Thomas Gunzig : « Pour faire de la politique, il faudrait des écrivains, mais ils ont mieux à faire... »
Retour sur l’actualité de 2022 avec l’écrivain Thomas Gunzig. Qui attend toujours des nouvelles de ses " chers amis du Qatar ".
Publié le 31-12-2022 à 07h00
:focal(545x371.5:555x361.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/BQ63KSSP5RGDZEKS4R2AAASBW4.jpg)
Thomas Gunzig, c’est peut-être juste une impression mais vous avez l’air de plus en plus énervé, dans vos billets ou dans vos publications sur Twitter…
Énervé, je ne sais pas si c’est le bon mot. En tout cas, il s’est passé des choses énervantes… Twitter, c’est génial. J’adore. J’ai rencontré des amis sur Twitter. C’est une façon de participer au débat public, mais qui est très particulière. C’est très court, on est souvent dans la réaction, dans l’affect. Donc, ça peut apparaître comme des publications énervées. Quant aux billets (NDLR: sur La Première), c’est l’exercice de style qui veut ça. On me demande de réagir de manière humoristique ou émotionnelle à l’actualité.
Ce n’est pas lié spécifiquement à ce qu’on a traversé ces derniers mois, alors ?
Dans toute l’histoire de l’humanité, l’actualité a toujours été soulevée, traversée par des injustices, par la violence… Si j’avais tenu un billet à l’époque de l’Égypte antique ou au Moyen Âge, je pense que le ton aurait été le même. Il se fait que j’écris aujourd’hui. C’est vrai que cette année, il y a eu une succession de crises globales qui ont mis en évidence la fragilité de nos vies, de nos sociétés, de nos gouvernements. La fragilité, ça veut dire l’incapacité à envisager des choses avec une vision à long terme et l’incapacité à dépasser les intérêts particuliers.
Aucune morale n’est tirée de tout ça. OK, l’opposition entre au Bureau. Super. C’est tout ? Il faudrait revoir tout le machin
Si on jette un coup d’œil sur l’actu 2022, un des dossiers parmi les plus saillants chez nous, c’est le Parlement wallon, son greffier, ses chantiers, son voyage à Dubaï… Une mine d’or pour alimenter les billets des chroniqueurs ?
C’est peut-être une mine d’or, mais c’est de l’or qui ne sent pas bon. Faire un billet là-dessus, c’est aller replonger sa plume et ses doigts dans la médiocrité de l’esprit l’humain. Le greffier, c’est juste le visage d’un système global. Lui et les gens qui ont permis ce système sont les véritables ennemis de la démocratie. Et ce système permet leur impunité totale. Aucune morale n’est tirée de tout ça. OK, l’opposition entre au Bureau. Super. C’est tout ? Il faudrait revoir tout le machin. Donc, oui, ça fait des sujets faciles. Mais c’est aussi désolant. Ce qui anime la plume sur tout ça, c’est la colère, le dégoût, le désespoir. Et la résignation: des histoires comme ça, on en a depuis vingt siècles.
Le Parlement européen, c’est un objet qui n’est pas fini. Il faudrait terminer le mode d’emploi avant que le système explose, à force d’affaires et de corruption
On peut ajouter le Qatar Gate au Parlement européen. De quoi rendre populiste le plus ardent défenseur de la démocratie parlementaire ?
Le Qatar Gate, comme l’affaire du greffier, ça vient démontrer qu’il y a un élément auquel les grands architectes de la démocratie n’ont pas pensé: c’est la nature humaine. Il y aura toujours des gens qui travaillent honnêtement et courageusement. Et il y aura toujours des gens pour tirer profit d’un système merveilleux pour leurs intérêts personnels. Il faudrait des garde-fous. Je suis un Européen convaincu. Mais le Parlement européen, c’est un objet qui n’est pas fini, un brouillon d’institution. Il faudrait terminer le mode d’emploi. Avant que le système explose à force d’affaires et de corruption.
Vous aviez lancé un appel dans la foulée du Qatar Gate: « Chers amis du Qatar, je suis officiellement à vendre. Pour la modique somme de 600 000 euros en liquide, je m’engage à ne plus dire du mal de votre Coupe du monde de merde ». Vous avez eu une offre ?
(Rire) Non, malheureusement. Je paie mes factures avec le peu que je gagne en tant qu’auteur. J’aimerais bien qu’on m’amène une valise avec 600 000 € dedans. Mais je n’ai rien reçu. Je suis très déçu...
À propos de factures, vous n’avez toujours pas allumé le chauffage chez vous ? Vous continuez à travailler avec des mitaines sur votre PC ?
Oui. Toujours pas de chauffage.
Par souci d’économie ou par esprit de provocation ?
Non, vraiment par peur de la facture. Je l’ai reçue. Elle a doublé alors qu’on a moins consommé. Comme tout le monde, quoi.
Bon gré mal gré, l’appauvrissement, ça vous conduit dans les bras de la décroissance
On a aussi connu la sécheresse et la canicule en 2022. Vous vous étiez déjà moqué des climatosceptiques dans un billet de 2021, sur le thème « j’assume le pur connard qui est en moi ». C’est quoi, le dernier geste pas bon pour le climat que vous avez commis ?
Pour Noël, j’ai fait un chapon farci. C’est de la viande, alors que les élevages, c’est pas génial pour le climat. Et puis, le temps de cuisson pour un chapon, c’est quand même 4 heures dans un four électrique. À part ça, comme tous les gens pas spécialement riches, je ne pollue pas des masses. Je prends rarement l’avion, j’ai une toute petite bagnole, madame roule à vélo… On ne fait même pas ça par conviction écolo, mais parce que ça coûte moins cher. Bon gré, mal gré, l’appauvrissement, ça vous conduit dans les bras de la décroissance.
Ils montent sur des grands chevaux grotesques quand il s’agit de défendre un tableau qu’ils n’ont probablement jamais vu.
En octobre, des activistes climatiques balançaient de la sauce tomate sur la vitre de protection des « Tournesols » de Van Gogh. Vous auriez envie de jeter quoi, vous, sur les décideurs qui s’en sont indignés au nom de la culture alors que, dans les conservatoires, « on laisse le plâtre des plafonds tomber sur la tête des élèves », pour vous citer ?
Je ne veux rien leur jeter dessus. Mais je leur dirais: lisez une page de littérature le soir avant de vous endormir. C’est cette page-là qui va vous relier au monde, aux humains et au sens de l’action politique. Je ne suis pas fan de ce genre d’action. Mais elle a mis en lumière, magnifiquement et ironiquement, la mauvaise foi des politiques, qui n’en ont rien à cirer de financer l’académie, les études d’art et les artistes. Mais qui montent sur des grands chevaux grotesques quand il s’agit de défendre un tableau qu’ils n’ont probablement jamais vu. Juste pour critiquer l’écologie, la jeunesse, etc.
La Coupe du monde, vous l’avez boycottée ?
Non. Je ne l’ai pas regardée parce que ça ne m’intéressait pas. Cette année, politiquement, je n’aimais pas trop l’histoire. Mais je n’ai pas chercher à m’y intéresser.
C’est quoi, la dernière compétition sportive que vous avez suivie, à la télé ?
Moi, je suis de près les arts martiaux mixtes. Par exemple, la grande fédération, c’est l’UFC (NDLR: Ultimate Fighting Championship). Ce sont des combats en cage, en octogone. Je sais qu’il y a aussi des choses pas clean derrière: du dopage, des soutiens politiques douteux… Mais là, je redeviens un fan de base. C’est pour ça que je ne critique pas les gens qui ont regardé la Coupe du monde.
On a aussi appris en 2022 qu’il y avait 8 milliards d’humains sur Terre. C’est une source d’angoisse, pour vous, la démographie ?
Pas vraiment. Il n’y a pas de problème, on pourrait être 10 milliards, 20 milliards… Pour autant que les gens démesurément riches acceptent de l’être un peu moins, pour que les gens démesurément pauvres le soient un peu moins, ça irait. À nouveau, ce qui m’inquiète plus, c’est la nature humaine. On ne peut pas être 8 milliards de personnes égoïstes sur Terre.
La révolte des femmes en Iran, ça vous inspire quoi ?
Beaucoup d’admiration, évidemment, pour le courage de ces manifestantes et de ces manifestants. Ils risquent leur vie. Je ne peux que m’émerveiller de la nature humaine, encore elle, capable de prendre tous les risques pour un peu de liberté. Et m’épouvanter de la brutalité d’une caste religieuse, déterminée à garder ses prérogatives.
Si on n’avait pas libéralisé le marché de l’énergie, des boulangers ne fermeraient pas leurs portes aujourd’hui
Face au conflit en Ukraine, les Codeco de 2020 et 2021 paraissent presque neutres, non ?
Le Covid, les Codeco, le confinement semblent un lointain souvenir. On pourrait presque être nostalgique. Par rapport aux horreurs qui nous reviennent de la guerre en Ukraine, à la crainte d’une extension du conflit, aux répercussions économiques dans toute l’Europe… Cette crise énergétique est d’une violence qu’on n’aurait pas imaginée un seul instant. Ceci dit, elle n’est due au conflit en Ukraine que par un lien mécanique. Si on n’avait pas libéralisé le marché de l’énergie, des boulangers ne fermeraient pas leurs portes aujourd’hui.
Après tout ça, vous formulez quels vœux pour 2023 ?
Que le monde politique comprenne que rien n’est perdu, mais qu’il faut tout changer. S’il pouvait faire usage de l’imaginaire pour refonder la démocratie, ce serait très beau. Et qu’est-ce qui suscite et provoque l’imagination ? C’est la pratique de la fiction. La lecture, la littérature, le cinéma, les histoires qu’on se raconte. Ça permet d’imaginer d’autres modes de fonctionnement, de se mettre à la place des autres… C’est le profil parfait. Pour faire de la politique, il faudrait des écrivains. Mais les écrivains ont mieux à faire que de la politique.