Bruno Colmant et Thomas Dermine: « Il faut réhabiliter une forme d’État stratège »
À l’occasion de la sortie d’" Une brûlante inquiétude ", Bruno Colmant et Thomas Dermine s’offrent un plaidoyer inédit pour le retour des États stratèges
Publié le 24-01-2023 à 20h54 - Mis à jour le 24-01-2023 à 21h05
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Quand celui que d’aucuns surnomment le "père des intérêts notionnels" discute d’économie politique avec celui qui est considéré par d’autres comme étant le "dauphin de Paul Magnette", on assiste à un vrai débat de haut niveau…
À l’occasion de la publication de l’essai "Une brûlante inquiétude", Bruno Colmant et Thomas Dermine se sont offert un plaidoyer commun pour le retour d’un État stratège.
Le secrétaire d’État PS pour la Relance et les Investissements stratégiques a signé la préface de ce nouvel essai où Bruno Colmant, qui enseigne notamment à l’UCLouvain et à l’ULB, remet l’écologie au centre de sa réflexion économique.
Un titre inspiré d’une encyclique de Pie XI
Le titre "Une brûlante inquiétude" est inspiré d’une encyclique de Pie XI, publiée en 1938, où le pape mettait alors en garde le monde face au danger des totalitarismes.
Si Bruno Colmant a repris ce titre, il a également construit cet essai en soumettant ses textes aux réflexions de ses followers sur les réseaux sociaux.
"Une brûlante inquiétude" est, selon les mots de l’auteur, un "dialogue interne", mais aussi un "droit d’inventaire vis-à-vis d’un système qui m’a nourri durant 40 ans, portant d’abord sur le néolibéralisme et ensuite sur la disqualification progressive de l’État".
Un livre à mettre en lien avec les deux essais précédents de Bruno Colmant, "Hypercapitalisme: le coup d’éclat permanent" et "La monnaie fondante".
"Je pense que ma génération est légitime pour pouvoir parler du néolibéralisme", explique Bruno Colmant. "J’avais 20 ans lors de l’élection de Ronald Reagan. Et je crois que nous sommes tous conscients que cette parenthèse est en train de se terminer. Ces 40 années ont été une période d’anesthésie qui a conduit subtilement et sournoisement à disqualifier l’État. Parce que le néolibéralisme était porté par le postulat de la supériorité du marché."
Transition climatique: un moment charnière
Pour Thomas Dermine, la pensée néolibérale incarnée par Reagan, Tchatcher ou encore Friedman, n’est ni une philosophie politique, ni une idéologie économique: "Le néolibéralisme, c’est une pratique qui consiste à étendre la rationalité de marché à tout", lance le Secrétaire d’État. "Je partage avec Bruno Colmant une interrogation fondamentale sur l’inaction collective face au défi du changement climatique. Une inaction qui est liée au recul de l’État, qui a perdu une série de prérogatives. Collectivement, on n’a jamais engagé aussi peu de ressources dans les infrastructures. Cela se marque aussi dans l’évolution du cadre réglementaire. Aujourd’hui, l’État n’ose plus interdire des choses qui sont des hérésies d’un point de vue climatique, comme les vols" saut de puce "."
Le retour d’un État protecteur
Pour Bruno Colmant, l’État stratège doit être réhabilité et doit voir son rôle redéfini dans la garantie des ordres juridiques et économiques.
"Quand on est entré dans les années 80, on est parti de l’idée que l’État était un mauvais gestionnaire", analyse Bruno Colmant. "Il l’était pour partie. Mais dans certains domaines, le partenariat entre l’État et le privé a permis d’être extrêmement visionnaires, par exemple en matière d’énergie nucléaire. Je pense que les grands groupes devraient avoir un dialogue régulier avec l’État concernant l’ancrage actionnarial, l’articulation de leur stratégie, les risques de délocalisation et leurs interactions face aux questions écologiques."
Pour Thomas Dermine, ce retour d’un État stratège ne doit évidemment pas être compris comme la mise en place d’une planification de l’économie avec un effacement total de la logique de marché. Cette dernière reste, selon le socialiste, le mécanisme le plus efficace pour allouer des ressources rares aux individus: "C’est pour toute une série de ressources d’intérêt stratégique que le marché ne fonctionne pas", précise Thomas Dermine en illustrant son propos avec la question du photovoltaïque.
"On a déployé celui-ci sur base d’une théorie de marché et l’on a ajusté le signal – prix avec des subsides et des primes. Or, il aurait été plus efficace de déployer le photovoltaïque massivement avec le soutien d’un opérateur public afin d’équiper tout le monde, quartier par quartier. On aurait minimisé les coûts de réseau, on aurait été plus rapides sur le déploiement du photovoltaïque et on aurait fait en sorte que la majorité des ménages équipés ne soit pas issue des déciles les plus favorisés de la population."
« Une brûlante inquiétude », La Renaissance du livre, 18 €.