Axel, un des 35.000 Belges en burn-out: «J’ai l’impression d’être un imposteur»
Comme 35.000 autres Belges, Axel est en burn-out. Ce trouble mental, qui gonfle les chiffres de l’invalidité, plonge les personnes qui en souffrent dans une profonde détresse.
Publié le 03-01-2023 à 04h00
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Axel (prénom d’emprunt), 53 ans, est en burn-out depuis 14 mois. "Le temps qui passe sans que se profile la moindre piste pour sortir de cette impasse, c’est terrible. J’aimerais tant trouver la solution."
Pendant 25 ans, il s’est épanoui dans son métier de vendeur de voitures pour une grande firme allemande. "C’était un métier taillé pour moi: j’ai du bon sens, je suis bon à l’oral, je présente bien et je suis plutôt solaire, des qualités qu’il faut pour être un bon vendeur. J’aimais mon métier, je ne comptais pas mes heures…"
Incapable d’ouvrir son PC un matin
Un matin d’août 2021, de retour de vacances, Axel ne parvient pas à ouvrir son PC. Le blocage est total. Cela faisait quelque temps qu’il dormait mal, ne parvenait pas à décrocher du boulot, même en vacances. Il lui arrivait de plus en plus souvent de forcer sur l’alcool en soirée pour oublier le mal-être qui ne le quittait plus.
Quand on lui demande ce qu’il s’est passé, il répond dans un soupir: "L’organisation ne me convenait plus, je me sentais trahi dans mes valeurs. Il y a eu progressivement une dégradation des pratiques qui a fini par m’être insupportable. Par exemple, je promettais aux clients que le bon de commande de leur voiture serait rentré fin décembre et je découvrais qu’il était seulement envoyé en janvier pour des questions de commissions. Je devais répondre de ce retard face aux clients mécontents auxquels j’avais donné ma parole qu’ils recevraient leur voiture en temps voulu. Je n’étais pas en adéquation avec ces pratiques commerciales."
La sensation d’être un imposteur
Axel se sent complètement perdu: "Je ne sais pas vers quel métier m’orienter… Après 14 mois, c’est pesant." Et puis, il y a cette sensation d’être un imposteur qui ne le quitte pas: "I l y a des gens qui vivent des situations bien plus pénibles que moi et je reste là à ne savoir que faire pour me sortir de ce burn-out. Je me sens aussi mal à l’idée de ne pas remplir ma fonction d’homme, de chef de famille, par rapport à mes trois enfants. Heureusement, ma femme a un boulot et se montre compréhensive."
Axel est sous antidépresseurs, consulte un psychiatre. Il a fait, de sa propre initiative, une formation découverte de soi et est parti marcher dans le désert. "Le questionnement sur soi, je l’ai toujours eu. Ça me parle de savoir qui on est, à quoi on aspire…"
Durant cette longue errance de 14 mois, Axel n’a eu qu’un seul contact avec le médecin-conseil de sa mutuelle, 6 mois après le début de son incapacité.
L’avenir reste, pour l’heure, bien sombre. "Je ne vois pas du tout où je serai dans un an. C’est tellement lourd que parfois j’ai envie de disparaître."
Les « profiteurs » du système seraient une minorité
Médecin-conseil, médecin du travail et même du côté de la FEB, on minimise la proportion des faux malades de longue durée.

Pour bon nombre de citoyens et certains politiques, l’explosion des chiffres de l’invalidité (incapacité de plus de 12 mois) serait en partie causée par des travailleurs qui profiteraient du système pour s’offrir un long congé sur le compte de leur mutualité.
Une croyance alimentée, pour une large part, par l’augmentation des pathologies dites invisibles comme le burn-out ou la dépression (voire l’infographie ci-dessus) qui ne peuvent être attestées par un bilan sanguin, une radiographie ou une IRM. Et renforcée par des communiqués qui pointent, mois par mois, l’inexorable envolée des chiffres sans trop s’appesantir sur le contexte: le recul de l’âge de la pension (surtout chez les femmes), l’impact des nouvelles pathologies et des crises successives, le suivi aléatoire des travailleurs en incapacité dû à la pénurie de médecins-conseils et de médecins du travail…
Nous avons demandé aux différents acteurs qui suivent de près les travailleurs en incapacité de longue durée quelle était la réalité du terrain.
Philippe Marneth, directeur médical aux Mutualités libres, minimise fortement l’impact des "profiteurs": "On ne voit pas ou alors très peu de gens qui sont profiteurs. On voit surtout des personnes qui sont perdues, qui ne connaissent pas les différentes possibilités qui s’offrent à elles, comme un travail adapté ou une formation à un autre métier pour remettre le pied à l’étrier. Quand le médecin-conseil annonce la fin de l’incapacité, c’est une bonne nouvelle pour la plupart des gens. "
Une explication trop simpliste
Pour Sandrine Ruppol, directrice médicale au CESI, service externe pour la prévention et la protection au travail, "ce serait trop facile de se dire qu’il n’y a que des personnes qui profitent du système pour expliquer l’explosion des cas de maladie de longue durée. Quand on identifie une personne qui ne veut pas reprendre le travail, cela nous interpelle. Mais derrière ces personnes très visibles, il y a un nombre considérable d’autres qui ne fraudent pas".
Plus surprenant, du côté de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), on tient également à relativiser la part des faux malades de longue durée.
"On ne peut pas exclure qu’il y ait certaines personnes qui ne veulent pas reprendre le travail mais il ne faut surtout pas mettre tout le monde dans le même panier, avance Catherine Vermeersch, du centre de compétence emploi et sécurité sociale à la FEB. La plupart des gens veulent reprendre le travail mais quand ils en sont restés éloignés pendant des mois voire des années, cela demande un effort supplémentaire. Si on laisse trop longtemps les gens seuls chez eux sans rien leur dire, sans rien leur proposer, ce n’est pas évident pour eux de retrouver le chemin du travail . Ils sont persuadés qu’ils n’ont pas d’autres solutions que de reprendre leur poste ce qui, dans certains cas, est une voie sans issue."
Tous appellent à une prise en charge plus précoce des travailleurs en incapacité (voir nos éditions du mercredi 4 janvier) et à une meilleure collaboration entre les trois piliers de l’incapacité: le médecin traitant, le médecin-conseil de la mutualité et le médecin du travail.