La sortie du nucléaire ravive encore les tensions et les questions
Dans un mois, le gouvernement devra se positionner définitivement. Mais la Vivaldi peine à s’accorder sur le sujet, suite au positionnement des fédérations patronales. Éclairage avec Francesco Contino, spécialiste en énergie.
Publié le 17-02-2022 à 21h17
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On n’a pas fini de parler de la sortie du nucléaire. Mercredi, les principales fédérations patronales du pays appelaient le gouvernement fédéral à ne pas opter pour la sortie complète. Cette prise de position a eu le don se semer le trouble au sein de la coalition Vivaldi, autour d’une question qui semblait pourtant presque tranchée.
Dans son accord de gouvernement, pour rappel, la coalition est convenue d’acter la sortie du nucléaire pour 2025, moyennant deux conditions: la stabilité du prix de l’électricité et la sécurité d’approvisionnement.
Le plan A suppose, à côté d’investissements dans le renouvelable, la construction deux centrales électriques au gaz. Mais le refus de permis pour la construction de la centrale de Vilvorde constituait une épine dans le pied du gouvernement. Celui-ci a décidé fin 2021 de postposer la décision finale au 18 mars, le temps d’obtenir ce permis ou de permettre à un autre projet de centrale d’être sélectionné. En attendant, le plan B – prolonger Doel 4 et Tihange 3 – n’est pas définitivement enterré.
Cs derniers mois, le président du MR a maintes fois fait savoir sa préférence pour le plan B, difficilement concevable pour les écologistes.
Les libéraux francophones expriment des inquiétudes sur la sécurité d’approvisionnement et le prix. À ces variables s’ajoutent les émissions de CO2 qu’impliqueraient deux centrales au gaz. Et, désormais, une donnée géopolitique – la crise Ukraine-Russie – qui fait craindre pour l’approvisionnement en gaz.
Brouillage de pistes
Suite à la sortie du patronat, plusieurs partenaires de la Vivaldi ont brouillé les pistes. C’est ainsi que les présidents de Vooruit, du CD&V et de l’Open Vld ont laissé entendre qu’ils ne fermaient pas la porte au plan B.
Côté francophone, la position du MR est limpide. Au PS, on nous indique ne pas vouloir faire de commentaires. Et Écolo cherche à calmer le jeu: le dossier suit son cours, la décision sera prise le 18 mars mais tout semble concorder pour assurer l'approvisionnement. Et, dit-on volontiers, le fonctionnement actuel de sept réacteurs en Belgique n'a pas empêché la flambée des prix, liée à des éléments conjoncturels. "C'est une question de chiffres et de faits. Nous restons sur l'accord conclu en décembre, qui privilégie le plan A. Et ceux qui lient la sortie de 2025 à l'augmentation actuelle des prix font de la désinformation pure et dure", considère Gilles Vanden Burre, chef de groupe Écolo à la Chambre.
Ceux qui lient la sortie de 2025 à l’augmentation actuelle des prix font de la désinformation pure et dure.
Alexander De Croo (Open Vld) appelait hier à aborder le sujet sous un angle technique et non idéologique. La question a aussi animé les débats à la Chambre, l'après-midi. L'opposition n'a pas manqué de relever les dissensions de la Vivaldi. "La volonté de sortir du nucléaire était déjà absurde il y a quelques mois. Aujourd'hui, ce serait franchement irresponsable", a par exemple lancé Georges Dallemagne (cdH).
Interrogée par les députés, la ministre de l'Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), a renvoyé à la date du 18 mars, appelant à créer "de la tranquillité" autour du dossier. "Nous menons un travail en profondeur et il faut prendre en compte chaque élément du contexte: sécurité d'approvisionnement, prix, mais aussi durabilité". Pour elle, "nous avons le parc de production et les factures les plus élevées d'Europe". Une situation qui n'est pas imputable à la sortie du nucléaire, mais à l'absence de politique ces vingt dernières années, selon elle.

Au vu de la situation géopolitique actuelle et sur les marchés de l'énergie ainsi que l'électrification croissante de la société, elles estiment "nécessaire de maintenir en activité deux réacteurs nucléaires". Et cela même si Engie répète que le nucléaire en Belgique, c'est fini. "Mais ce n'est pas notre problème de régler cela, ce sont des questions d'experts et c'est au gouvernement de voir avec eux ce qui est faisable ou pas et d'en assumer les conséquences ou d'en tirer les conclusions, note à ce propos Olivier de Wasseige, l'administrateur délégué de l'Union Wallonne des Entreprises. Notre rôle est d'exprimer le ressenti des entreprises." Et ce ressenti, c'est une énorme crainte liée à une "incertitude insupportable et inacceptable" concernant l'avenir de l'approvisionnement énergétique et son coût. "Et nos entreprises sont inquiètes, car une entreprise ne bâtit pas sa stratégie sur des incertitudes."
C'est donc au gouvernement, estime Olivier de Wasseige, à assumer le fait de ne pas avoir pris de décision plus tôt et de ne pas avoir anticipé de solutions pour faire face à des éléments nouveaux sur le marché de l'énergie: la politique gazière russe, les tensions avec l'Ukraine, la diminution de la production nucléaire française ou encore la difficulté dans le processus des permis CRM pour les centrales gaz. Énergie en suffisance, prix abordable et mode de production durable, c'est ce que réclament les entreprises. "Et aujourd'hui, on n'est pas rassuré sur ces éléments." Le nucléaire est-il seul capable de rassurer sur ces points? "C'est aux experts à juger mais, a priori, il nous semble que c'est la solution la plus faisable et c'est pour cela que nous demandons de prolonger deux centrales. Ce qui devrait suffire, le temps de trouver d'autres solutions. Peut-être que les experts viendront avec ces solutions d'ici le mois de mars, c'est possible. Mais nous, tant qu'on ne les voit pas, on regarde ce qu'on a en termes de prix et de garantie de volume d'approvisionnement. Et c'est le nucléaire."

Cette impossibilité de prolonger tient plus du législatif et du régulatoire, juge Francesco Contino, ingénieur en électromécanique et spécialiste en énergie. "Obtenir les permis, les négociations de contrats pour l'uranium, etc., tout cela prend énormément de temps et l'expérience d'Engie leur fait dire que ce n'est pas sûr que ça marche, explique le professeur de l'UCLouvain. Pour eux, c'est un risque." Comme l'ont montré les péripéties avec le refus par la Région flamande du permis pour la centrale gaz de Vilvorde, Engie sait aussi pertinemment que, même si le fédéral voulait prolonger le nucléaire, il y a toujours un autre niveau de pouvoir qui pourrait s'y opposer. "Ce n'est donc pas évident de faire marche arrière ou changer quelque chose qui est déjà écrit, note Francesco Contino. Je ne pense donc pas que ce soit du bluff de la part d'Engie. Ils disent clairement: "Nous, on ne sait pas la faire"."
Évidemment, un revirement n'est jamais exclu. "Si on y met le prix, qu'Engie voit qu'elle a plus à gagner en faisant du nucléaire plutôt que des centrales au gaz ou les deux, on peut potentiellement avoir un revirement de situation. Même si cela va à l'encontre de leur stratégie affichée." Et avec le risque pour la Belgique – et donc les consommateurs – de payer trop cher pour ce retour vers l'atome.
Francesco Contino n'a toutefois pas de doute concernant les déclarations d'Engie selon lesquelles l'entreprise est capable de compenser la sortie du nucléaire (voir ci-contre). Son positionnement pour les centrales gaz en Belgique et sur les technologies émergentes le démontre, dit le professeur de l'UCLouvain. "Maintenant, ça ne dépend pas que d'eux. Il faut voir si les pouvoirs publics vont suivre sur toutes les hypothèses qu'on a pris quand on a dit qu'on sortait du nucléaire." Même si sur le fond, ajoute-t-il, il est plutôt favorable à conserver le nucléaire. "Car si on s'en sortira sans le nucléaire en matière d'approvisionnement en électricité, on va se priver d'une énergie qui est peu émettrice de CO2 et on se tire donc un peu une balle dans le pied par rapport à nos défis climatiques."