Vers l’émergence d’une société sans cash
Avec la crise sanitaire, l’argent liquide a presque disparu de nos portefeuilles. Signe de l’avènement d’une société sans cash?
Publié le 05-05-2020 à 07h16
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Et si la Belgique décidait de supprimer l’argent liquide? La question ne relève pas de la science-fiction: en raison de l’épidémie de coronavirus, nous sommes invités à délaisser nos billets de banque. Résultat: les paiements électroniques, et spécifiquement sans contact, sont devenus la norme (lire ci-contre). De l’avis des experts, il convient toutefois de nuancer cette transition vers une société sans cash.
1.Fin de la criminalité
Parmi les avantages de la disparation de l'argent liquide, citons, assez logiquement, la lutte contre la fraude et la criminalité. «Un certain nombre d'études montrent en effet que les grosses coupures, celles de 200 ou de 500 euros par exemple, sont essentiellement destinées à la criminalité, avance Louis Larue, chargé de cours à l'UCLouvain. L'avantage d'une société sans cash s'apparente aussi à la réduction des coûts pour les banques et les grands commerces. Avoir un coffre-fort, devoir déplacer de l'argent, tout cela est coûteux. »
Le dernier argument relève de la politique monétaire, et est un peu plus controversé. «Pour l'instant, quand les banques centrales fixent le taux d'intérêt sur leurs réserves, elles ont un minimum qui est un taux d'intérêt de zéro. Pourquoi ce minimum? Parce que si elles mettaient un taux d'intérêt négatif, les gens iraient forcément retirer de l'argent en cash.» Les citoyens délaisseraient alors leur compte en banque. «D'aucuns estiment donc que s'il n'y avait plus de cash, on pourrait appliquer des taux d'intérêt négatifs, ce qui serait utile en temps de crise. L'argument est controversé car cela revient à faire payer la population pour avoir un compte en banque. Et cela l'invite aussi à dépenser cet argent.»
2.Des dérives
Nous l’expérimentons particulièrement en cette période: avec l’appui technologique, nous sommes très facilement traçables. Dans l’hypothèse d’une suppression définitive de l’argent liquide, nos échanges financiers le seraient également.
«Un paiement en cash est une transaction de pair à pair qui n'implique pas d'intermédiaire, et qui est soumise à la seule volonté des deux personnes qui souhaitent conclure cet échange, indique Tristan Dissaux, chercheur en économie à l'ULB. Or, un échange avec un médium électronique implique nécessairement au moins un tiers.» Selon le chercheur, les banques commerciales et les intermédiaires de paiement ont donc un droit de regard sur cette transaction, et peuvent s'opposer au bon vouloir des individus qui procèdent à cet échange. Un contrôle peut s'opérer: «Il existe des exemples concrets, à l'instar de Mastercard et Visa qui ont décidé de ne plus honorer les paiements des dons qui étaient faits à WikiLeaks. Quel que soit ce qu'on pense de cette organisation, le fait que les intermédiaires de paiement jouent le rôle de censeurs pose question.»
Outre ce traçage, l'instauration d'une société sans cash pénaliserait aussi toute une frange de la population, «comme les personnes âgées», qui ont difficilement accès à ces outils numériques.
3.Un après Covid-19?
La crise actuelle peut-elle accélérer l'émergence d'une société sans cash? Les spécialistes se veulent nuancés, car cette évolution est en cours depuis les années 60. Elle n'est donc pas récente. Il y a cependant fort à parier que la crise aura un impact à court terme. «De nombreux commerçants n'acceptent plus les paiements en cash. Et ce alors que plusieurs études montrent que le risque de contamination, avec les espèces, est même inférieur au risque d'utiliser un terminal de paiement. Cela étant, le message de santé publique va avoir un effet de promotion de cette société sans cash», soutient Tristan Dissaux. D'un autre côté, la période d'incertitude économique qui se profile sera propice à la circulation d'argent liquide. «En période d'incertitude, les individus ont tendance à se replier sur le cash qui simplifie la gestion des budgets, lorsqu'ils sont limités. La crise pourrait donc avoir un effet paradoxal.»