VIDÉOS | Au Cambodge, les paysans doivent s’adapter à un climat qui déraille
Au Cambodge, les paysans sont déjà très impactés par le dérèglement climatique. Des ONG belges les aident à s’adapter.
- Publié le 07-11-2019 à 18h00
Il n’est pas peu fier de nous montrer ses poulets, Jeng Bunthat. Pour l’instituteur du village, son élevage est plus qu’accessoire. C’est une part essentielle du revenu de sa famille.
Pourtant, il y a un peu plus d'un an, il craignait de tout perdre. Dans un pays où l'essentiel des activités agricoles tourne depuis toujours au rythme d'une immuable alternance entre saison des pluies et saison sèche, le dérèglement climatique est passé par là. Et ses poulets qu'il élevait à l'ancienne, les laissant vagabonder et se reproduire ça et là, le supportent difficilement.

«Avant, un été chaud c'était une température de 37 °C, dit-il. Aujourd'hui, l'été c'est 41 °C… Et la saison sèche est passée de 6 à 8 mois par an.» Quatre degrés et deux mois de plus qui font toute la différence pour l'éleveur de poulets. «Avec cette chaleur, la mortalité était trop forte, explique-t-il. Et comme les pluies sont aussi beaucoup plus irrégulières et violentes qu'avant, des poules en couvaison se retrouvaient noyées sur leur nid.»
MLUP Baitong
Heureusement, MLUP Baitong l’a pris sous son aile. L’ONG cambodgienne, soutenue par Louvain Coopération, est spécialisée dans l’agriculture durable et l’adaptation au changement climatique. Elle lui a permis de relancer son activité sur de nouvelles bases.
Grâce à deux couveuses électriques, à l'élevage des poussins et des poulets dans des enclos et à une vaccination systématique, le taux de mortalité n'est plus aujourd'hui que de 3%. «Mais en saison sèche, je dois utiliser beaucoup d'eau pour rafraîchir les poussins», dit-il, craignant que la situation n'empire encore dans les années à venir.
En attendant, ces adaptations ont été bénéfiques pour sa production: «En termes de rentabilité, il peut désormais vendre des poulets 3 à 4 fois par an alors que ce n'était que deux fois par an auparavant», explique Amaury Peeters, directeur de Louvain Coopération Cambodge. L'ONG de l'Université Catholique de Louvain n'y est pas pour rien puisque c'est elle qui a financé une partie du matériel qui permet à Jeng Bunthat de fabriquer la farine pour ses poulets. Une nourriture naturelle composée de végétaux locaux (comme le liseron d'eau), produits issus de la ferme et de riz germé et concassé. Des techniques que, en bon instituteur, Jeng Bunthat enseigne aujourd'hui aux autres villageois.
Reportage dans notre première vidéo ci-dessus.


Alors qu’il est probable que les paysans croisés du nord au sud du Cambodge n’ont pas la moindre idée de ce que contient un rapport du GIEC, tous évoquent ce dérèglement climatique qu’ils ressentent avec leurs tripes, dans leur terre.
«La nature devient trop irrégulière. Il pleut quand il ne pleuvait pas et il y a la sécheresse quand il pleuvait, nous confiait un petit cultivateur de rizière du nord du pays. Si ça continue, il y a de gros risques pour notre agriculture… » Potentiellement explosif dans un pays où 80% de la population vit en zone rurale et plus de 55% exercent une activité agricole, essentiellement de subsistance.
Dérèglement climatique global
C’est dans ce contexte de Dérèglement climatique global, accentué par une déforestation galopante qui aggrave la situation (85% de la forêt cambodgienne a été rasée en 20 ans), que l’agroécologie et les adaptations au changement climatique sont au cœur des actions des ONG soutenues par le CNC-11.11.11.
Dans cette partie du globe à la terre riche et au rythme des saisons si régulier où il suffisait de se baisser pour récolter fruits et légumes, il faut désormais composer avec les caprices du climat. Et diversifier ses pratiques agricoles pour assurer des revenus suffisants ou simplement nourrir sa famille. Même si ça ne suffit pas toujours…
«L'an dernier la sécheresse a été si forte que l'étang a été mis à sec et qu'on a dû distribuer 5 000 poissons au voisinage pour ne pas que ce soit perdu», dit Sum Savry. La jeune femme de 32 ans a étudié l'agronomie à l'université de Pnom Penh où elle a rencontré son mari. Ils sont revenus il y a un an dans le village natal pour développer une activité de maraîchage, un élevage de poulets et de la pisciculture. En espérant pouvoir s'acheter un jour quelques vaches pour encore diversifier leur activité. Un parcours atypique chez les jeunes Cambodgiens qui désertent plutôt les villages pour travailler dans les usines de la ville.
«Mais on fait le métier qu'on aime», sourit Seng, son mari. Un métier que le couple, soutenu par Eclosio, l'ONG de l'ULiège et Gembloux Agro-Bio Tech, tente de faire en se détachant des pesticides et des engrais chimiques. Mal utilisés et en trop grandes quantités, ils ont appris à l'université les dégâts que cela a provoqués et qui s'ajoutent aux conséquences du changement climatique.
Kong Sorn (64 ans), le père de Seng, n'a pas fait l'université. C'est de manière plus viscérale qu'il ressent que ça ne tourne plus très rond dans ses rizières vert tendre. «Avant il y avait beaucoup de papillons et d'oiseaux ici, dit-il. Mais c'est comme les poissons, il n'y en a plus beaucoup. Alors qu'elles étaient si nombreuses avant dans les rizières, les enfants ne savent même plus ce qu'est une aigrette blanche…»


«Ici il ne reste que les vieux»
«Lorsqu'il s'agit de gros montants, on évalue collectivement la capacité de remboursement de la famille», explique Sarom Saem, le président. Avec un double avantage: le taux d'intérêt (2%) est moindre que celui pratiqué par certains organismes privés (jusqu'à 10%) et tout l'argent reste au village.
«Grâce à cela, on a pu acheter un scooter pour les enfants aller à l'école, restaurer la maison et acheter une petite rizière», explique Yong Cheng.
Après avoir longtemps travaillé dans une usine de chaussures, cette mère de 43 ans est revenue au village.
«J'étais trop vieille et ils n'ont pas voulu me garder, dit-elle un peu dépitée. Ici, je gagne moins qu'à l'usine mais grâce à la coopérative j'ai pu apprendre les techniques agricoles et j'espère ouvrir un petit commerce.»
Ramener les jeunes au village c'est aussi un des buts de la coopérative, dit Sarom Saem. «Ici il ne reste que les vieux, rigole-t-il. La plupart des jeunes sont partis travailler dans les usines, mais quand ils seront trop vieux pour y travailler ils reviendront ici sans rien connaître du métier d'agriculteur. »

Former les jeunes à l’agriculture
Outre le microcrédit, la coopérative a d’ailleurs organisé des groupes d’entraide et de formation selon trois thématiques: culture et semences, maraîchage, élevage.
«Les jeunes de moins de 30 ans y sont formés aux techniques agricoles et la coopérative leur donne un budget pour démarrer leur activité. » Bientôt, la coopérative espère pouvoir acheter des machines pour labourer et récolter le riz.
Fort d’un capital qui, depuis 2011, est passé de 200 000 à 4 millions de riels (+-1 000 euros), la coopérative envisage même de s’associer aux autorités locales pour réaliser des travaux d’égouttage et de rénovation de la petite école que fréquentent les enfants, dont beaucoup vivent avec leurs grands-parents depuis que leurs parents sont partis en usine. Mais que les initiatives développées par la coopérative pourraient bien ramener auprès d’eux à la campagne.

D’une structure plus légère que la coopérative (voir ci-dessous), ces groupes d’entraide paysanne permettent aux agriculteurs de se constituer une caisse commune (alimentée de 2,50 dollars chaque mois) dans laquelle ils peuvent puiser pour développer une activité rémunératrice.
Moins onéreux qu'un crédit classique, le système de remboursement est aussi plus souple et fonctionne à la confiance et «avec la pression sociale des voisins» pour le respect des remboursements.
Si elles gèrent les comptes, Ponh Phala et Yorn Yeam en ont aussi bénéficié. La première a emprunté 250 dollars en 5 mois pour lancer une activité de maraîchage et une petite épicerie. Avec 125 dollars, la seconde élève quelques cochons et a lancé une activité de collecte de déchets recyclables.

Revenu et émancipation féminine
En neuf mois, les deux femmes ont pu générer mensuellement 190 dollars de revenu complémentaire.
Dans les villages, ce type de revenu est généralement géré par la femme et peut vite devenir la rentrée principale du ménage.
«Au Cambodge comme ailleurs, les mécanismes d'entraide collectifs sont mis en place par des femmes, qui sont plus enclines à accepter le changement et à prendre des risques, analyse Nicolas Van Nuffel, Responsable du département Plaidoyer au CNCD-11.11.11. Et du coup, ce qui est intéressant, c'est que cela leur donne un pouvoir de négociation plus fort, à la fois dans le ménage et la communauté. Louvain Coopération nous explique d'ailleurs que l'on voit émerger ici des femmes qui deviennent des leaders communautaires, ce qui n'était pas du tout gagné à la base. C'est donc un système qui permet d'atteindre très concrètement une plus grande égalité entre les femmes et les hommes.»
Notre deuxième vidéo ci-dessous, sur les enjeux de l’entraide:

LIRE AUSSI:
VIDÉOS | Au Cambodge, ces ouvrières de la misère qui font vos fringues
