Campagne de Gaïa sur l’élevage intensif de dindes: faut-il choquer pour toucher?
Dans sa dernière campagne choc, l’association Gaïa a cassé le mythe de la dinde de Noël en dénonçant les conditions de vie dans les élevages intensifs. Est-il devenu nécessaire de choquer pour se faire entendre?
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Publié le 19-12-2019 à 15h21
Entre les images chaleureuses d'une famille qui déguste une dinde de Noël dans la bonne humeur et les images de dindes entassées les unes sur les autres, parfois agonisantes ou couvertes d'excréments, le contraste est saisissant. Dans sa dernière campagne choc, Gaïa a décidé de jouer sur cette contradiction pour dénoncer les conditions déplorables dans lesquelles ces bêtes sont élevées.
Tournées par l’association de défense des droits des animaux dans trois élevages flamands, ces images font froid dans le dos à quelques jours du réveillon de Noël. «Par l’utilisation du dégoût, cette vidéo va laisser une trace, même auprès de ceux qui ne sont pas d’avides défenseurs de la cause animale. Avant la période des fêtes, ça engendre un sentiment de culpabilité car les spectateurs vont faire une association entre le repas familial et ces images choquantes», décortique Elise Le Moing-Maas, professeure de relations publiques à l’IHECS.
Avant la période des fêtes, ces images engendrent un sentiment de culpabilité.
Ces campagnes «électrochoc» ne sont pas nouvelles. On se souvient notamment des pancartes Peta dénonçant l'usage de la fourrure ou de la récente vidéo polémique de Child Focus dénonçant la pédopornographie. L'impact de ce genre de campagne auprès du grand public est important mais il n'incite pas forcément à agir selon Damien Renard, professeur de communication à l'UCLouvain. «Si la solution préconisée permet au spectateur de surmonter le choc, l'impact sur le long terme de ce genre de campagne est fort. Toutefois, dans le cas de cette vidéo, la réponse à la problématique de l'élevage intensif est de faire pression sur les politiques. Le risque, c'est que le citoyen lambda se dise que ce n'est pas vraiment son problème», analyse-t-il.
Objectif de visibilité rempli mais risque de saturation
Dans un monde submergé par les messages publicitaires, les campagnes de sensibilisation sont de plus en plus agressives. Toutefois, qu’il s’agisse de bien-être animal, de sécurité routière ou de prévention antitabac, faut-il absolument choquer pour sortir du lot et toucher le grand public? «Le risque majeur est celui du déni. Si tout le monde joue sur le registre de l’émotion, on va arriver à une saturation publicitaire. On aura alors affaire à un effet inverse de lassitude auprès des récepteurs», prévient Damien Renard.
Si tout le monde joue sur le registre de l’émotion, on va arriver à une saturation publicitaire.
Les images de Gaïa posent également quelques questions éthiques. «Le bémol de cette campagne est son principe de généralisation, regrette Elise Le Moing-Maas. On se trouve à la limite de la manipulation car on prend quelques exemples d’élevages et on les généralise à l’ensemble de la Belgique. Mais c’est le propre de ces associations, qui pensent faire ce qui est juste. Quand on est dans le militantisme, on va jusqu’au bout.»
Si la mission à long terme de la campagne est de réclamer un cadre légal pour protéger le bien-être des dindes d’élevage et de changer les comportements des consommateurs, celui plus à court terme est de faire parler d’elle. Objectif rempli pour Gaïa qui a vu les médias et le monde politique s’emparer du sujet. «L’organisation possède de bons communicants car la campagne est tombée juste avant les courses de Noël. L’ensemble de la presse a repris l’info et le ministre flamand va évoquer la situation avec le secteur. En plus de faire le buzz, la campagne est donc persuasive», conclut Elise Le Moing-Maas.