Coronavirus: le monde politique en sortira-t-il grandi? «Ce sera quitte ou double pour la Belgique»
La crise du coronavirus a provoqué un grand chamboulement politique, en Belgique. N’allons pas croire que tout est résolu pour autant.
Publié le 07-04-2020 à 08h36
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En politique belge, la crise sanitaire a provoqué une spectaculaire fuite en avant. Jusqu’au 19 mars, le gouvernement fédéral, largement minoritaire, se trouvait en affaires courantes. Le voilà soutenu par une large majorité au Parlement et doté de pouvoirs spéciaux.

«D'une certaine manière, on est passé de "pas de gouvernement" à "trop de gouvernement"», constate Anne-Emmanuelle Bourgaux. Constitutionnaliste à l'université de Mons, elle décrit sans langue de bois la situation politique et institutionnelle du pays. «On est passés d'un extrême à l'autre» et il conviendra de se souvenir, après l'urgence, que cette radicale irruption du politique dans la vie des Belges doit se cantonner au registre de l'exceptionnel.
Les plus
Cette réaction politique s'avère positive, à certains égards. «Alors que le gouvernement était en affaires courantes depuis décembre 2018, un accord a quand même pu être trouvé. Une solution politique s'est dégagée face à la crise sanitaire, c'est à souligner.» Sur le plan institutionnel, le fédéralisme belge, tant habitué aux blocages, a permis une coordination dans la gestion de la crise.
Les moins
Cet enthousiasme mérite aussitôt d'être tempéré, pour la constitutionnaliste. «Après 15 mois de léthargie, un accord a certes été trouvé, mais uniquement face à la menace de mort violente de citoyens», dans le contexte d'une crise sanitaire exceptionnelle. Les problèmes de fond de la Belgique «ne sont pas résolus. Le challenge va être de maintenir la dynamique. Il faut trouver un modus vivendi qui fonctionne aussi en temps normal.»
Tout cela relève du bricolage, on n’a pas apporté de solution structurelle.
En termes institutionnels, «tout cela relève du bricolage, on n'a pas apporté de solution structurelle» aux problèmes. Et la constitutionnaliste de recourir à la métaphore du Titanic. «En Belgique, il y a beaucoup de capitaines: des gouvernements, des présidents de partis…» Ils sont parvenus à s'accorder pour éviter un gigantesque iceberg. «Mais juridiquement, rien de nouveau n'est créé, il n'y a pas de solution "en dur" qui permettra d'éviter les autres icebergs», les enjeux climatiques par exemple.
Sortie de crise
À l'instar des scientifiques qui doivent prévoir le déconfinement, les responsables politiques doivent dès à présent réfléchir à la meilleure façon d'atterrir, de trouver des solutions structurelles, qui ne soient pas uniquement dépendantes d'un contexte de crise ou de la bonne volonté des uns et des autres. «Tout cela est louable, mais reste précaire, fragile, provisoire et exceptionnel. Est-ce vraiment le mieux que nos capitaines puissent faire? On ne peut tout de même pas se contenter d'un programme qui fonctionne sous la menace de la mort des citoyens», soutient-elle.

La séquence que viennent de vivre les Belges restera marquante, dans l'histoire politique du pays. Le soutien de neuf partis au gouvernement Wimès, l'octroi des pouvoirs spéciaux pour gérer une crise sanitaire d'une ampleur inédite: le monde politique a semblé (enfin) avoir enterré la hache de guerre, dans sa majorité. «Il y a eu une sorte de ouf de soulagement politique, suite à la formation d'un gouvernement de plein exercice. Les querelles partisanes ont été mises de côté, on a assisté à une sorte de moment de grâce, à une grande union», observe Catherine Xhardez, politologue à l'université Saint-Louis – Bruxelles et à l'université Concordia à Montréal.
Mais rapidement, sur ce tableau, quelques craquelures sont apparues. «Les querelles vont forcément revenir et les débats risquent d'être difficiles.» C'est que, rappelle-t-elle, cette union est survenue dans un contexte exceptionnel. Mais «la Belgique était divisée et elle l'est restée, au niveau linguistique, politique, économique…»
Transparence et honnêteté
Il appartient désormais aux responsables politiques de se préparer à la sortie de crise, en étant à la hauteur. «Un jour, après la levée des pouvoirs spéciaux, la politique retrouvera son fonctionnement normal.» Après l'urgence, «les responsables seront tenus de rendre des comptes. La phase de la justification et de l'évaluation arrivera», sous forme de commission d'enquête parlementaire par exemple.
La classe politique aujourd'hui à la manœuvre se retrouvera alors confrontée à un important exercice démocratique, déterminant pour l'état fédéral. «La transparence, l'honnêteté et l'information: ce sont des clés de la démocratie, estime Catherine Xhardez. Ce sera quitte ou double pour la Belgique.»
À terme, en principe en 2024, se tiendront des élections fédérales. Dans quelle mesure la gestion politique de la crise du coronavirus pèsera-t-elle dans la balance? «Il est trop tôt pour le savoir, 2024 est encore loin. Et tout dépendra de la manière avec laquelle les responsables politiques géreront le suivi de la crise.» Les forces politiques qui émergeront s'appuieront alors sur l'histoire telle qu'elle se sera écrite, qu'ils défendent la survie de la Belgique ou cherchent à démontrer son inutilité.