Et en Belgique, on relâche tout? "Une fois au sommet du col, il faut encore redescendre"
Certains pays relâchent les mesures, mais il convient de faire encore preuve de prudence chez nous, assure Erika Vlieghe, présidente du GEMS. L’infectiologue défend l’utilité du baromètre. Mais reconnaît que l’approche du testing et du tracing devrait évoluer.
Publié le 05-02-2022 à 07h40
:focal(545x365.5:555x355.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/OJOCFJSHHNGF7MACD4GY7I5INY.jpg)
Un vent de liberté souffle sur plusieurs pays d’Europe. Le Danemark, singulièrement, a ouvert la marche cette semaine avec une levée de ses mesures. Suède, Finlande, Royaume-Uni, France ou encore Espagne, pour citer quelques exemples, ont peu ou prou décidé d’en finir avec certaines contraintes.
Comparer s’avère hasardeux: chaque pays a sa propre situation épidémiologique, son taux de vaccination, son système de soins, etc.
Un Codeco devrait se tenir la semaine prochaine, avec d’éventuels assouplissements à la clé. La date n’est pas arrêtée, mais il est possible qu’elle soit fixée en fonction de l’évolution, histoire de pouvoir acter (et annoncer) un passage au code orange du baromètre, actuellement en rouge.
Une certaine prudence reste de mise en Belgique. C'est du moins l'avis du porte-parole interfédéral Covid-19, Steven Van Gucht, qui prône un "relâchement progressif". Et signale au passage qu'il y a, au Danemark, "dix fois moins de patients que chez nous" en soins intensifs. "On n'est pas du tout au même endroit."
Erika Vlieghe, présidente du GEMS, groupe d'experts qui conseille les politiques, est du même avis. "On a probablement atteint le pic de contaminations et on s'attend à ce que la situation s'améliore graduellement", nous confirme l'infectiologue à l'hôpital universitaire d'Anvers. Le pic de contaminations a sans doute été atteint le 24 janvier et elles sont en diminution ces derniers jours. Les admissions à l'hôpital ont augmenté légèrement, tandis que l'occupation des soins intensifs et les décès augmentent encore.
Dépassé, le baromètre?
"Attention à ne pas être trop enthousiastes, prévient Erika Vlieghe. Lorsque vous grimpez un col, une fois au sommet, il faut encore pouvoir redescendre. Et ce n'est pas sans danger. C'est justement à cela que sert le baromètre": baliser ces étapes. "Surtout, la pression sur le système de soins reste importante, même si elle est différente que lors des précédentes vagues."
Lorsque vous grimpez un col, une fois au sommet, il faut encore pouvoir redescendre. Et ce n’est pas sans danger.
Plusieurs experts et politiques considèrent justement qu’Omicron a rebattu les cartes, ce variant étant moins virulent mais plus contagieux que les précédents. Dès lors, les critères fixés par ce baromètre pour assouplir les mesures sont-ils caducs?
"Je ne suis pas d'accord, répond Erika Vlieghe. Le baromètre est neutre, il n'est pas conçu pour tel ou tel variant." L'outil est bien plus "sophistiqué" que ce que ses détracteurs laissent entendre, assure-t-elle. "Il tient compte de nombreux critères: la tendance générale, les hospitalisations, les soins intensifs, la situation de la première ligne, les évolutions province par province, etc. Semaine après semaine, le RAG (Risk Assessment Group) intègre tout cela dans ses évaluations."
À l'instar du baromètre, certains outils mis en place font l'objet de critiques (lire ci-dessous): ils seraient dépassés par la réalité ou inefficaces. On pense au Covid Safe Ticket, dont on ne compte plus les détracteurs. "Il doit faire l'objet d'un débat politique, sur laquelle je ne me prononcerai pas." L'important, poursuit-elle, consiste bien à mettre l'accent sur la maximisation du taux de vaccination.

Repenser testing et tracing
Autre outil de taille: l’arsenal conçu pour le testing et le tracing, qui ne convient plus forcément. Pour le dire simplement: est-il encore pertinent de conserver un système de dépistage et de suivi de contacts aussi lourd et systématique lorsque plusieurs dizaines de milliers de cas positifs sont détectés chaque jour? Pour un variant qui requiert certes de la prudence, mais qui est moins virulent.
"Je pense qu'il est temps d'avoir une bonne réflexion sur le testing et le tracing", concède-t-elle. Les experts du RAG se pencheront sur la question la semaine prochaine, raison pour laquelle Erika Vlieghe ne peut pas encore livrer de détails sur le devenir de ces dispositifs. À l'instar du baromètre, il est possible que soit instauré un système plus flexible, capable de mieux s'adapter à la situation. "Ça, c'est dans un monde idéal. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire", glisse-t-elle.
Je pense qu’il est temps d’avoir une bonne réflexion sur le testing et le tracing.
La discussion doit avoir lieu, pour prévoir un fonctionnement à court et à long terme, sachant que tout le système de testing/tracing ne doit pas être calqué sur la situation du moment. "On ne doit pas tout adapter à Omicron. On ne sait pas si ce variant est le point final ou non de l'épidémie, s'il y en aura d'autres ou s'ils seront fort différents", explique l'infectiologue.

Le tracing: "On travaille à flux tendu, mais ça va"
Complètement débordé, le tracing, alors que des milliers de cas positifs sont encore détectés chaque jour? Les témoignages de personnes qui, récemment infectées, n’ont jamais reçu de coup de fil de la centrale d’appel ne manquent pas.
Du côté de l'AViQ (Agence pour une vie de qualité), chargée du suivi de contacts en Wallonie, la porte-parole Lara Kotlar indique que le travail s'effectue "à flux tendu, mais ça va. Oui, c'est difficile, les délais d'attente sont allongés, il faut parfois prioriser les appels, mais ce n'est pas la catastrophe". En ce moment, ce sont 330 équivalents temps plein qui œuvrent à ce suivi de contacts téléphoniques en Wallonie, au sein de la société sous-traitante. Environ 5 300 appels par jour sont effectués. Les refus de coopérer restent rares, indique la porte-parole. Par contre, les personnes ne rapportent en moyenne que 1,2 contact rapproché au tracing, ce qui est plus que probablement inférieur à la réalité.
Face à la vague de contaminations, il est recommandé de faciliter le travail de suivi en renseignant soi-même ses contacts à haut risque via masante.be, rappelle Lara Kotlar. L'utilisation de l'application Coronalert est également recommandée pour les contacts qu'on ne connaît pas.
Le baromètre: à peine instauré, déjà contesté
Entré en vigueur le 28 janvier, le baromètre concerne l’horeca, les événements publics et les activités récréatives en groupe. Il ne s’agit pas d’un "pilote automatique" mais de tableau de bord à trois niveaux (rouge, orange, jaune) permettant de guider les décisions politiques, ont beaucoup insisté les autorités. Et plutôt que de s’arrêter aux seuls indicateurs chiffrés, l’outil doit aussi être employé à l’aune de la tendance du moment.
D’aucuns y voient cependant une sorte de carcan trop contraignant en termes de seuils et des mesures (le CST est toujours d’application en code orange, par exemple), ou qui ne colle plus à la réalité d’Omicron. En effet, il faudrait se situer entre 65 et 149 hospitalisations par jour et entre 300 et 500 lits occupés aux soins intensifs pour passer du rouge à l’orange. Or, on se situe sur la dernière semaine à une moyenne de 365 admissions à l’hôpital, mais 431 patients aux soins intensifs.
Le vice-Premier Georges Gilkinet (Écolo), lui, plaidait jeudi dans Le Soir pour que le prochain Codeco décide de passer du code rouge au code orange. Ce qui n'a pas plu à tous les partenaires de la Vivaldi. Frank Vandenbroucke (Vooruit) réagissait le même jour, s'étonnant d'entendre "des plaidoyers pour sortir du baromètre".
Le Covid Safe Ticket: plus grand monde pour le défendre
S’il y a un outil de lutte contre la pandémie qui ne fait pas l’unanimité, depuis son instauration, c’est bien le Covid Safe Ticket.
Il permet, selon ses défenseurs, soit de pousser les gens à la vaccination, soit de limiter les risques sanitaires. "Si vous voulez entrer dans un café, que votre CST est scanné et que votre résultat est rouge, cela signifie que soit vous n'êtes pas vacciné, soit pas en possession d'un test négatif, soit que vous n'avez pas développé d'immunité. Donc, le risque que vous courez d'être contaminé et de contaminer est plus grand", répétait le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), mardi.
Par contre, le faux sentiment de sécurité, les limites de la vaccination en termes de diminution de la contagiosité, la question de la proportionnalité ou encore les questions éthiques que le CST soulève sont autant d’arguments pour ses détracteurs.
Il a été prolongé jusqu’au 15 avril en Wallonie, ce qui a poussé l’ASBL Notre Bon Droit et plusieurs citoyens à introduire une nouvelle plainte contre le CST wallon devant le tribunal de première instance de Namur.
Et Coronalert, on en fait quoi?

Elle avait beaucoup fait parler d’elle en 2020, mais a quelque peu disparu des radars. Et les autorités ne l’évoquent plus guère. Coronalert est cette application à installer sur son smartphone qui permet à une personne positive de prévenir anonymement les personnes qu’elle a côtoyées, pour autant qu’elles utilisent aussi l’application. Le système, complémentaire au suivi de contacts téléphonique, fonctionne avec le Bluetooth des téléphones.
"L'intérêt principal de Coronalert, c'est de prévenir les personnes que vous ne connaissez pas", précise Axel Legay, concepteur de l'application et expert en cybersécurité à l'UCLouvain. Son utilisation pourrait être indiquée lors d'événements collectifs, avec des jauges élevées. Bien plus en réalité que lors de périodes de forte restriction des contacts. "Par contre, le petit paradoxe de l'application, c'est qu'elle peut en partie soulager et améliorer le suivi de contacts, mais que plus vous jouez le jeu, plus vous envoyez des gens se faire tester", le testing devant alors suivre la cadence.
En pratique, il s'avère que Coronalert est soit sous-utilisée, soit inefficace, c'est selon. Elle demanderait en tout cas une évaluation, si elle devait être remise au goût du jour, selon Erika Vlieghe. Lancée en septembre 2020, l'application avait démarré en fanfare: plus d'un million de téléchargements en deux semaines. Aujourd'hui, le bilan est mitigé. "Ce qui est positif, c'est que le défi technologique est accompli. L'application est stabilisée, très sûre en matière de respect de la vie privée", se félicite Axel Legay.
Ce qui est positif, c’est que le défi technologique est accompli.
Plus de 3,7 millions de personnes l'ont téléchargée. Par contre, qui l'utilise activement? "Cela reste difficile à évaluer. On estime qu'environ 1,5 million s'en servent." Mais seuls 1,6 million de résultats de tests ont été enregistrés par les utilisateurs dans l'application, dont 270 000 tests positifs. Et dans un tiers des cas seulement (89 400 précisément), l'utilisateur a prévenu ses potentiels contacts étroits. Quand on sait que 30 millions de tests ont été réalisés depuis le début de la crise, dont plus de 107 000 ces sept derniers jours, et que plus de 3,2 millions de cas positifs ont été comptabilisés, on mesure à quel point Coronalert est sous-utilisée.
Comment l'expliquer? Le soutien public des autorités n'a pas toujours été évident, surtout au fédéral, selon Axel Legay. Du travail doit être mené en termes d'acceptation et d'éducation aux nouveaux outils digitaux, selon lui. Une certaine méfiance subsiste. Et puis, à mesure que les mois passent et que les outils de lutte contre la pandémie s'accumulent, "il faut comprendre que les gens n'aient pas envie de l'utiliser. Ils ont envie de penser à autre chose, c'est compréhensible", reconnaît Axel Legay.