DÉCRYPTAGE | Fin de carrière: les prépensions sont-elles en voie de disparition?
L’accès aux RCC (ex-prépensions) ne sera pas assoupli. Le nombre de prépensionnés continue de diminuer. La fin d’un système?
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- Publié le 14-06-2021 à 06h00
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Elles ont été mises sur la table des négociations de l’accord interprofessionnel. La FGTB voulait des RCC (ex-prépensions) dès 58 ans (au lieu de 60), en cas de restructuration et de métier lourd. Il n’en sera rien. On s’en tient à la trajectoire, dit l’accord dégagé mardi passé entre patrons et syndicats.
«On savait qu'il y avait peu de chance que ça passe auprès des patrons. Et des partis de la majorité y sont opposés, note Thierry Bodson (FGTB). On risquait de le payer sur d'autres dossiers.» Les syndicats ont ainsi notamment obtenu une hausse du salaire minimum.
Conditions restrictives
Le système des prépensions (aujourd'hui chômage avec complément d'entreprise) est mis en place en 1974. «Le chômage battait son plein. L'idée: faire partir les travailleurs âgés pour permettre aux jeunes de trouver un emploi et faire baisser le chômage», explique Maxime Fontaine, chercheur en finances publiques à l'ULB. Les conditions sont attractives pour le travailleur (un complément est versé par l'entreprise), et cela permet à l'entreprise d'arrondir les angles lors de restructuration. Le succès est au rendez-vous.
Mais voilà. Face à une population vieillissante, une sécurité sociale à financer, et des prépensions qui pèsent lourd (1,6 milliard en 2012), les restrictions ont été renforcées. Décidées sous Di Rupo, elles ont vécu un tour de vis sous Charles Michel. Ainsi, pour les RCC liés aux restructurations par exemple, il faut à présent 60 ans, contre 50 ans en 2011.
Si bien que le nombre de candidats diminue depuis 10 ans. En 2020, ils étaient en moyenne 42 636 RCC selon l’ONEM: 25% de moins par rapport à 2019 (et -65% par rapport à 2010). En 2021, ils ne devraient être plus que 34 810. Deux raisons: une baisse des flux rentrants, suite aux limitations successives. Il y a eu, en 2020, 3 365 nouveaux entrants (-76% par rapport à 2011). Mais aussi une hausse des flux sortants. Depuis 2019, les RCC peuvent partir en pension anticipée. Jusque-là, les sorties avant 65 ans (âge de la pension) étaient quasi inexistantes.
Disparu dans 5 à 10 ans
Et si aujourd'hui, la N-VA ou l'Open Vld y sont réticents, c'est parce que «les réalités communautaires sont différentes, note Maxime Fontaine. En Flandre, on est presque au plein-emploi, la main-d'œuvre manque. Laisser partir des gens du marché est problématique. La situation n'est pas la même à Bruxelles et en Wallonie.» Et de relever «Paradoxalement, la Flandre bénéficie davantage du système. On est à 681 millions de dépenses en prépensions pour la sécurité sociale. 72% vont à la Flandre, 26% à la Wallonie et 2 à Bruxelles. Il y a plus de RCC en Flandre, car il y a plus d'emplois, d'âgés, de carrières longues, le marché y étant plus stable. Malgré tout, il y a la volonté d'un taux d'emploi à 80% pour booster les rentrées fiscales.…»
Pour le chercheur, «le système tel qu'il est disparaîtra d'ici 5-10 ans. À moins d'une 7e réforme de l'État. Pas impossible alors que les prépensions passent aux régions. La Flandre pourrait arrêter le système et la Wallonie, plus sensible, le réactiver.»
Réactions syndicale et patronnale
La réaction syndicale «Un cheval de bataille»
Pour Thierry Bodson, président FGTB, «les prépensions doivent rester un cheval de bataille. Car si l'espérance de vie s'allonge, l'espérance de vie en bonne santé stagne. Et les prépensions sont utiles pour les métiers lourds, le travail de nuit ou les restructurations. C'est bien beau, patrons et libéraux, de dire que ce système n'est pas bon mais qu'ils proposent une alternative…»
Marie-Hélène Ska, secrétaire générale CSC, ajoute: «Nous voulons des solutions pour les entreprises en difficultés. Car si les mesures Covid vont jusqu'au 30 septembre, quid après? Les prépensions sont et seront utiles.» De noter néanmoins que le système RCC est peu flexible: «On peut très vite se retrouver hors conditions. Les crédit-temps sont plus flexibles. Il faut trouver des solutions à perspectives.»
Pour la CGSLB, «c'est la solution du moindre mal. On veut bien augmenter l'emploi des personnes âgées mais cela suppose qu'ils y en aient et qu'ils soient adaptés! Celui qui veut travailler plus longtemps, qu'il le fasse mais il faut laisser souffler ceux qui n'en peuvent plus. Et les RCC sont une partie de la solution.» La CGSLB parle d'hypocrisie de la part des patrons: «ça les arrange bien d'amortir des restructurations, d'éviter les grèves, via les prépensions mais ils ne le crient pas sur tous les toits. Or, après, ils utilisent les prépensions comme monnaie d'échange pour nos autres revendications.» Selon la CGSLB, les prépensions restent une «nécessité face aux probables restructurations à venir». Certains défenseurs du système notent enfin que si le nombre de RCC diminue, ce n'est pas le cas des malades longue durée et y voient un parallèle. Selon la CSC, on devrait en parler à la conférence Emploi de septembre.
La réaction patronale: «Le système est obsolète»
Pour la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), les chiffres RCC évoluent dans le bon sens. «Dans les années 70, on était convaincu que pousser les travailleurs âgés vers la sortie ferait de la place aux jeunes. Or, il a été démontré que ce n'était pas le cas, réagit Marie-Noëlle Vanderhoven, spécialiste fins de carrière à la FEB. On s'est rendu compte que ces régimes étaient de plus en plus utilisés comme un droit où on frappe à la porte de son patron pour demander à être prépensionné. On est contre ce système car cela pousse les gens prématurément vers la sortie.»
Si le système est intéressant financièrement pour le travailleur, reconnaît la 1re conseillère FEB, «cela rend les travailleurs plus âgés moins attractifs sur le marché». Ce système «tel qu'il est conçu est voué à disparaître, il est devenu obsolète. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres choses à faire pour adapter les fins de carrière. Je pense à la pension à temps partiel. Tout ce qui permet de garder un pied dans l'emploi est meilleur qu'une sortie.»
Marie-Noëlle Vanderhoven embraye sur les métiers lourds: «La sortie n'est pas forcément la solution pour tous. Je peux concevoir qu'une infirmière ne travaille pas aux urgences jusqu'à 65 ans, mais peut-être dans un poste administratif?» Mais que faire quand des entreprises rechignent à engager des +55 ans? «Un changement de mentalité est nécessaire. Il faut accepter de travailler plus longtemps – il faut bien payer la sécurité sociale – et tout le monde doit faire des efforts. Y compris les employeurs.» Quid des RCC en cas de restructuration, qui permettent aux employeurs de proposer «une issue sociale acceptable»? «C'est une question difficile», admet la conseillère FEB.