Dépénalisation de l'IVG: «Le débat aurait dû aller au Sénat»
Pour la sénatrice MR Christine Defraigne, le Sénat est plus à même d’examiner le dossier de la dépénalisation de l'IVG avec plus de sérénité.
Publié le 24-07-2018 à 07h41
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Présidente du Sénat et cheffe de groupe MR au conseil communal à Liège, Christine Defraigne a une analyse sur le texte de la majorité fédérale (MR, N-VA, CD&V, Open VLD) sur la dépénalisation de l’avortement ou de l’Interruption volontaire de la grossesse (IVG).
Que pensez-vous du texte de la majorité fédérale?
Je voudrais faire quelques remarques préalables. D’abord les débats éthiques et bioéthiques ont toujours eu lieu au Sénat. ça permet de dépassionner les discussions et d’éviter des positions irrationnelles. Je regrette les montées dans les tours qui ont entouré le sujet sur la dépénalisation de l’IVG, alors qu’il s’agit d’un sujet qu’il faut aborder avec prudence, délicatesse et maturité. On n’est pas sur un terrain de foot où une équipe joue contre l’autre. Le but est d’appréhender le sujet dans l’intérêt de la société. Il mérite un débat dans la sérénité avec l’expérience et le recul nécessaire qui aurait trouvé sa place au Sénat. Cette option aurait aussi permis d’éviter la pression médiatique ainsi que les calculs politiques et politiciens. Personnellement, je pense que ce débat sur l’IVG aurait dû se faire au Sénat.
Quel regard portez-vous sur le texte?
Je pense qu’il intègre des avancées. Actuellement, le code pénal considère l’IVG comme une atteinte à l’ordre des familles et à la moralité publique. C’est évidemment inacceptable à notre époque. Extraire totalement l’avortement du code pénal est une revendication que j’ai portée et que d’autres aussi souhaitent voir se réaliser. Mais dans la situation compliquée que nous sommes avec une CD&V qui s’y oppose et qui en a fait une question de gouvernement, je pense qu’on a été aussi loin qu’on peut aller avec la suppression du délai de réflexion de six jours (actuellement, le code pénal précise que le médecin ne pourra au plus tôt, pratiquer l’interruption de grossesse que six jours après la première consultation prévue et après que l’intéressée ait exprimé par écrit, le jour de l’intervention, sa détermination à y faire procéder, NDLR) et de l’état de détresse. Ce dernier point est une concession faite aux anti-avortement en 1990. Avec la suppression des six jours de réflexion, le délai de 12 semaines dans lequel on peut pratiquer l’avortement est porté pratiquement à 13 semaines. C’est très difficile d’aller au-delà dans la mesure où en Belgique on est obligé de faire des compromis.
Ces avancées sont-elles suffisantes d’après vous?
Bien sûr que non. J’aurais préféré par exemple qu’on porte le délai des 12 semaines à 14, 15 ou encore 16 semaines, mais je me fais mienne la citation de Mao Tsé-Toung (fondateur et ancien dirigeant de la république populaire de Chine décédé en septembre 1976, NDLR) qui indique que «toute longue marche commence toujours par le premier pas». Je considère que le texte sur la table est un pas important, mais il faut le prendre comme une étape. Nous verrons comment les cartes seront distribuées après les élections.
Comment avez-vous accueilli la réaction du PS sur le sujet?
J’ai noté beaucoup d’agressivité dans le chef de certains parlementaires, mais je voudrais rappeler que rien n’a bougé sur le dossier de l’IVG lorsque le PS était aux responsabilités et a géré des compétences comme la Justice ou la Santé publique. Je regrette cette polarisation du débat et la levée de boucliers du PS. Mais je ne vais pas pleurer sur le lait renversé. Il faut maintenant prendre les avancées engrangées et voir ce qu’on peut faire après.
Que répondez-vous à ceux qui dénoncent une réforme de façade indiquant que les sanctions sont toujours présentes?
Je déplore cette caricature. Mais je pense que la femme qui avorte ne devrait plus faire l’objet de sanctions pénales. Cette période qu’elle traverse est suffisamment difficile et très lourde. L’avortement peut être considéré comme un échec sur plusieurs plans (familial, social, psychologique, etc.) et les sanctions pénales ont quelque chose de culpabilisants. Il faut réfléchir à aller plus loin et pour le médecin, on pourrait opter pour des sanctions sur le plan déontologique. Je pense que nous sommes dans une politique de petits pas importants et il faut prendre le nouveau texte de réforme comme tel. Il faut aussi réfléchir à un accompagnement des femmes qui sont confrontées à l’IVG.
Quid des critiques du Centre d’action laïque (CAL)?
Je peux comprendre que le CAL aurait voulu une dépénalisation totale et que ses revendications soient rencontrées à 100%. Moi aussi, je porte cette demande. Je refuse de croire qu’il a été instrumentalisé politiquement. J’ai de très bons rapports avec le CAL comme avec les différentes associations de convictions philosophiques ou religieuses différentes. Je ne souhaite pas une attitude de crispation inutile qui ne servirait pas le débat. Je préfère une politique d’ouverture et de dialogue qui est bien plus efficace que les slogans et les hurlements.