Statues de Léopold II dégradées: «Se souvenir ne veut pas dire adhérer»
Doit-on enlever ou laisser les statues de Léopold II dans l’espace public? Le débat ressurgit suite à des dégradations et une pétition.
Publié le 06-06-2020 à 07h05
Des statues de Léopold II ont été dégradées à Tervuren, Hal, Ostende, Ekeren. Une pétition a été lancée pour demander leur retrait à Bruxelles.
La critique de l’ancien roi des Belges et de ses actions contre le peuple congolais a été ravivée ces derniers jours, suite au décès de l’Afro-Américain George Floyd, mort asphyxié par un policier blanc, et les protestations massives contre le racisme institutionnel.
Vincent Dujardin, vous êtes historien à l’UCLouvain. Que doit-on faire, selon vous, de ces statues dans l’espace public? Faut-il sacrifier toute trace de notre passé polémique?
Faire table rase du passé ne me semble pas du tout constituer un bon chemin pour favoriser la cohésion de nos sociétés. Ce n’est pas en niant le passé que l’on va résoudre les blessures, les ressentis exprimés par certains aujourd’hui.
Faut-il, dès lors, aussi supprimer toute trace des Jules César, Charles-Quint ou Napoléon de notre espace public? Ils n’étaient pas tous des Saint François d’Assise…
Ne risque-t-on pas en supprimant ces statues d’oublier?
Évidemment! Si un sujet est sensible, c’est une raison supplémentaire pour l’aborder, munis d’une rigueur historique. Se souvenir ne veut pas dire adhérer à tout, mais est, au contraire, indispensable pour mieux se comprendre. Les peuples sans mémoire n’ont tout simplement pas d’avenir.
Que faire alors? Des plaques contextualisantes accompagnant ces statues? Ou placer ces statues dans des musées?
Je pense qu’il faut commencer par favoriser la connaissance de notre passé en encourageant l’apprentissage de l’histoire au niveau de l’enseignement obligatoire. Beaucoup de mes étudiants de première année n’ont jamais entendu parler de notre passé colonial. Il faut vraiment faire œuvre de pédagogie. C’est ainsi que l’on favorisera le dialogue et que la compréhension mutuelle s’en trouvera renforcée. C’est en connaissant mieux nos passés respectifs que l’on peut mieux vivre le présent. L’amnésie n’a jamais favorisé le mieux-être, que du contraire.
La Belgique doit-elle s’excuser de son passé colonial? Certains disent que ces statues sont le symbole de ce que l’on n’assume pas.
C’est une question qui appartient aux politiques, mais il faudrait d’abord, de toute façon, se mettre d’accord, au préalable, sur ce qui s’est vraiment passé.
Les connaissances sur cette période de notre histoire sont insuffisantes selon vous?
Nous connaissons déjà toute une série d’éléments. Longtemps, la colonisation a été présentée comme une œuvre de civilisation, en vantant par exemple les apports dans la médecine ou l’enseignement. Il est vrai qu’en 1960, le Congo était le pays le plus alphabétisé d’Afrique.
Mais on a longtemps occulté les exactions qui ont indubitablement été graves et nombreuses. En ce qui concerne l’image de Léopold II, on ne retenait que le côté «génie».
Dans les manuels flamands, dès les années 1980, le récit des exactions et des abus se développe, avant de se généraliser au début des années 1990. Le volet «génie» est occulté, laissant place à la seule «gêne». Du côté francophone, l’évolution a été moins forte. On peut trouver un ton souvent plus nuancé.
Vous ne trouverez pas une unicité de ton entre historiens, mais sur le fond, je pense que les positions se sont fortement rapprochées. Il reste néanmoins évident que l’on a encore beaucoup à apprendre à propos de notre passé colonial.