VIDÉO | Crise au MR: «Ce que Georges-Louis Bouchez a voulu faire n’est pas nouveau au MR»
Pour le politologue Pierre Vercauteren, les tensions qui émaillent depuis plusieurs jours l’actualité interne au MR font écho, notamment, à l’une des particularités historiques de ce parti. Décryptage.
Publié le 06-10-2020 à 18h37
Réuni lundi soir en bureau de parti, le MR a donc pris la décision d'installer un groupe de « sages », le G11, afin d'encadrer dorénavant la présidence de Georges-Louis Bouchez, lequel était sur la sellette depuis plusieurs jours, en raison du casting ministériel particulièrement contesté en interne.
Professeur à l’UCLouvain et membre de l’Institut de Sciences Politiques Louvain Europe (ISPOLE), Pierre Vercauteren revient sur cette actualité récente interne au MR, et évoque les raisons qui ont poussé les éminences du parti à prendre une telle décision.
«Ce que Georges-Louis Bouchez a voulu faire n’est donc pas nouveau»

Pierre Vercauteren, peut-on parler de crise pour qualifier la situation dans laquelle le MR s’est retrouvé ces derniers jours ou s’agit-il de simples remous?
On peut parler d’une crise dans la mesure où les tensions ont atteint un certain point. Ces tensions que l’on observe aujourd’hui datent d’avant la question des désignations de ministres. On l’a vu notamment lors des négociations de l’accord gouvernemental, durant lesquelles Sophie Wilmès a été envoyée afin de négocier aux côtés de Georges-Louis Bouchez, sans quoi il y avait manifestement un risque de voir certains partis rejeter le MR dans l’opposition.
Ces tensions en interne rappellent inévitablement ce que l’on a connu ces dernières années au sein du MR avec, notamment, celles ayant opposé le clan Michel au clan Reynders. S’agit-il en fin de compte de quelque chose propre au MR?
Pas forcément. Certains partis donnent plus d’importance au collectif, comme Ecolo par exemple (NDLR: où, pour rappel, les désignations se font par le biais d’un bureau politique). Il est vrai que, traditionnellement, les présidents ont une grande influence dans la politique belge. On les appelle d’ailleurs les belles-mères de la politique. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils sont omnipotents au sein leur propre parti. On se souvient en effet que lors de la présidence exercée par Didier Reynders, un groupe baptisé Renaissance s’était constitué pour surveiller en quelque sorte l’action de leur président (NDLR: accusé à l’époque d’isoler le parti et de négliger la dynamique interne de celui-ci). En fonction donc des partis, mais aussi des personnalités, ou même du contexte, on aura des situations différentes.
Il est vrai que les présidents ont une grande influence dans la politique belge. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils sont omnipotents au sein leur propre parti.
Ce qui semble agacer certaines personnalités du parti est la méthode employée par leur président. Les termes «autocratie» ou «hyperpersonnalisation» ont d’ailleurs été entendus dans la bouche de certaines éminences du parti pour qualifier son action…
Il y a un aspect qu’il faut prendre en compte lorsque l’on parle du MR. Il est l’hériter du parti libéral, lequel était le premier parti politique fondé en Belgique, au XIXe siècle. C’est un parti au sein duquel on retrouve de fortes personnalités et où l’individu a parfois tendance a primé sur le collectif. Le rôle et la personnalité du président du parti sont donc très importants. On l’a vu d’ailleurs avec Jean Gol ou Louis Michel, qui ont véritablement marqué de leur empreinte la gestion du parti. Ce que Georges-Louis Bouchez a voulu faire n’est donc pas nouveau. Mais la façon de le faire a posé question. En outre, il n’est président que depuis peu de temps. Or, il faut un certain temps pour réaliser la cohésion au sein d’un parti. Qui plus est un parti à fortes personnalités. Et il est arrivé dans un contexte difficile, avec une négociation gouvernementale au fédéral très difficile.
À la recherche d’un nouvel équilibre
En d’autres termes, Georges-Louis Bouchez n’a pas eu la tâche facile…
La chose était d’autant plus périlleuse qu’il prenait la succession de Charles Michel au terme d’un véritable débat démocratique interne au parti, succession durant laquelle son rival (NDLR: Denis Ducarme) n’avait certainement pas été ridicule lors du décompte des votes.
Justement, le départ de deux fortes personnalités comme Charles Michel (NDLR: désormais président du Conseil de l’Europe) et Didier Reynders (désormais commissaire européen) n’a-t-elle pas laissé certaines traces au sein du MR?
Le MR cherche un nouvel équilibre, c’est certain. Il a dû se choisir un nouveau président et il est donc normal qu’il y ait un temps d’adaptation. D’autant plus dans le difficile contexte évoqué précédemment.
On l’a aussi vu, dans une moindre mesure, chez Groen: cette période si particulière du casting ministériel est-elle propice à ce type de tensions en interne?
Durant la période qui s’écoule entre la fin des négociations pour un accord gouvernemental et la proposition de désignation des ministres adressée au roi (NDLR: à qui revient le rôle de nommer les ministres d’un gouvernement fédéral), la pression est maximale sur les épaules des présidents de parti. Ils sont sollicités de toute part. Il y a ceux qui étaient déjà ministres et qui estiment avoir réalisé du bon travail, et donc mériter leur place dans le nouvel exécutif; puis il y a les nouveaux qui se disent que c’est désormais leur tour et qui aspirent à voir leurs efforts pour le parti récompensés de la sorte. Le choix est donc toujours très difficile, d’autant qu’il y a une série de critères à devoir prendre en compte afin de respecter différents équilibres: entre les sexes; entre les régions, les provinces; entre les tendances internes au sein du parti…
Durant la période qui s’écoule entre les négociations d’un accord et la désignation des ministres, la pression est maximale sur les épaules des présidents de parti.
Dès lors, cette solution du G11 trouvée au MR, réunissant les «sages» du parti, est-elle un désaveu pour Georges-Louis Bouchez ou, comme la communication du parti le laisse entendre, davantage une façon de mieux encadrer la présidence?
En tous les cas, c’est une manière de vouloir répondre à la crise qui commençait à éclater de plus en plus. C’est une manière aussi d’essayer de retrouver une certaine cohésion. Comme tout président nouvellement élu, il a aussi eu besoin d’un temps pour trouver ses marques et pour trouver une certaine cohésion. Jusqu’à présent, cela s’est fait de façon assez houleuse, c’est donc une tentative pour le parti de resserrer en quelque sorte les rangs. Mais cela traduit également une volonté d’accompagner davantage la présidence de Georges-Louis Bouchez.