir laisser se dérouler un parcours législatif qui peut être long. Pendant ce temps, des agences ferment, des distributeurs sont supprimés.
Si tous les partis me suivent, ça peut aller vite. Or, j’entends des protestations partout: en Flandre, à Bruxelles, en Wallonie. J’ai entendu des parlementaires de la majorité et de l’opposition dire que ça n’allait pas (NDLR: et avancer aussi leurs propositions de loi, lire nos éditions du 21 février 2023). Je rappelle que l’Autorité belge de la concurrence a aussi été saisie.
Il y a déjà un bon moment que la procédure est en route, non ?
Oui, ça prend du temps. Mais j’ai toute confiance. J’ajoute qu’il y a encore un volet bancaire avec les offres couplées "emprunt hypothécaire et produits d’assurances" pour bénéficier de certains avantages. Les banques en jouent pour rendre le client captif. Avec Test Achats, avec l’Autorité belge de la concurrence et la FSMA (NDLR: le gendarme du secteur financier), on a voulu travailler en faveur de la mobilité pour le client. Il ne doit pas se retrouver coincé par une offre couplée qui l’empêcherait de quitter une banque et d’aller chercher des produits d’assurances ailleurs. Les banques font pression pour garder leurs clients. Cette mobilité serait valable aussi pour les contrats existants.
Il y a un lien entre les deux dossiers ? Les distributeurs de billets et les offres couplées ?
Non. Mais ils arrivent en même temps.
EDITO | Le ministre, la banque et le... client