« Une réduction d’impôt, ça parle aux jeunes »
Pour encourager les jeunes à se lancer dans un métier en pénurie, le président de l’UCM propose de créer un statut fiscal avantageux, en début de carrière.
Publié le 25-09-2021 à 07h00
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Alors que vingt jeunes défendent actuellement nos couleurs nationales au championnat européen des métiers manuels Euroskills, le président de l’Union des classes moyennes, Pierre-Frédéric Nyst, a son idée pour encourager les candidats à se tourner vers les métiers en pénurie.
Sa proposition: miser sur la fiscalité. « Cela fait des années qu'on tourne en rond sur cette question. Alors, je jette un pavé dans la mare: pourquoi ne pas réduire de moitié l'impôt que paie un travailleur actif dans un métier en pénurie, pendant ses cinq premières années de carrière? Concrètement, plutôt que de payer 5 000 euros d'impôt, il n'en paierait que 2 500. »
Un incitant financier ne résoudra pas les problèmes d'attractivité et de notoriété de ces métiers, mais cette piste peut faire partie des solutions. «La première chose à faire évidemment, c'est d'éduquer les gens en leur disant que travailler n'est pas nécessairement un enfer. Je crois beaucoup en ce discours. Le problème, c'est qu'il faudrait une génération pour résoudre cet aspect-là, estime le président de l'UCM. Avec le projet de reconstruction de la Wallonie suite aux inondations, on va toucher certaines personnes, c'est clair. Mais par contre, il y a des métiers en pénurie qu'on peine vraiment à vendre auprès des jeunes. Je pense aux formations de boucher, de boulanger. Un emploi qui nécessite de travailler la nuit, les jeunes n'en ont pas envie.»
Viser le long terme
Ce n’est bien sûr pas la première fois que l’argument financier est avancé. Récemment, le ministre wallon de l’Économie, Willy Borsus (MR), a proposé que les demandeurs d’emploi qui se forment à un métier en pénurie reçoivent une prime de 2 000 euros nets, contre 350 euros actuellement.
«C’est mieux que rien. Mais contrairement à la prime, un avantage fiscal, c’est du long terme. Je pense que c’est ce qui peut parler aux jeunes. Si on regarde l’ensemble de la carrière, c’est quand vous vous lancez dans la vie que vous avez besoin de beaucoup d’argent: vous achetez une maison, vous fondez une famille, etc. Avoir ce type d’incitant pendant cinq ans plutôt qu’une simple prime a tout son intérêt.»
La mesure peut toutefois sembler discriminatoire vis-à-vis des autres travailleurs du secteur et, plus généralement à l'égard de tous les Belges censés être égaux face à l'impôt. «En même temps, on a déjà des niches fiscales sur d'autres sujets, on a déjà fait des particularismes.»
Associée à d’autres mesures, cette piste pourrait clairement porter ses fruits, estime l’UCM.
«Si on ajoute à cet incitant une forme de compagnonnage – soit des jeunes épaulés par des plus âgés –, davantage de journées portes ouvertes dans les entreprises, et pourquoi pas un vrai label d’artisan de Wallonie, on est en bonne voie.»

À L’IFAPME (Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et petites et moyennes entreprises), on forme des jeunes, dès l’âge de 15 ans, mais aussi des adultes. Les métiers en pénurie, qui occupent une large part de l’éventail de formations, ne constituent pas un phénomène nouveau.
«Les causes de ces pénuries relèvent notamment d'une désaffection pour les métiers techniques, d'un déficit de notoriété, ou encore de la pénibilité du travail», avance Raymonde Yerna, administratrice générale de l'IFAPME.
La plupart de ces métiers sont, par ailleurs, encore très genrés, ce qui peut représenter un frein pour beaucoup de femmes. À titre d'exemple, un tiers des métiers en pénurie concerne le secteur de la construction, lequel emploie un très faible pourcentage de femmes. «La preuve: sur les 3 000 apprenants que nous formons, nous ne comptons que 40 femmes.»
Génération de l’immédiateté
Face à ce manque d’engouement pour les métiers en pénurie, quelles solutions faut-il envisager?
«En tout cas, dire aux jeunes: "Viens te former à un métier en pénurie, tu auras un avantage fiscal", ce n'est pas ça qui va les faire venir, estime Raymonde Yerna. Il n'y a pas de solution miracle, c'est une combinaison de facteurs qui permettra d'avancer. Je pense qu'il faut notamment travailler sur la communication. Les jeunes sont en recherche de sens et ont une nouvelle approche du travail et de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Il faut les faire rêver, en évoquant des défis sociétaux, environnementaux. L'exemple le plus parlant, c'est évidemment l'enjeu de la reconstruction de la Wallonie.»
La démystification de ces métiers, qui souffrent encore d'une mauvaise réputation, fait aussi partie des enjeux. «On pense encore que les métiers techniques, c'est les mains dans le cambouis, avec des emplois qui sont mal payés. Or, ce n'est pas le cas.»
Quant aux incitants financiers, ils peuvent bien entendu jouer un rôle. «Il n'y a rien à faire, ce que veulent les jeunes, c'est un pouvoir d'achat. La nouvelle génération est celle de l'immédiateté.» Notre interlocutrice salue, à cet égard, la revalorisation de la prime à la formation, proposée par le ministre Borsus.
Dans cette optique d'avantage financier, l'IFAPME a également décidé de rembourser les formations d'adultes des filières de la construction, de l'électricité et du bois, «parce qu'on en a vraiment besoin».
Des avantages pendant la formation
Les aides peuvent provenir des pouvoirs publics, mais aussi des secteurs. Dans le cadre du plan de reconstruction de la Wallonie, le domaine de la construction l’a bien compris, puisqu’il s’engage à augmenter de 100 euros par mois la rétribution mensuelle des apprentis. Un jeune qui débute sa formation recevra donc 376 euros par mois, au lieu de 276 euros. Cette revalorisation peut même atteindre 1 000 euros pour les adultes en formation.
Quant à l'idée de proposer un incitant financier pendant les cinq premières années de carrière d'une personne qui choisit un métier en pénurie, Raymonde Yerna émet quelques réserves. «Je crois qu'il est plus intéressant de percevoir une rétribution, des avantages financiers, pendant la formation. Si vous dites à nos jeunes qui ont 15-25 ans qu'ils percevront un avantage dans 4 ans, ça ne leur parlera pas, car ça leur semble loin. Il faut les attirer aujourd'hui, et les incitants peuvent les amener à réfléchir.»

«J'ai quand même l'impression que l'enjeu principal, pour les métiers en pénurie, c'est la formation. Ce n'est pas une mesure fiscale qui va faire en sorte qu'il y aura plus de plombiers ou de bouchers en Belgique, avance Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l'UCLouvain. Cela dit, Pierre-Frédéric Nyst a raison, il faut trouver des solutions.»
Edoardo Traversa s'interroge néanmoins sur la pertinence de l'outil fiscal, face à cette problématique. «La question sera notamment de savoir comment on définit un métier en pénurie, car la liste des métiers change relativement régulièrement.»
La mise en place d'un incitant fiscal pourrait aussi avoir un impact délétère sur d'autres professions. «Concrètement, on ne sait jamais, quand on le lance, quels seront les impacts d'un avantage fiscal.»
Et puisque nous sommes en Belgique, la notion de répartition des compétences sur cette matière risque également d'être complexe. «Car l'emploi est une compétence régionale, alors que la fiscalité relève du fédéral.»
Tenir compte des adultes
Plus fondamentalement, un tel avantage fiscal est-il réellement discriminatoire? Il ne s’agirait pas d’un obstacle important.
«Des mesures fiscales ont déjà été prises pour la réinsertion professionnelle de travailleurs situés dans des régions qui ont connu des drames économiques par exemple.»
Plus simplement, l'économiste Philippe Defeyt cite, pour sa part, «l'exonération d'impôt des heures supplémentaires» dans les secteurs critiques ou cruciaux.
À l’instar d’Edoardo Traversa, Philippe Defeyt estime par ailleurs que le focus doit être mis sur la formation, et non sur le début de carrière. Les incitants financiers sont une piste à développer, mais plutôt au moment des études. Cela vaut aussi pour les adultes en reconversion.
«Je pense que les personnes doivent prioritairement être soutenues pendant la période des études parce qu'en général, quel que soit le modèle, le fait d'être aux études durant sa vie active réduit de manière significative vos revenus disponibles. Soit vous devez compter sur votre conjoint, soit sur une allocation de chômage, soit vous n'avez rien.En se focalisant sur la formation, je crois que c'est là qu'on peut être efficace. L'avantage, c'est qu'on est sans doute moins soumis aux changements de comportement aléatoires de nouveaux travailleurs, qui percevraient un avantage fiscal pendant cinq ans.»