Elle est parfois très longue, l’histoire des noms de villages wallons insolites
D’où viennent les noms étranges de certains patelins wallons tels Sensenruth, Aye ou Houte-Si-Plou? Spécialiste en toponymie et en dialectologie, Jean Germain nous livre quelques explications. Les origines sont multiples, et les évolutions pleines de surprises…
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- Publié le 14-09-2019 à 07h00
«Passez me voir, j'habite à Vincon… qui pourrait figurer dans votre article! » Un hameau de Ciney, proche de Spontin et de la E411.

C’est là que vit Jean Germain, Spontinois d’origine, une des références belges en termes de toponymie, récemment honoré à Paris par le Prix Albert Dauzat.
Un spécialiste forcément de la langue wallonne et qui jongle avec l'origine des noms de lieux mais aussi des noms de famille. «Je reste productif, je publie encore en moyenne deux livres par an », sourit-il, hyperactif à 70 ans.
Ce romaniste de formation, qui fut professeur à l’UCL durant une douzaine d’années, est toujours Secrétaire de la section wallonne de la Commission royale de Toponymie et de Dialectologie et cela depuis 1984.
Au sein de celle-ci, ils sont une quinzaine de spécialistes qui ont notamment pour mission de rendre des avis sur toutes les demandes d'attribution ou de changement de noms de rue des communes du pays. « Pour chacune, on rend un avis vérifiant qu'elle est d'une part libellée en bon français, et qu'elle corresponde aussi à ses racines linguistiques ».
On dit «tchapia» à Namur, «tchapê» à Liège, «Capiau» dans le Hainaut occidental
Comprendre l'origine des noms de villages en Wallonie n'est pas toujours simple. « Il y a des cas limpides. Mais parfois, c'est assez scientifique et pas forcément aisé à expliquer simplement, à vulgariser», précise Jean Germain, qui dispose chez lui d'une bibliothèque entière sur le sujet.
Il faut réaliser en gros qu’en Wallonie, il y a plusieurs dialectes dominants et ces diverses variantes des langues d’oïl se reflètent indirectement dans les noms de lieux.
Sur le Hainaut occidental, c'est le picard. En provinces de Liège, de Namur, du Brabant wallon et dans une grande partie du Luxembourg, c'est le wallon ou les divers dialectes wallons, et en Gaume c'est plutôt le gaumais, qui relève du domaine lorrain. «Mais la frontière entre ces parlers n'est pas tracée au cordeau. Il y a des zones mixtes de transition où ces dialectes se mélangent». Prenez le mot « tchapia» à Namur. À Liège, c'est « tchapê» et dans le Hainaut «Capiau». Mais à certains endroits, entre ces deux «zones», on trouve aussi bien «capia «ou «tchapiau» qui sont des formes mixtes.
Des sources latines, mais aussi des origines germaniques
D’où viennent alors tous ces noms de lieux insolites? Il y a plusieurs sources.

– Des sources latines: exemple, Aye (commune de Marche-en-Famenne), qui, comme «Aywaille» (de lat. aqualia) vient du latin « aquis» (ablatif pluriel d'«aqua») et qui, dans nos régions, évoque un lieu se trouvant à la naissance de sources. Une formation toponymique qui date d'avant le Ve siècle.
– Beaucoup de noms datent de l'époque carolingienne, à partir du VIIIe siècle. Exemple: tous les noms en «sart», terme qui signifie « défricher, essarter » puisqu'à l'époque beaucoup de localités se sont créées sur des zones défrichées (qu'on appelle aussi «essarts » en français). C'est ainsi que le bien connu « Cul-des-Sarts », près de Couvin signifie le bout de l'essart!
Autre exemple, «Les Bulles » (commune de Chiny) aurait une origine germanique («Bûra», qui veut dire «maison») et évolue au 13e en «Bures» puis « les Builles ».
Si des termes comme «champ», «sart», «mont » ou encore « ru » (qui désigne un ruisseau) entrent souvent en composition avec un nom de personne antéposé (Exemple, Sensenruth, c'est à cause de la structure germanique de la langue, qui met le déterminant après le déterminé (comme en flamand ou en anglais).
Parmi les lois d’évolution… la paresse des usagers
L’évolution s’est généralement faite par transmission orale, mue par des lois d’évolution linguistique dont… la paresse des usagers. Et donc l’abandon progressif des lettres un peu fatigantes ou difficiles à prononcer.
C’est ainsi que Monquintin (commune de Rouvroy) était jadis Mont-Saint-Quentin, mais… l’usage l’a réduit et simplifié.
Il y a aussi des noms de patelins devenus célèbres comme Houte-si-Plou (commune de Neupré). À l'origine, une injonction ironique adressée aux meuniers et voulant dire « Écoute s'il pleut», en wallon liégeois « Hoûte-s'i ploût ». Plusieurs autres endroits de Wallonie et de France sont ainsi dénommés, parfois sous la forme « Chôute-si-Plout » ou « Ecoute-s'il-Pleut».
Quand tous ces noms de villages et hameaux ont-ils été « fixés» définitivement? «Après la Révolution française, alors que la Belgique était devenue territoire français, les noms de villes et de villages ont été progressivement enregistrés et fixés par la loi. Mais cela n'est pas le cas pour les hameaux, dont la graphie a donc encore pu évoluer et n'est toujours pas fixée de manière stricte.