Handicap International a 40 ans: "Notre combat contre les armes sert à quelque chose"
L’ONG Handicap International a 40 ans. Et mène plus que jamais la lutte contre l’utilisation d’armes ravageuses pour les civils, d’actualité dans le contexte de la guerre en Ukraine. Son directeur général, Manuel Patrouillard, espère une déclaration internationale contre l’usage des armes explosives à large rayon d’impact dans les zones densément peuplées.
Publié le 26-03-2022 à 07h00
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Quand on travaille dans l'humanitaire, "on n'a qu'une envie, c'est de se dire qu'un jour on ne sera plus nécessaire, lâche Manuel Patrouillard, directeur général de la Fédération Handicap International. Cela signifierait qu'il n'y a plus de guerres, plus de catastrophes, etc. Ça n'arrivera pas de notre vivant".
Cette ONG, fondée en 1982 à Lyon, intervient sur le plan international dans les situations de pauvreté et d’exclusion, de conflits et de catastrophes, avec une attention particulière portée aux personnes porteuses de handicap et aux populations vulnérables. Manuel Patrouillard se trouvait cette semaine à Bruxelles pour le Forum humanitaire européen, organisé par la Commission européenne et la France, qui occupe la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Cette année d’anniversaire est symbolique pour l’association humanitaire, d’autant plus qu’elle marque aussi les 25 ans de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel, l’un des combats historiques de Handicap International, qui regroupe aujourd’hui quelque 5 000 collaborateurs dans une soixantaine de pays.
Les mentalités ont évolué
La problématique de l'utilisation des armes particulièrement destructrices pour les populations civiles s'inscrit plus que jamais dans l'actualité. "Pour l'Europe, la guerre en Ukraine est peut-être un massive "wake up call", un réveil difficile. Mais ça ne l'est pas pour nous parce qu'on est intervenus dans un certain nombre de conflits ces dernières années où la Russie a été un acteur: en Syrie, dans le Donbass. On voit aussi les mercenaires de Wagner à l'œuvre en Centrafrique, au Mali, en Libye, pour ne citer que ces trois pays. Donc nous, on n'est pas surpris."
Le conflit en Ukraine est une occasion pour Handicap International de constater à quel point "notre combat contre les armes sert à quelque chose". Aujourd'hui, et c'était moins le cas par le passé, "dans les médias, les sphères politiques et le grand public, il est devenu inacceptable d'utiliser des mines antipersonnel et des bombes à sous-munitions", deux dispositifs qui font l'objet d'une interdiction dans le cadre de traités internationaux. "Dès leur usage contre des hôpitaux, une école ou des zones résidentielles, comme cela a déjà été documenté en Ukraine, la presse s'en fait l'écho, d'autres ONG aussi. La réaction contre ces deux types d'armes est immédiate dans la société civile."
Ce combat-là est pourtant loin d’être achevé pour Handicap International. Un travail de longue haleine est mené pour obtenir une déclaration politique internationale, impliquant autant d’États que possible, s’opposant fermement à l’utilisation des armes explosives à large rayon d’action – les bombes à sous-munition, par exemple – dans les zones urbaines, densément peuplées. Il s’agit ni plus ni moins de protéger les civils, face à des dispositifs disproportionnés et inadaptés à ce type de champs de bataille.
"D'ailleurs, c'est quoi un champ de bataille, historiquement? Un champ. Il faut arrêter avec ce mot. Ce dont on parle, ce sont des quartiers, pas des champs", plaide Manuel Patrouillard.

Des discussions sont menées depuis trois ans pour aboutir à une déclaration internationale. "Le processus est soutenu par l'Autriche, l'Irlande, des pays scandinaves, etc. Handicap International a réussi à mobiliser une cinquantaine de pays d'Amérique du Sud et d'Afrique", poursuit-il. À noter que le Parlement belge a voté il y a un an une résolution favorable à une telle déclaration.
L’espoir d’une déclaration
"Un dernier round de négociations sur cette déclaration arrive dans trois semaines à Genève, il ne faut pas faiblir", prévient Manuel Patrouillard, qui attend un engagement international ferme et clair.
Des réticences s'exercent pourtant. "Des politiques nous disent que les textes de droit humanitaires sont suffisants, ce avec quoi nous ne sommes pas d'accord." Certaines réticences pèsent aussi dans la sphère militaire, craignant de voir apparaître des contraintes. Le directeur général évoque aussi la possibilité de frilosités budgétaires, les "armes intelligentes" étant onéreuses.
"Un autre argument qu'on nous sort: ce n'est pas ça qui va arrêter Poutine. C'est vrai, mais c'est peut-être ça qui va le mettre plus rapidement et définitivement en prison un jour, lui et toute sa clique", soutient-il. "Un traité, même si ce n'est pas signé par les Russes ni les Américains, ça rentre dans le droit international" en mettant la problématique en lumière et en facilitant les procédures des juridictions internationales, au besoin.