Le mal-être d’une jeunesse confinée
Entre solitude, anxiété et besoin d’engagement:cette crise a profondément marqué les jeunes. Analyse.
Publié le 14-12-2020 à 07h00
:focal(544.5x371.5:554.5x361.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/XKSRCK7JPFA4HBF636O3S7UYHE.jpg)
Fabienne Glowacz, en tant que professeure de psychologie à l’ULiège, vous avez participé à l’élaboration du livre «Bouches émissaires». Les jeunes qui s’expriment dans l’ouvrage regrettent souvent le manque de contacts sociaux pendant le confinement. Pourquoi sont-ils si importants, à cet âge-là?
Les périodes de l’adolescence et de transition adulte sont vraiment caractérisées, d’un point de vue développemental, comme étant des temps d’autonomisation, d’expérimentation et d’exploration des espaces sociaux extérieurs à la famille. C’est au travers des interactions avec ses pairs, de partages d’expériences, de la participation à des événements collectifs que le jeune se construit, se forge son identité, ses valeurs, ses choix. La restriction des contacts peut les plonger dans un sentiment de vide intérieur et extérieur.
En quoi ce besoin de contacts sociaux est-il si différent de celui des adultes, qui sont également assez isolés ?
Je dirais que l’adulte est à une autre étape de son développement, il a d’autres sphères d’épanouissement: le couple qui est davantage établi, la parentalité, la poursuite de contacts au niveau professionnel. Il est dans une autre étape de sa vie, et dans d’autres besoins également.
La jeunesse est face à une crise inédite. Cette génération a-telle perdu son insouciance ? Peut-on parler de «jeunesse sacrifiée»?
Je m’oppose un peu à l’emploi du terme «sacrifiée», qui implique des représentations négatives. Les jeunes ont été oubliés dans les politiques de gestion de la crise et ce depuis le début. Nos jeunes sont plutôt mis en «hibernation», privés et amputés de tous les espaces au sein desquels ils peuvent se déployer, s’exprimer, s’émanciper.
Mais cette insouciance, cette spontanéité, pourront de nouveau s’exprimer par la suite. En parallèle, j’ai relevé, dans mes études, qu’une conscience sociale a émergé chez les jeunes, dans le contexte de la crise. Celle-ci se traduit notamment par la perception des inégalités sociales pour traverser la crise, des injustices qui donnent lieu, entre autres, à une volonté de s’engager dans la société et d’y prendre une place active.
Ce livre dévoile également l’anxiété qui anime certains jeunes. S’agit-il d’un public à risque ?
Les études montrent que les adolescents et les jeunes adultes sont fortement fragilisés psychologiquement par la crise et les mesures sanitaires. Ils présentent des symptômes d’anxiété, de dépression et de détresse psychologique.
Pour quelles raisons?
Si l’on prend le cas des jeunes adultes, la moitié d’entre eux sont étudiants et ont été affectés par les mesures du gouvernement:l’enseignement à l’arrêt et à distance, la perte des contacts quotidien avec les pairs, la perte des jobs d’étudiants. Les 18-30 ans sont ceux qui rapportent le plus de pertes sociales. Pour certains d’entre eux, la crise a aussi amené une forme de «régression obligée»: par manque de moyens, des jeunes ont été contraints de retourner chez leurs parents ou de dépendre de services sociaux, les amenant à un état dépendance à contresens de ce à quoi ils aspirent.
Les jeunes sont souvent taxés d’égoïsme dans cette crise. Or, dans ce livre, on perçoit à quel point ils sont inquiets pour leur entourage.
Tout à fait. Je m’insurge complètement contre cette image de jeunesse égoïste, qui ne correspond pas à la réalité. À cet égard, les médias ont d’ailleurs leur part de responsabilité, car dès qu’il y a une transgression, celle-ci est pointée du doigt et grossie. Or, ces événements ne sont pas représentatifs du comportement des jeunes. Cela réactive de vieux stéréotypes, notamment celui d’une jeunesse qui ne respecte rien. Mais au contraire, si les jeunes acceptent ces mesures de privation, c’est par attention bienveillante et altruisme à l’égard de leurs proches, de leurs aînés, de leurs parents et grands-parents. Il y a une réelle empathie et une solidarité de la part des jeunes, qui est d’ailleurs trop peu saluée.
Scan-R, «Bouches émissaires. Jeunesses confinées», Les éditions namuroises.