Pierre Vercauteren sur le cordon sanitaire: «Les extrêmes sont banalisés au nord du pays, côté wallon, il y a un refus»
En débattant avec le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken sur la VRT, Georges-Louis Bouchez a remis en avant la question du cordon sanitaire en Belgique francophone. Banalisé en Flandre, le débat avec l’extrémisme reste encore bien tabou en Wallonie.
Publié le 22-04-2022 à 15h02 - Mis à jour le 22-04-2022 à 18h15
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Ce jeudi 21 avril, Georges-Louis Bouchez était invité dans l’émission « Ter Zake », sur la VRT. Pendant près d’une demi-heure, le président du Mouvement réformateur (MR) a débattu avec Tom Van Grieken, le leader du Vlaams Belang, parti d’extrême droite flamand. Les deux présidents de parti étaient conviés à s’exprimer sur le débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen diffusé la veille, à la télévision française.
La confrontation a fait beaucoup de bruit du côté francophone du pays. Il faut dire que dans le sud du pays, ce débat n’aurait jamais été permis en raison du cordon sanitaire respecté par les médias. Il y a pourtant bien eu un précédent, il y a près de 30 ans...
Cordon sanitaire et décalage linguistique
Le cordon sanitaire existe en Belgique depuis les élections fédérales de 1991, soit il y a plus de trente ans. À l’époque, ces élections sont surnommées le "Dimanche noir", en raison de la percée du Vlaams Blok dans les résultats.
Une initiative politique est alors prise pour contourner cette progression inquiétante de l’extrême-droite flamande. On instaure le cordon sanitaire, un accord politique entre les principales formations du pays visant à ne pas gouverner avec des partis d’extrême-droite. Un cordon sanitaire médiatique se met également place, celui-ci consistant à ne pas inviter les partis extrêmes à débattre sur les plateaux télé.
Trente ans plus tard, le cordon sanitaire est un point de divergence non négligeable entre le nord et le sud du pays. "Le débat Bouchez - Van Grieken a été perçu comme choquant chez les francophones mais pas tant que ça du côté néerlandophone", explique Pierre Vercauteren, politologue et professeur en sciences politiques à l’UCLouvain. "Les extrêmes sont plus banalisés au nord du pays. Côté wallon, il y a un refus de banaliser l’extrême droite, même si ça peut faire l’objet de fluctuation. On peut assister à des poussées à certains moments."
Comment expliquer ce décalage nord/sud? "En Flandre, il y a un côté historique qui joue. L’extrême-droite n’intervient pas que sur des questions de sécurité et d’immigration, mais aussi et surtout sur la question identitaire, qui trouve un certain écho du côté flamand. Tandis que du côté wallon, il n’y a pas cette dimension identitaire. On a une histoire et une trajectoire différente", argumente Pierre Vercauteren, avant de poursuivre: "L’extrême-droite flamande attire également les votes des déçus, qui donnent leur voix au Vlaams Belang plus par sanction que par adhésion. En Wallonie, les personnes déçues par les partis traditionnels votent majoritairement pour des partis alternatifs."
Si les Wallons appliquent encore à la lettre le cordon sanitaire aujourd’hui, qu’en est-il alors du PTB, régulièrement invité dans les débats télé au sud du pays? "Le cas du PTB est particulier. Pour le Vlaams Belang, il y a un consensus pour dire qu’il s’agit d’un parti d’extrême-droite. En ce qui concerne le PTB, certains le considèrent comme d’extrême-gauche, alors que d’autres le voient plutôt comme un parti de gauche radicale", analyse le politologue.
Bouchez: coup de com’ ou combat contre l’extrémisme?
Pierre Vercauteren rappelle que ce n’est pas la première fois qu’un pareil débat est tenu. En 1994, "il y a eu un précédent avec Gérard Deprez, président du PSC (ancien nom des Engagés), qui avait débattu avec le leader de l’extrême-droite francophone Daniel Féret." Une confrontation diffusée dans le cadre de l’émission Controverse (RTL-TVI).
Quel est alors l’intérêt de débattre avec l’extrême-droite flamande? "Le principe, c’est de démonter le discours de l’adversaire", commente Pierre Vercauteren, avant de poursuivresur le cas Bouchez: "C’est un homme de conviction. Il n’hésite pas à aller au combat et à la confrontation, même face aux idées extrêmes. Il reste dans la logique de son tempérament."
Le politologue admet cependant que la démarche du président du MR pourrait ne pas être totalement désintéressée sur le plan médiatique. Une nouvelle stratégie pour faire parler de lui? "C’est possible, mais nous ne sommes pas dans un moment d’échéance électorale imminente, donc cela reste à voir", conclut-il.
Le cordon sanitaire, stop ou encore?
Le cordon sanitaire a permis à l’extrème-droite de ne pas faire de percée remarquée dans le sud du pays. Mais celui-ci à toutefois ses limites. "Avec les réseaux sociaux, le débat politique est différent d’avant. La capacité de contourner le cordon pour atteindre la population est beaucoup plus simple. Ce qu’il faut se demander maintenant, c’est jusqu’où le garder et jusqu’à quel point faut-il le maintenir?"
Quant à l’idée de le garder ou de le supprimer, cela doit passer par des sondages d’opinion, estime Pierre Vercauteren. « Ce n’est pas quelque chose qui doit être évalué par des experts ou par une certaine élite. La question doit simplement être posée via sondage d’opinion afin de voir ce que pensent les gens à ce sujet. »