Les césariennes sont-elles devenues une pratique de routine ?
Les derniers chiffres sur les césariennes montrent qu’elles pèsent toujours un peu plus dans les naissances belges.
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Publié le 03-02-2023 à 06h00
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La césarienne, une pratique de routine ? Le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, a récemment été interrogé par une députée sur l’évolution des césariennes en Belgique. Dans sa réponse, le ministre se base sur des chiffres du "Résumé hospitalier minimum", entre 2016 et 2020, et remarque "une légère augmentation de la proportion de naissances par césarienne".
2020… et après ? En épluchant les rapports du Cepip (centre d’épidémiologie périnatale) et de son pendant flamand SPE, on obtient un taux d’accouchements par césarienne en Belgique qui est passé de 19,6% en 2008 à 21,8% en 2021 (+11,2%) – pour environ 120 000 accouchements par an.
Plus d’un accouchement sur 5 se fait donc par césarienne dans notre pays. Une pratique qui ne diminue pas et continue de grappiller des parts.
Variations
Néanmoins, les évolutions diffèrent entre régions. En Flandre, la part de césariennes a augmenté de 13,3% entre 2008 et 2021, pour atteindre 22,1%. Une courbe flamande qui n’a cessé de croître sur la dernière décennie. En Wallonie, la proportion de césariennes est passée de 20,5% à 22,4% en 13 ans. La courbe wallonne a esquissé une hausse jusqu’en 2014, s’est stabilisée autour des 21 % jusqu’en 2020 pour réaugmenter en 2021, à un niveau jamais atteint.
À Bruxelles en revanche, les taux sont plus bas et la proportion de césariennes n’a augmenté que de 6,3% entre 2008 et 2021. La courbe est relativement stable de 2011 à 2016, avant de connaître une tendance baissière jusqu’en 2020, pour repartir à la hausse en 2021 (20,1%).
Les différences entre maternités sont elles plus flagrantes et tendent même à se creuser ces dernières années dans le sud et la capitale. En Wallonie, les taux varient entre 14,2% et 35,3% selon la maternité, à Bruxelles entre 14,9% et 28,5% et en Flandre entre 15,6% et 31,5%.
Si les données ne sont pas encore disponibles pour 2022, "la tendance sera la même", affirme Charlotte Leroy, collaboratrice scientifique au Cepip. Selon un rapide coup de sonde, on dénombrait 24% de césariennes aux cliniques St-Luc (Bruxelles) en 2022, 21% à Sainte-Élisabeth et 24% à Dinant (CHU Namur), 20% au Chirec Braine-l’Alleud…
De convenance
Alors que l’OMS recommandait en 1985 de ne pas dépasser un taux de 10 à 15% de césariennes, pourquoi le taux reste-t-il soutenu chez nous ?
Charlotte Leroy pointe l’âge de la mère de plus en plus élevé à la naissance, "avec plus de risque de diabète ou d’hypertension". Ce qui augmente le risque de césarienne.
En 2016, une étude du KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé) évoquait une "pratique qui se banalise" et "des césariennes réalisées de plus en plus souvent pour des raisons non médicales, pour répondre à des motifs de convenance (raisons personnelles des parents, NDLR) ou d’organisation (des obstétriciens, NDLR)".
Charlotte Leroy (Cepip) acquiesce: "On sait via le terrain que ça se fait. Dans les petites maternités, sans service de garde, certains se disent qu’il vaut mieux parfois, et pour la santé de la mère et du bébé, planifier une césarienne le jour, quand tout le monde est là…"
Si la césarienne "en raison d’un problème médical chez la mère ou l’enfant permet d’éviter des conséquences parfois graves, les bénéfices contrebalancent-ils encore les risques quand elle est réalisée pour raison non médicale ?", se demandait le KCE.
Car la césarienne n’est pas sans risque: détresse respiratoire chez le nouveau-né, complications lors des grossesses suivantes pour la mère (anomalies du placenta, déchirure utérine) qui conduiront souvent à une autre césarienne. En 2015, l’OMS a reformulé son avis et préconisé des césariennes que si elles sont vraiment nécessaires.
Élève moyen
Le dernier rapport Euro-Peristat, sorti fin 2022, indique que sur 28 pays européens, le taux médian de césarienne était de 26% en 2019 (25,2% en 2010). Avec des taux allant de 16,4% en Norvège à 53,1% à Chypre. La Belgique se classe 10e (9e en 2015) et est un élève moyen derrière la France et les Pays-Bas, mais devant l’Allemagne et le Luxembourg.
Selon Peristat, les variations entre pays reflètent "probablement" des différences dans le profil de risque de la population obstétricale. En outre, "les différences de culture et de politique de santé jouent un rôle important". Les pays n’agissent pas de la même manière face à un accouchement avec antécédents de césarienne ou par le siège.
À noter que les catégories qui pèsent le plus dans le taux de césarienne en Belgique sont les femmes qui ont… des antécédents de césarienne ou un 1er bébé avec travail induit.
Si le taux de césarienne "devrait continuer" à augmenter dans le monde, Peristat ne juge pas impossible une stabilisation voire une baisse en Europe, des diminutions ayant été constatées dans certains pays (mais surtout là où les taux étaient déjà élevés).

« La césarienne n’est pas une chirurgie anodine »
Si le taux de césarienne est encore "trop haut", on fait des progrès, selon Murielle Conradt, sage-femme.
"Si le taux de césarienne est encore beaucoup trop haut en Belgique, on fait des progrès. Avant, on césarisait d’office un fœtus en siège, plus maintenant. On tente aussi plus la voie basse sur des antécédents de césarienne", indique Murielle Conradt, sage-femme indépendante et vice-présidente de l’Union professionnelle des sages-femmes. Ainsi, parmi les mères wallonnes avec antécédents de césarienne, l’accouchement par voie basse a augmenté de 24,6% à 29,7% entre 2014 et 2021 (Cepip).
Comment expliquer que le taux de césarienne ne baisse pas alors ? "Il faut le temps que les pratiques s’installent." Néanmoins, selon la sage-femme, "il y a de plus en plus de mères avec obésité, hypertension, etc. On les induit (provoquer l’accouchement) davantage et cela implique un risque de césarienne. L’induction est plus intense, les bébés se mettent parfois dans des positions différentes, etc."
Trois femmes sur 10 sont induites. L’induction a d’ailleurs augmenté à Bruxelles et en Flandre ces 10 dernières années, mais diminue légèrement en Wallonie (Cepip, SPE).
Murielle Conradt ajoute: "cela dépend aussi beaucoup de la pratique des gynécologues. Il y a l’aspect médico-légal. Certains ont peur des procès face à des accouchements à risque. La césarienne est aussi plus facilement planifiable. Quand vous avez 25 patientes sur le mois, pouvoir en planifier 2 ou 3… Une césarienne rapporte plus, avec une présence moins longue. En 2 h, c’est plié. Ça peut jouer. Comme le manque de personnel. Une voie basse pour un bébé en siège nécessite un pédiatre, 2 sages-femmes, une assistante, etc. Et si on n’a pas tout ça…"
La demande des patientes pour une césarienne est en revanche exceptionnelle, soutient Murielle Conradt. "C’est notre rôle de leur exposer les risques et de leur démontrer que ce n’est pas un bon choix. Elles viennent souvent avec une peur qui n’est pas rationnelle. A u Brésil – où l’on a des taux de césariennes phénoménaux -, il y a aussi le culte du corps (ça ne le fait pas d’avoir un périnée amoché). Mais après c’est le choix de la mère, c’est son corps. C’est dommage mais ce n’est pas mon accouchement."
Parfois, la situation est plus compliquée, face aux victimes de violences sexuelles par exemple: "Pour moi, là ce n’est plus une césarienne de convenance ! C’est clairement médical."
Pour Murielle Conradt, la césarienne s’est banalisée. "On la considère comme une chirurgie de routine, alors qu’elle n’est pas anodine. Il y a un risque thromboembolique, des douleurs,… Mais je suis contente que l’on puisse pratiquer des césariennes dans de bonnes conditions quand il le faut !"
Et si les pays du Nord s’en sortent mieux, Murielle Conradt l’explique par la meilleure prise en charge des sages-femmes. "Elles ont une autre autonomie pendant l’accouchement. Ici, on doit parfois s’occuper de 5 mamans en même temps ! Par ailleurs, ces pays ont une meilleure alimentation, une meilleure qualité de vie,… et donc moins de facteurs de risque."