Prolongation du nucléaire: pour David Clarinval, "on aura besoin de toutes les énergies disponibles"
Un "fiasco énergétique": tel est le titre d’un livre consacré en 2014 à la politique énergétique de la Belgique par l’actuel vice-Premier des libéraux francophones, en collaboration avec Corentin de Salle, l’actuel directeur scientifique du Centre Jean Gol.
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Publié le 06-02-2023 à 06h22 - Mis à jour le 06-02-2023 à 07h40
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Or, près de dix ans plus tard, force est de constater que la situation actuelle donne en partie raison au discours tenu dans cet ouvrage par David Clarinval. Et alors que l’objectif affiché par la Vivaldi le 1er octobre 2020 était clairement de confirmer la sortie du nucléaire d’ici 2025, ce même gouvernement envisage aujourd’hui de prolonger non plus deux mais cinq réacteurs au-delà de cette date butoir. Interview.
David Clarinval, cette volonté est-elle la conséquence d’une erreur stratégique en matière de politique énergétique?
Il faut se remettre dans le contexte de 2003, qui prévoyait de sortir totalement du nucléaire. Le calendrier fixé (NDLR : d’ici 2025, donc) a toujours été jugé par le MR – en tout cas en ce qui me concerne – comme impraticable, trop rapide et donc impossible à mettre en œuvre. C’est un peu comme demander à l’État belge et à son économie de courir un marathon tout en lui coupant une jambe, puisque le nucléaire, aujourd’hui encore, c’est presque 50 % de la capacité de production. Ce n’était pas réaliste.
Mais c’est ce qui a été mis en œuvre…
Lorsque l’on a négocié l’accord de gouvernement Vivaldi (NDLR : il était le négociateur du MR sur le volet Énergie), tous les partis autour de la table étaient pour la fin du nucléaire. On a tout de même obtenu que le plan B (NDLR : qui prévoyait la prolongation de deux réacteurs) soit maintenu au cas où mais, politiquement, il y avait très peu de soutien pour ceci. Y compris au sein du MR.
Cela signifie que, même au sein de votre parti, votre opinion n’était pas majoritaire?
Non. D’ailleurs, en 2014, Corentin et moi avons écrit ce livre à titre personnel, il s’agissait de notre opinion. Et si nous n’étions pas les seuls à penser cela, nous n’étions pas pour autant majoritaires.
L’équilibre du tabouret
Qu’est-ce qui a changé ?
À l’époque, nous avions une stratégie plutôt “écolo compatible”. Mais il y a eu un débat en interne et on a tranché pour une vision plus pragmatique, plus progressiste et qui ne prône pas la décroissance. Pour les Écolos, l’environnement est au-dessus des deux autres piliers que sont l’économie et le social. Mais pour qu’un tabouret soit stable, il faut un équilibre entre ses trois pieds. Parce que, et c’est ça qu’on démontre dans notre livre, vouloir utiliser la patte du tabouret en faisant de l’excès idéologique vert engendre un impact sur le social : ce sont les plus pauvres qui vont payer plus cher ; ce sont aussi des pertes d’emplois dans certains secteurs de notre économie. Nous ne sommes pas contre le développement durable. Mais on veut un mix équilibré.
Pourquoi?
Toutes les énergies ont leurs avantages, mais aussi leurs défauts. Proximité, abondance, coût, critères géopolitiques, propreté… Il nous faut donc un mix énergétique.
Quelle solution proposez-vous?
Une transition vers une énergie décarbonée sur base du nucléaire et des énergies vertes. Nous sommes passés peu à peu d’un mix énergétique nucléaire-gaz vers un mix nucléaire-renouvelable. Cela passe donc par la prolongation de 5 réacteurs nucléaires, de sorte que les SMR (NDLR : nouvelle technologie nucléaire via des petits réacteurs modulaires) puissent prendre le relais dans 10 ans. Mais cela nécessite aussi de continuer d’investir dans le renouvelable, et notamment l’offshore. Et il faut une phase de gaz pour faire la transition.
Il faut abroger la loi de sortie de 2003?
Ce n’est pas dans l’accord de gouvernement ; cela ne se fera sans doute pas sous cette législature. Mais si on veut développer les SMR en Belgique, il faudra le faire.
Dans votre livre, vous dénoncez le fait que les énergies renouvelables sont intermittentes…
Je suis convaincu que la solution passera par une transformation du renouvelable actuel en hydrogène vert. La pierre philosophale, c’est la capacité de stocker l’énergie. L’hydrogène vert est donc la solution du futur, qui permettra de rentabiliser les énergies vertes, lesquelles sont par définition intermittentes.
C’est bien de produire de l’énergie grâce à l’éolien pendant la journée. Mais si vous n’avez pas de vent au moment du pic de consommation, par exemple vers 22 heures, c’est problématique. Les capacités de production d’énergies renouvelables intermittentes doivent donc être doublées pour assurer la sécurité d’approvisionnement.
Aujourd’hui il existe des usines qui transforment les énergies vertes et hydrogène. On peut évidemment produire de l’hydrogène avec des réacteurs nucléaires. Il faut en fait pouvoir envisager un changement structurel : on doit envisager d’utiliser les énergies vertes intermittentes via autre chose que le réseau électrique, comme le parc automobile.
Véhicules électriques et pompes à chaleur
Comment voyez-vous l’avenir?
Il faut tenir compte du fait que la consommation va augmenter, contrairement à ce que pensent les Écolos et le PTB. Si on électrifie le parc des voitures de société, c’est une décision qui concerne 1 million de véhicules ! Ça va faire nécessairement augmenter la consommation. On veut par exemple aussi supprimer dans les plans climat régionaux les chaudières à mazout. Moi j’habite dans un village où nous n’avons pas de gaz de ville, donc la moitié des habitants se chauffent au bois ou au mazout.
Et si on décide de supprimer le mazout, alors certains vont passer au gaz, peut-être, mais beaucoup vont passer à l’électricité, via des pompes à chaleur.
Et donc, si on transforme la chaleur en électricité, on va faire exploser notre consommation.
Qu’est-ce que cela signifie?
Qu’on aura besoin de toutes les énergies disponibles. Je le répète : il nous faut une vision pragmatique. On peut essayer de faire entrer beaucoup d’idéologie dans le dossier électrique, mais je pense que l’énergie devrait être gérée par des ingénieurs et pas par des politiciens. Et c’est un politicien qui vous le dit ! Parce que, malheureusement, on veut faire entrer beaucoup trop d’idéologie politique dans un dossier qui aurait plus besoin de science et de technique.
Ce discours, cela fait donc près de dix ans que vous le tenez. Pourquoi n’avez-vous pas été plus écouté à l’époque?
En réalité, avec Corentin de Salle, nous avons écrit ce que d’autres n’ont pas osé dire. Mais on m’a taxé de climatosceptique pendant dix ans parce que, justement, j’avais osé écrire ça.
Et aujourd’hui, si vous deviez réécrire ce livre?
Je n’en changerais pas un mot !
Il l’a dit aussi…

Facture d’énergie
Sur le projet qui consiste à supprimer la TVA et la remplacer par des accises : “On a obtenu que ce switch ne s’applique pas aux entreprises. Pas pour leur faire un cadeau, mais simplement parce qu’aujourd’hui les entreprises ne payent pas la TVA. Et donc on n’allait pas créer une taxe qui n’existe pas sur les entreprises. Il s’agit donc d’un statu quo pour celles-ci. Et les partenaires l’ont accepté. On voulait par ailleurs que ce switch se fasse à un moment où l’on retrouverait des prix équivalents à ce que nous avons connu en septembre 2021, avant la guerre en Ukraine. Les prix ont baissé récemment, mais on n’est pas encore dans ce cas de figure. Le 1er avril ? Cela nous semble dès lors un peu prématuré…”
Pensions
Sur le recadrage de notre pays par la Commission européenne concernant le dossier pensions : “Alexander De Croo a déposé une note fin décembre que le PS a balayée d’un revers de la main, mais dans laquelle il y avait quand même des choses importantes et intéressantes. On ne peut pas reporter aux générations futures indéfiniment un poids de plus en plus grand. Il faut savoir que ce gouvernement a pris des mesures extraordinaires pour les indépendants par exemple, ou encore sur l’augmentation de la pension minimum pour une carrière complète. C’est quand même pas mal, il faut le dire, mais ça coûte cher. C’est un peu le revers de la médaille. L’effort devra donc être calibré pour qu’on puisse avoir un accord de la Commission et pour que l’on puisse débloquer la première tranche du plan de relance.”
Fiscalité
Sur le projet de réforme fiscale en cours de préparation au sein de la Vivaldi : “Pour le MR, c’est clair, en Belgique, on paie trop vite trop d’impôts quand on travaille. On paye plus d’impôts en moyenne que dans les autres pays. Il faut donc diminuer la charge d’impôt qui pèse sur les épaules des travailleurs. Or, dans le projet de réforme, on ne diminue pas l’impôt, on le déplace. C’est un problème. Et ce sont principalement les PME et les indépendants qui vont en pâtir. Ce n’est pas acceptable. Il y a moyen de financer la réforme fiscale par la remise au travail des chômeurs. En fait, aujourd’hui, ce qui pèse sur les épaules du budget de l’État, c’est le chômage, il y a beaucoup trop de personnes qui chôment et qui pourraient travailler, mais qui ne le font pas. Pourquoi ? Parce que, notamment, ils ne sont pas suffisamment incités à le faire. Une bonne partie de la réforme fiscale doit être financée par des mesures de réforme sur le marché du travail.”
Présidence du parti
Sur un éventuel report de 2023 à 2024 des élections internes au MR pour la présidence du parti : “Mon avis personnel est que je ne pense pas que ce soit une bonne chose qu’on vive une campagne interne à quelques mois d’une campagne multiple comme celle de 2024. Ce serait donc bien que l’on puisse postposer les élections internes après les élections provinciales et communales pour que les membres du MR votent en connaissance de cause. Et si l’entraîneur a de bons résultats, je ne doute pas un instant qu’il sera reconduit. Si par contre les résultats sont plus mitigés, ça donnera l’occasion aux membres d’en débattre en interne.”