Justice restauratrice: une sanction de plus en plus utilisée
Une formation comme peine alternative pour les auteurs d’infractions. Concrètement ça donne quoi? Reportage en situation.
Publié le 16-12-2019 à 07h00
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Jeudi après-midi, un vent glacial fait grelotter les rues de Charleroi. Dans la salle de formation Prélude, l’ambiance chaleureuse réchauffe justiciables et formateurs qui reviennent de la pause de midi. Il est 13h56. Les quatre justiciables sont installés, trois hommes, une femme. Ils sont prêts à commencer mais il reste 4 minutes. La séance commencera à 14h. Les règles sont strictes. Le cadre est posé dès le départ, c’est le socle sur lequel le bon fonctionnement du processus peut être construit. Parmi les règles: pas de retard, pas d’alcool ou de drogue ni de GSM pendant la séance, obligation de participer à tous les exercices,…
Faire de la contrainte un espace de liberté
Pour mieux responsabiliser les participants, on souligne la notion de choix. En ayant conscience du règlement et des conséquences en cas de non-respect, chacun peut décider de se plier ou pas à la contrainte. Si un participant enfreint une règle, l’information sera relayée à la justice via un email envoyé à la fois au justiciable concerné et à l’assistant de justice qui est en charge du dossier. C’est à la justice qu’il faudra rendre des comptes et c’est la Justice qui appliquera des sanctions éventuelles. Dans ce groupe, ils étaient 10, ils ne sont plus que quatre. Le cadre ne convient pas à tout le monde et le groupe a vu les départs se succéder au cours de trois mois de formation. À l’intérieur du cadre, les possibilités d’action sont nombreuses et les participants sont invités à se positionner, assumer leurs choix et éventuellement, à choisir de changer. C’est de leur liberté qu’il s’agit, forcer quelqu’un à évoluer est inutile voire impossible.
Punir ou sanctionner?
La formation s'inscrit dans le courant de la justice restauratrice. Une manière de rendre justice qui a pour objectif principal de réparer les préjudices causés par le délit. Dans le secteur de l'éducation, on parle de punition pour désigner la démarche répressive «au coin», par exemple. Et on parle de sanction pour désigner la démarche réparatrice, «tu repeins le mur de l'école que tu as gribouillé». La même distinction pourrait être observée en termes de peines. L'idée est donc ici de donner du sens à la sanction. La formation crée un espace propice pour que les auteurs d'infractions puisse réfléchir et changer.
Un autre point de vue
Cet après-midi, deux exercices de mise en situation sont proposés. L'objectif: se mettre à la place de l'autre et imaginer des solutions pour éviter une réaction sous l'emprise de la colère. On parle beaucoup de cette émotion difficile à apprivoiser et particulièrement désapprouvée dans notre société. Que faire quand une personne cherche la bagarre, un inconnu dans un bar par exemple? Pour certains participants c'est difficile d'accepter de ne pas réagir face à la provocation. «Ce n'est pas de la faiblesse», explique Isabelle Regniers aux réticents, «par contre, gâcher sa soirée parce que l'autre a envie de se décharger, c'est une forme de soumission». Les exercices sont regroupés sous trois thèmes: Le fonctionnement et le sens de la justice, la gestion de conflits, la sensibilisation au point de vue des victimes.
«Pour que ça fonctionne, il faut accepter de jouer franc-jeu»
Le travail de groupe est primordial. D’une part, pour trouver des solutions ensemble et s’inspirer des astuces des autres. D’autre part, parce qu’évoluer est un processus qui s’appuie sur le va-et-vient entre la réflexion sur soi, seul, et le fait de se dire face au regard de l’autre.
Ce précieux travail ne peut se faire que dans un climat bienveillant. La dynamique de groupe est fragile, elle prend du temps à se mettre en place. Les formateurs et les participants doivent se positionner dans le non-jugement. Dans le groupe de cet après-midi, la dynamique est bien établie, les 4 participants se connaissent maintenant depuis presque trois mois, ils se respectent et s’écoutent. Grâce à ce contexte, les participants s’expriment sans filtre. Oui, ils seraient tentés de réagir violemment dans ce type de situation. Oui, ils ressentiraient de la haine, de la colère et de l’énervement si quelqu’un avait tel type de comportement. Être honnête avec soi-même, c’est difficile pour tout le monde mais nécessaire si on veut évoluer.
Boîte à outils
La prochaine rencontre marquera la fin de la formation. Au programme: des retours sur leur expérience. Les quatre participants expriment déjà beaucoup de choses positives. L'un estime qu'on devrait avoir plus souvent recours à ce type de peine plutôt qu'à la prison. Il explique «on a parlé des faits qu'on a commis, on a compris, en prison, on n'y aurait peut-être pas pensé». Un autre renchérit: «ça nous a appris qu'on pouvait réagir autrement ». La suite est entre leurs mains. Ils repartent avec une boîte à outils, à eux de l'utiliser pour construire qui ils seront demain.

Pendant leur travail sur le thème de la victime, les participants à la formation Préludes sont sensibilisés au travail de l'ASBL Mediante. Celle-ci met en place des rencontre entre des auteurs d'infraction(s) et leur(s) victime(s). C'est un espace de dialogue qui est proposé en complément de la procédure pénale depuis 20 ans en Belgique. Le travail de Mediante aussi est peu connu des citoyens alors que l'ampleur de son action est considérable. Il s'agit d'un dispositif de communication qui est accessible à tous les stades de la procédure pénale et ce quelle que soit la gravité des faits. Il ne s'agit pas tout à fait de médiation pénale, même si pendant longtemps, c'est le mot qu'on utilisait pour décrire le processus. « Le terme médiation implique un dialogue en vue de rétablir une relation qui a été brisée », explique Antonio Buonatesta, directeur de l'ASBL Mediante. Or ici, la relation n'existait pas forcément avant les faits et il n'y a pas de raison qu'elle se poursuivent. Le but du processus de communication développé par Mediante est de rompre une relation malsaine qui est née de l'infraction.
Souvent, ce n'est que lors du procès, les victimes n'ont pas l'occasion d'exprimer leur rancœur. «Elles peuvent apercevoir l'auteur, assis sur les bancs du tribunal mais ce sont les avocats qui parlent, pour les deux parties ». La communication est en quelques sortent confisquée par la justice. La victime qui n'a pas pu s'exprimer sur son ressenti a plus de mal à se défaire de l'agression. Elle reste avec des tas de questions auxquelles le procès ne peut répondre. Elles peuvent alors demander à rencontrer l'auteur pour se décharger d'une colère ou pour comprendre pourquoi ça leur est arrivé.
Lors d'une éventuelle demande de libération conditionnelle de la part de l'auteur, la ou les victimes peuvent imposer des conditions. Exemple: «J'accepte qu'untel sois libéré s'il accepte de ne jamais entrer en contact avec mon fils ». Les victimes, qui n'ont pas eu l'occasion d'exprimer leur rancœur auront plutôt tendance à se décharger dans ces restrictions. «Elles vont imposer des conditions impossibles à tenir et vont entraver le processus de réinsertion du détenu qui sera de toute façon libéré à la fin de sa peine, et cette fois-là sans conditions.»
Dépolariser les positions pour apaiser le conflit. Ce dialogue permet à la victime d’exprimer sa rancœur et de retrouver son sentiment de puissance. Il permet à l’auteur de s’expliquer sur ses actes, entendre le ressenti de la victime pour mieux comprendre les conséquences de ses actions et faire évoluer son comportement.