Insultes et menaces de mort sur les élus locaux: sortir de la solitude
Les élus locaux exercent-ils désormais une fonction à risques ? Ils sont plus nombreux qu’on l’imagine à avoir reçu des menaces de mort. Ils témoignent. Le ministre wallon Christophe Collignon en a fait les frais lui aussi. Il veut aller de l’avant.
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Publié le 01-02-2023 à 20h10 - Mis à jour le 02-02-2023 à 10h18
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Ainsi donc, pour avoir donné leur feu vert à la fusion de deux communes, des bourgmestres et un ministre sont menacés de mort de manière explicite. Le ministre, c’est Christophe Collignon, en charge des Pouvoirs locaux à la Région wallonne (nos éditions du 30 janvier). " Au-delà de mon cas personnel, les mandataires locaux constatent de plus en plus d’insultes, de calomnies et parfois de menaces à leur encontre. Beaucoup de collègues découragés ne se représenteront plus. "
À la tribune du Parlement wallon, il redit sa volonté de voir le Code pénal évoluer. "Je prendrai l’initiative de contacter le ministre de la Justice et les différents parquets pour sensibiliser à cette problématique. " Il promet aussi le soutien de son administration pour expliquer aux mandataires locaux l’attitude à adopter en cas de menace.
Sortir de la solitude, du sentiment d’impunité. "En protégeant le mandataire, c’est aussi la démocratie qu’on protège", estime le ministre.
La chasse
Des protections, ils n’en demandent pas tous. Ils ne déposent pas forcément plainte non plus.
Quand elle a reçu une menace de mort lors de la campagne communale de 2006, l’actuelle bourgmestre de Libin Anne Laffut (MR) a juste montré la lettre manuscrite aux autorités judiciaires. "Pour laisser une trace. Je n’ai pas déposé plainte. Mais ça m’a touchée ", raconte-t-elle.
Elle contenait quoi, cette lettre ? "On m’écrivait que nous étions dans une commune forestière. Et qu’un accident de chasse était vite arrivé". Anne Laffut y était souvent, dans la forêt, pour faire des photos.
Il n’y a pas eu d’autres menaces. "Juste" le lot commun des élus: des insultes sur les réseaux sociaux. "Beaucoup… C’est un peu difficile à supporter au quotidien, ce climat. Des gens se sentent protégés derrière leur écran. Quand on les voit en face, c’est très différent !"
« Ma femme n’a pas à vivre ça »
L’actuel président du Parlement wallon, André Frédéric, est aussi conseiller communal socialiste à Theux. Les injures sur les réseaux sociaux, il préfère ne pas les lire du tout. "Mais quand on m’interpelle, je réagis: “Voici mon numéro de téléphone, vous pouvez m’appeler, on causera”. Et quand on frappe à ma porte, je vais ouvrir ".
Enfin, un peu moins spontanément depuis qu’il a reçu des menaces de mort. C’était pendant la crise du Covid. Avant d’ouvrir, il montait d’abord à l’étage pour vérifier qui était devant la porte.
Quelles menaces ? "C’était des messages insultants sur mon téléphone. Un homme qui promettait que je le trouverais partout sur mon chemin, qu’il allait me poursuivre, me pourrir la vie. Ma femme était morte de peur. Moi, je prenais encore sur moi. Mais elle, elle n’a pas à vivre ça."
Cette agressivité et ces menaces "pour tout et pour rien" lui font craindre une sacrée désertion dans la future sphère des mandataires locaux, "sur un terrain où la proximité est totale".
Sinon, il a acheté un équipement de sécurité pour son domicile, à tout hasard. "Le genre de truc dont on a en principe pas besoin dans un village paisible… "
Molotov
Le dossier du bourgmestre de Liège Willy Demeyer est carrément entre les mains de la division antiterroriste de la PJ fédérale. "Deux fardes complètes", résume-t-il. En 2018, sa maison a été la cible d’un cocktail molotov. Sans la vigilance de ses voisins, tout partait en fumée.
Avait-il reçu des menaces avant l’attaque ? "Quelques jours avant, dans un barrage de gilets jaunes, on a menacé de “foutre le feu” chez moi", dit-il. L’enquête suit son cours, comme on dit.
Ça fait quoi ? Un choc, incontestablement. Et un infarctus peu après. "Mais j’ai survécu à l’attentat et à l’infar", sourit-il crânement. Aujourd’hui, il se dit surtout inquiet pour le contexte global. "La pression, elle est générale. L’actualité ne nous aide pas mais la suspicion pèse sur tout le monde. Résultat: plus personne ne veut prendre de responsabilités au moment où on en a le plus besoin. "
Le mayeur socialiste reste encore aujourd’hui sous le coup de plusieurs menaces très sérieuses, d’origines différentes. "C’est lié pour une part à ma fonction de chef de la police administrative. J’agis, je prends des décisions. J’ai la chance d’être bien entouré, note-t-il, reconnaissant. Et puis, on se parle beaucoup entre nous, au sein de la conférence des bourgmestres. On s’aide, on s’épaule. C’est un endroit important. Parce que les bourgmestres sont tout seuls dans l’exercice de leurs fonctions."