«On se laisse piéger par la routine»
Les entreprises sont devenues si gigantesques que les moyens de contrôle sont insuffisants, estime le vétérinaire Alain Schonbrodt.
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Publié le 14-03-2018 à 08h20
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Les vétérinaires sont en première ligne dans le contrôle de la sécurité alimentaire. En tant qu’inspecteurs, fonctionnaires salariés de l’Afsca, mais aussi comme indépendants, employés par l’Agence fédérale de contrôle dans les abattoirs ou aux frontières. Pour Alain Schonbrodt, de l’Union professionnelle vétérinaire, c’est le gigantisme de l’industrie alimentaire qui rend les contrôles «quasi impossibles».
Ce scandale chez Veviba, comment l’expliquez-vous?
La responsabilité primaire, on la connaît: il y a eu de la fraude, c’est certain. Est-ce que c’était dangereux pour la santé? J’en doute. Mais c’est une fraude qui n’aurait pas dû se produire. C’est une histoire de petits profits. Des petits profits ridicules.
Mais comment expliquer que l’Afsca, qui a envoyé un inspecteur au Kosovo en 2016, a tant tardé à intervenir? 18 mois, c’est long.
Là, je dois dire que je suis scié. Il faut laisser le temps à l’enquête mais ce que je ne comprends pas, non plus, c’est pourquoi le parquet a été si long à délivrer le permis de perquisition.
Il y a eu des contrôles de l’Afsca durant ce temps. Pourquoi sont-ils si inefficaces? Les contrôlés sont-ils informés à l’avance?
Il ne faut pas confondre deux types de contrôles. Les contrôles inopinés, qui se font de manière aléatoire, cela ne représente grosso modo que 5% et il y a rarement lieu d’en tenir. La part majeure, ce sont des contrôles de routine, où il faut que l’exploitant soit prévenu, pour que les bêtes soient présentes, que les papiers soient prêts. Vous savez, un contrôle de routine, cela devient vite routinier. On se laisse piéger par la routine. Mais être prévenus des contrôles inopinés, ça non. Il est évident que si les contrôleurs remarquent que le pédiluve est impeccable, qu’il n’y a pas d’araignées dans les coins et que les papiers sont bien préparés, en ordre…
On parle aussi d’enveloppes, pour fermer les yeux.
Des enveloppes, non, ça n’a pas lieu d’être. Pas mal d’agents de l’Afsca sont en burn-out, tellement la pression est forte sur eux. Les audits internes sont fréquents. Leurs supérieurs peuvent les accompagner. Les inspecteurs n’ont pas intérêt à négliger leur tâche.
Mais où est le problème, alors?
Les entreprises deviennent tellement gigantesques que les moyens affectés aux contrôles sont insuffisants. Pour moi, ça peut être une explication, une piste de réflexion. Plus les filières s’allongent, et plus il y a de possibilités pour les intervenants dans la chaîne pour faire pression ou pour frauder.
La production intensive doit donc être remise en question.
La solution, c’est de ne plus intensifier à ce point. L’intensification, c’est pour l’exportation. On en est dépendant économiquement. On abat 11,2 millions de porcs par an en Belgique, plus qu’il y a d’habitants dans le pays. Les carcasses partent, mais le lisier reste chez nous. On a bien connu ces problèmes. 94% de la production étant en Flandre, ce serait une catastrophe pour l’économie flamande s’ils devaient arrêter mais ils vont y être obligés. Déjà aux Pays-Bas, les fermiers doivent réduire leurs cheptels parce que les sols sont trop pollués. Et au Danemark, ils commencent à connaître de gros problèmes aussi.
L’issue serait, pour vous, de privilégier les circuits courts
Pour le consommateur, ce sera plus cher mais il aura la qualité. C’est beaucoup plus facile de contrôler un boucher qui achète ses bêtes chez le fermier du coin. Le cheptel argentin, il est tracé à 2%. La traçabilité, une fois qu’on arrive à l’abattoir, ça devient très difficile à gérer. Là, on a un problème. Les installations sont devenues tellement énormes, avec des filiales à l’étranger, que les contrôles sont impraticables. Tracer une bête congelée depuis 2001, c’est quasiment impossible. Et ça montre aussi que chez Veviba, il y avait des recoins où on n’est plus allé fouiller depuis 2001.