Bénédicte Linard: "On a gagné des batailles"
La ministre de la Culture nous a accordé une heure pour évoquer son bilan, mais aussi le baromètre, entré en application hier, et les aides accordées aux opérateurs culturels.
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Publié le 29-01-2022 à 08h00
Bénédicte Linard respire un peu mieux depuis ce vendredi et la réouverture presque complète – les concerts debout restent proscrits – d’un secteur culturel qui a parfois critiqué son (in)action en temps de pandémie mais qui a, plus que jamais, besoin de l’aide de son ministère pour relancer la "machine". La ministre francophone de la Culture nous a reçus dans le cadre lumineux et aéré de son cabinet bruxellois pour évoquer deux (grosses) années d’un mandat agité.
Bénédicte Linard, vous ne vous dites jamais que vous êtes devenue ministre de la Culture au pire des moments?
Je ne pense pas. Parce que, crise ou pas, ce qui balaie ma législature, c’est l’idée d’offrir accès à la culture au plus de monde possible, dès le plus jeune âge. Et on a remarqué, pendant cette crise, qu’on a plus que jamais besoin de culture, notamment les plus jeunes. C’est pourquoi je me suis battue, depuis le début de la pandémie, pour la garder ouverte. Pour les opérateurs culturels, bien sûr, mais aussi pour leurs usagers.
Ce n’est pas parce qu’on est ministre qu’on doit perdre le bon sens
Les critiques ne vous ont pas épargnée, au moment du premier confinement: vous étiez jugé trop «absente». Vous comprenez ces critiques?
On a tous été surpris par ce qui nous tombait dessus, qu’on soit citoyen ou politique. Donc, les débuts ont été plus compliqués, effectivement. Il a fallu prendre conscience, non seulement de ce qui arrivait, mais aussi de comment on pouvait trouver les réponses politiques dans un pays très morcelé au niveau institutionnel. Mais, en travaillant main dans la main avec le secteur culturel, on a quand même gagné des batailles: après le premier confinement, par exemple, il n’y a plus jamais eu de fermeture des librairies, ni des bibliothèques; et au deuxième confinement, à l’hiver 2020, on a réussi à garder les musées ouverts alors que partout en Europe, cet accès était refusé. Puis les événements tests, eux, nous ont fait gagner la bataille de conviction: ils signifiaient que les lieux de spectacle étaient des lieux sûrs. Ce qui a changé la donne, c’est Omicron: il a refait pencher la balance dans l’autre sens avec des décisions qui n’étaient pas correctes, en décembre.
Vous avez, à ce moment-là, publiquement soutenu la rébellion du secteur: c’était assez singulier de la part d’une ministre…
Ce n’est pas parce qu’on devient ministre qu’on doit perdre le bon sens. Moi, j’ai toujours été animée par la justice sociale. Je suis d’une grande loyauté par rapport à mon gouvernement, et c’est pareil vis-à-vis du Codeco. J’essaie d’appliquer à chaque fois les décisions qui sont prises, mais une ou deux fois, dans cette crise, elles étaient non acceptables et démesurées. Donc, bien sûr, il faut respecter les règles, mais quand l’une d’entre elles est vraiment discriminatoire, on peut avoir le droit de la dénoncer. Mais je n’ai pas été la seule à soutenir le secteur: le public n’a jamais été aussi nombreux à se rendre dans les lieux culturels qu’à ce moment-là…
C’est un bon baromètre, qui évite cette logique de discrimination d’un secteur par rapport à un autre
Finalement, le baromètre tant réclamé est arrivé: à temps ou trop tard?
C’est un outil de prévisibilité fondamental. Quand on va voir une pièce ou un film sur un écran, il y a des mois et des mois de travail en amont. Quand une pièce est jouée, c’est parce qu’un an avant, une programmation s’est faite, et que deux ans et demi auparavant, des gens ont créé cette pièce. Est-ce qu’il vient trop tard? Il a le mérite d’exister même si, cet été, on avait déjà travaillé sur un outil similaire et potentiellement utilisable, notamment pour le secteur culturel… Soit. C’est, à mon sens, un bon baromètre, parce qu’il est en phase non seulement la réalité du secteur culturel, mais aussi d’autres secteurs auxquels il touche: les activités de jeunesse, le sport, l’horeca. Et il évite cette logique de discrimination d’un secteur par rapport à un autre qui a été si souvent décriée.
Certains, comme au Théâtre royal des Galeries, estiment que les chiffres à atteindre en terme de qualité d’air (990 ppm) sont inapplicables: seront-ils contrôlés?
La question de la qualité de l’air est une question de santé publique, même en dehors de la crise. Mais ce qui se trouve dans le baromètre, c’est une valeur cible de, en effet, 900 ppm. Par contre, ce n’est pas une valeur obligatoire. Cela veut dire qu’en fonction de certaines circonstances, on peut déroger à cette valeur. Par exemple, si on se trouve entre 900 et 1 200 ppm, on peut, avec un plan d’action, tenir ses activités. Et en zone orange, on pourra même aller jusqu’à 1 500 ppm.
Le secteur culturel n’a jamais dit qu’il voulait faire fi de la crise
Et les contrôles: qui les effectuera?
Bonne question (elle sourit). En fait, j’ai envie de le tourner positivement: le secteur culturel n’a pas envie de faire l’inverse de ce que nous dicte le bon sens. Il est d’accord pour aller vers une meilleure qualité de l’air. Certains sont déjà équipés, d’autres se sont mis en chemin, ou sont prêts à le faire, mais il faut aussi laisser le temps: il n’est pas toujours possible de faire ces travaux en 6 ou 12 mois. Et nous sommes là pour permettre à ceux qui n’en ont pas les moyens de s’équiper: nous avons voté une aide pour ça.
Ce baromètre est-il la garantie de ne plus jamais fermer le secteur culturel?
De ce que je vois de ce baromètre, la réponse est oui… sauf si toute la société doit se refermer et repartir en lockdown. Mais alors, ce sera pour tout le monde. Or, on est en zone rouge, c’est la phase la plus critique du baromètre… et le secteur rouvre entièrement, ou presque. Donc, oui, on peut parler de garantie même si, bien sûr, il y a des conditions à respecter. Et c’est normal: le secteur n’a jamais dit qu’il voulait faire fi de la crise.