DÉCRYPTAGE | L’accord du gouvernement Vivaldi au crible: vers une mobilité «en tant que service»
Le gouvernement entend promouvoir une «mobilité en tant que service», et les modes de transports partagés. Avec un gros focus sur le rail.
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- Publié le 07-10-2020 à 07h12
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«Il y a beaucoup trop de compétences régionales, et même communales, au niveau de la mobilité. Touring attendait du Fédéral qu'il mette en place un système global. On le demande depuis très longtemps mais c'est toujours la même lasagne institutionnelle», commente, un peu désabusé, Lorenzo Stefani, porte-parole de l'organisation d'assistance automobile, qui se veut acteur de la mobilité en Belgique.
Cette gestion plus interfédérale de la politique des transports, François Bellot, ministre sortant de la Mobilité, a bien tenté de la rétablir, sans grands résultats. Pour le code de la route ou des déplacements qui traversent le pays d’un trait, une vision unitaire se justifie. Mais ce pragmatisme ne se retrouve pas dans l’accord gouvernemental.
On y trouve néanmoins de louables lignes directrices. «S’agissant de la mobilité, le gouvernement prendra toutes les mesures utiles pour favoriser les déplacements les plus respectueux de l’environnement», est-il écrit dans l’introduction. Avec l’annonce d’une «politique de grands investissements», notamment dans la mobilité, en favorisant le «transfert modal» vers les moyens de transport partagés.
Toutes à l’électrique
Ces investissements, «en accord avec le régional», doivent aussi «permettre d’utiliser des véhicules électriques dans un réseau électrique flexible», en boostant «le développement de l’infrastructure nécessaire et les échanges de données». La volonté affirmée du gouvernement est de «supprimer, à terme, la vente de voitures qui ne répondent pas à la norme de zéro émission». En commençant par obliger les voitures de sociétés à être «neutres en carbone» d’ici 2026 (voir ci-contre).
«Une mobilité fluide et durable est primordiale pour notre économie, ainsi que pour la liberté et la qualité de vie des citoyens», lit-on plus loin. Mais les automobilistes, ou les transporteurs, ne sont pas près de voir disparaître les embouteillages qui empoisonnent leur vie et l'économie. Le niveau Fédéral s'étant délesté de la plupart des compétences en matière de mobilité, il ne reste plus guère qu'à espérer que le développement du rail viendra délester la congestion des routes. Et là, l'accord Vivaldi consacre un long chapitre à des promesses d'investissements qui devraient, enfin, rendre le train plus attractif.
Investissements dans le rail
«On ne peut qu'être satisfait quand on lit qu'on va réinvestir dans le rail, aussi bien du côté d'Infrabel que de la SNCB», commente Gianni Tabbone, porte-parole de l'association d'usagers Navetteurs.be. «Soulagement aussi», dit-il, de lire que «le gouvernement attribuera directement à la SNCB, pour une durée de dix ans (jusqu'en 2033), la mission de service public d'opérateur du transport de personnes par chemin de fer dans notre pays, pour l'ensemble du réseau ferroviaire.» «L'entreprise reste dans le giron public et va pouvoir envisager l'avenir à plus long terme», souligne Gianni Tabbone.
«Maintenant, quand on entend parler de tests liés à certaines régionalisations, nous sommes aussi inquiets.», ajoute le porte-parole. L'accord Vivaldi prévoit, en effet, que «en Flandre comme en Wallonie, un projet pilote pourra être mis en œuvre dans un bassin de mobilité, où un seul opérateur pour le réseau principal et le réseau secondaire pourra être désigné par voie d'appel d'offres.» «On n'en est, bien sûr, qu'au stade des hypothèses mais ça nous inquiète, conclut Gianni Tabbone. On a un peu peur que, à terme, le réseau ferroviaire soit scindé.»
Permis à points: «Pas un miracle»

Avec le permis à points, c’est une vieille idée qui a ressurgi dans l’accord de gouvernement Vivaldi: une loi instaurant ce système a, en effet, été votée il y a 30 ans (1990, quasi en même temps que la France), sans que les arrêtés d’application ne voient jamais le jour. La Belgique reste parmi les rares pays européens où le permis à points n’a pas court. À l’instar de la Suède ou de la Suisse, qui ce ne sont pourtant pas des mauvais élèves de la sécurité routière.
Pour l'heure, il n'est encore question, dans le texte de l'accord, que de lancer une «étude sur le rôle du permis de conduire à points comparé à d'autres pays». Une telle étude (à laquelle s'ajoutera une autre sur l'utilisation des détecteurs de radar) avait pourtant été menée par l'Institut Vias en mai 2018. Et elle avait conclu de manière plutôt négative. «C'était Ok sur le principe, parce qu'on voit que ceux qui perdent tous leurs points sont les récidivistes et qu'il faut les sanctionner, mais la conclusion à ce moment-là était que le risque de se faire contrôler était insuffisant », explique Benoît Godart, chez Vias, qui va donc «réactualiser» cette étude, en comparant davantage de pays que les trois choisis précédemment. 24 pays en Europe ont le permis à points, mais avec des systèmes parfois différents.
Actuellement, seuls 19% des automobilistes belges sont contrôlés chaque année, selon Vias. L'accord Vivaldi veut aller plus loin, précisant «qu'un conducteur sur trois sera contrôlé chaque année pour vérifier sa vitesse, la consommation d'alcool ou de drogues, le port de la ceinture de sécurité et l'usage du téléphone portable au volant.»
«Mais c'est quoi être contrôlé? C'est passer devant un radar fixe?», interroge Benoît Godart, soulignant que, sans contrôles, le permis à points n'est efficace «qu'à court terme» et que, pour autant, «ce ne sera jamais une solution miracle». En France, tout n'est pas rose, dit-il, avec l'augmentation des personnes qui roulent sans permis et un trafic de revente des points.
Pas à l’aveugle
Son inquiétude rejoint la position, nettement plus tranchée, de Touring qui se dit «opposé à un système à l'aveugle où l'on retire des points à chaque infraction», explique Lorenzo Stefani, le porte-parole. «Ça doit être accompagné d'une possibilité de recours. En Angleterre, c'est un juge qui décide de retirer les points.»
En analysant les statistiques en France, on constate que les infractions routières n'ont pas chuté. Le nombre de points retirés sur les permis a même doublé entre 2005 et 2018, ce qui laisse douter de l'efficacité «exemplative» d'un système «qui sert aussi à faire de l'argent», déplore Lorenzo Stefani.
L'accord gouvernemental vise l'objectif de réduire de moitié le nombre de morts sur les routes d'ici 2030 et de parvenir à la «vision zéro», soit aucun mort sur les routes, d'ici à 2050. Un terme éloigné, quand Bruxelles, par exemple, a fixé sa vision zéro à 2030. «2050, c'est la date où l'on aura les voitures autonomes», explique Benoît Godart. L'automatisation, plutôt que d'avoir des «usagers 5 étoiles», bien formés, comme le revendique Touring.
Plus d'autonomie tarifiare
Amélioration de la ponctualité des trains, de l'offre des services (y compris plus de correspondances en soirée, la nuit et le week-end), du confort, de l'accessibilité (également via le vélo en vue d'une mobilité multimodale), des infrastructures, de l'internet dans les trains, de la sécurité, de la rentabilité, de la productivité…: le catalogue d'intentions est séduisant.
Le système tarifaire sera, lui, «fortement simplifié». Le tarif le plus avantageux sera systématiquement proposé au voyageur et la flexibilité sera recherchée. Surtout la SNCB «disposera d'une autonomie accrue en la matière tarifaire». Ce qui inquiète Navetteurs.be, qui voit se profiler une tarification différente selon les heures. «La SNCB pourrait en profiter pour augmenter les tarifs aux heures de pointe». Gianni Tabbone préfère une diminution en heures creuses. «L'idée ne nous paraît pas choquante mais n'est applicable que pour les billets standards, pas les abonnements.»
«La priorité absolue dans l'attribution des moyens de dotation ira à l'amélioration du service aux voyageurs (rapidité, ponctualité, confort, offre, accessibilité)», précise l'accord. Et surtout, il y aura des investissements qui, dans la vision 2040, se concentreront sur la modernisation du matériel roulant, des gares et des quais, rendus plus accessibles aux personnes en situation de handicap.
Que des véhicules «zéro émission»
«Zéro émission» ou «neutre en carbone»? Ce n'est pas la même chose, souligne la Febiac, la fédération belge de l'Automobile: les émissions, c'est bien plus que le CO2.
Ainsi, en son chapitre mobilité, l'accord de gouvernement précise que, à terme (mais sans préciser quand), «il autorisera uniquement la vente de véhicules zéro émission». Avec des conditions: «qu'il y ait sur le marché suffisamment de voitures à coût abordable», «que des analyses sur le cycle de vie soient disponibles» et surtout en tenant compte «de l'incidence de cette transition sur les finances publiques», et notamment l'impact des accises. Pas un point de détail!
La transition vers l'électrique s'initiera de toute façon, comme annoncé, par le biais des nouveaux véhicules de société qui «devront être neutres en carbone d'ici à 2026».
Le gouvernement examinera «comment procéder de la même manière pour les bus, les taxis et la mobilité partagée.» Et il mettra en place un cadre permettant à ceux qui n'ont pas de voiture de société de recevoir un budget mobilité de leur employeur.
Au rayon transports individuels, quelques mesures concernent aussi la bicyclette. Le gouvernement annonce une indemnité vélo pour ceux qui l'utilisent pour aller au travail, une intensification de la lutte contre le vol et la mise en place d'un registre national, sur base volontaire.