VIDÉO | Fruitiers: la revanche des hautes tiges
Arrachés en masse jadis, les arbres fruitiers hautes tiges suscitent à nouveau l’intérêt. Positif pour la diversité et rentable économiquement.
Publié le 24-11-2017 à 19h00
Début des années 70, le tout à l’agriculture intensive a bien failli avoir la peau de nombreuses variétés de fruitiers hautes tiges. À l’époque, l’État offrait des primes pour l’arrachage de ces arbres, remplacés par des plantations de fruitiers basses tiges plus rapidement productifs et mieux adaptés à une agriculture toujours plus mécanisée. Résultat: entre 1970 et 1978, 99% des 20 000 hectares (voire plus car les recensements étaient parcellaires) des vergers hautes tiges ont disparu.
Quarante ans plus tard, ces variétés anciennes de fruitiers hautes tiges, traditionnels de nos régions, vont-elles connaître leur revanche? C’est le pari du projet “ Diversifruits ” qui sera officiellement lancé début 2018.

Objectif de ce projet porté par L’Agence pour l’entreprise et l’innovation et la Fédération des parcs naturels de Wallonie? Développer une filière pour la production et la commercialisation issue des vergers hautes tiges ou, autre appellation, vergers de plein vent. Avec des variétés anciennes et locales évidemment.
«La seule manière de faire revivre ce patrimoine dans une économie de marché, c'est de lui redonner une valorisation économique», assure Benjamin Cerisier, qui pilote le projet.
Et le timing semble bon. Depuis quelques années, surfant sur la vague d'un retour au naturel et d'un intérêt marqué pour les produits alimentaires de qualité, la demande en fruits non standardisés est en effet bel et bien là. «Mais elle n'est pas suffisamment rencontrée», note Benjamin Cerisier, qui compte s'appuyer sur les acteurs des circuits courts pour multiplier l'offre.

C’est dans ce cadre qu’une des premières actions de Diversifruits sera de lancer un appel à projets pour la valorisation des fruits de table et de produits transformés (cidre, poires tapées, fruits séchés, compotes,…). Une vingtaine d’acteurs ont déjà marqué leur intérêt et pourraient rapidement monter des projets. Crédal, la coopérative de financement participatif et solidaire, servirait de moteur financier tandis que Diversifruits se chargerait du soutien technique, avec l’appui scientifique du Centre de recherches agronomiques de Gembloux, pionnier dans la sauvegarde des variétés anciennes de fruitiers (voir ci-contre).
«La création d'un label, garantissant l'origine " haute tige " des fruits et des produits transformés permettrait aussi de toucher un plus large public, note Cédric Guilleaume, arboriculteur fruitier et ardent défenseur anciennes variétés (voir ci-dessous) et impliqué dans Diversifruits. Cela marche vraiment très bien en Suisse par exemple. Et je pense qu'on est prêt pour cela aussi en Wallonie.»
Un rôle clé à Gemboux
C’est au Centre de recherches agronomiques de Gembloux que l’on doit le sauvetage des arbres fruitiers hautes tiges d’essence locale. Depuis les années 70, le CRA-W a sauvegardé plus de 3 000 variétés et sous-types de variétés anciennes de pommes, de poires, de prunes et de cerises. Partenaire scientifique de Diversifruits, il dispose d’un verger conservatoire et collabore avec des particuliers pour sauvegarder et multiplier ces fruitiers anciens.
Sur base de 78 variétés sélectionnées, une charte «Certifruit» a été élaborée. Les pépiniéristes qui y adhèrent garantissent des arbres de nos régions, de qualité et tolérant au climat et aux maladies.
ce samedi, le Centre Technique Horticole de Gembloux organise une «journée de l’arbre» (démonstrations, vente de fruits, et arbres, informations, visites guidées) Chemin de la Sibérie 4 – Gembloux
«La demande explose chez les pépiniéristes»

Des arbres fruitiers hautes tiges, depuis 2012, Cédric Guilleaume en a planté des milliers. Et chaque année il en plante toujours plus.
Associé dans la coopérative Cidrerie du Condroz, à Barsy, il a commencé à en planter pour cette activité économique, chez des propriétaires à qui la cidrerie rachète ensuite les fruits. Lors des premières années d’activités, il a aussi cherché des vieux vergers qui pourraient alimenter la cidrerie directement.
«On entretient ainsi des anciens vergers en attendant que les nouveaux soient productifs, dit-il. Avec un bon entretien, on peut donner 20 ans de vie de plus à un arbre.» Mais, plantés à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les rares vieux vergers qui ont subsisté arrivent malgré tout en fin de cycle. Heureusement, les jeunes arbres plantés en 2012 arrivent à maturité pour prendre le relais.
Mais des fruitiers, Cédric Guilleaume en plante aussi pour d'autres. «Ce sont souvent les grands propriétaires terriens qui ont été les premiers à comprendre l'intérêt économique de ces vergers.»
Depuis 4 ou 5 ans, la demande est forte également chez les agriculteurs qui y voient une possibilité de diversification. Des vergers réapparaissent dans les pâtures, où les arbres assurent aussi un couvert de protection pour le bétail.
Mais, et c'est plus nouveau, on plante aussi des fruitiers dans les cultures. «J'en suis ainsi à mon troisième projet de plantation dans des cultures de céréales, dit l'arboriculteur fruitier. Actuellement, sur une surface de 17 hectares, je plante tous les 50 mètres. Cela n'engendre presque pas de perte de surface pour les céréales et les arbres vont jouer un rôle de brise-vent, réduire le ruissellement, ramener des minéraux et de l'humus et également donner un abri pour les prédateurs des ravageurs.»
Grâce au travail de sélection du centre de recherches agronomiques de Gembloux (CRA-W) d’anciennes variétés résistantes, productives et donnant des fruits de goût, Cédric Guilleaume est convaincu que ce retour à l’avant- plant des fruitiers hautes tiges va s’installer sur la durée.
«Aujourd'hui, la demande de variétés anciennes explose chez les pépiniéristes.» L'activité économique autour de ces fruits se développe également, notamment avec un vrai regain d'intérêt pour les fruits de table via la vente en circuits courts. Et alors que la Cidrerie du Condroz était pionnière en 2012 en termes de travail artisanal, deux autres, en Gaume et à Andenne, ont été créées depuis. «Et j'ai connaissance d'au moins deux autres projets.»
Et si aujourd’hui c’est le pommier qui occupe l’essentiel de ces nouveaux vergers, le Condrusien, qui vient d’en planter 1 000 sur les terrains d’AgriBio à Buzin, prédit aussi un bel avenir aux poiriers.
INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES
100% de retour sur investissement
Rentable un verger haute tige? Diversifruits a fait le calcul.
Pour un coût de plantation de 70 à 120€/arbre et un entretien annuel de 12,50€ pendant les 5 premières années (tous les 3-4 ans ensuite), il faut compter un investissement de 11 000 à 20 700€ pour un verger de 60 arbres, selon que l’on plante et entretienne soi-même ou non. Une subvention wallonne de 12€ est possible dès 20 arbres (elle est doublée si la plantation est faite par une entreprise reconnue).
Quant au retour sur investissement, au total sur ces 20 années, chaque arbre devrait rapporter 656€, sur base de 25% de la production vendue en fruits de table et 75% en fruits de transformation. Soit 39 360€, un rendement de 100% minimum. Et, précise-t-on chez Diversifruits, au-delà des 20 premières années, un pommier peut encore produire 180 kg par an. Soit 14 000€ par an pour 60 arbres.
INTÉRÊT BIOLOGIQUE
Variété génétique et qualité nutritive
Sauvegarder les fruitiers anciens, c’est préserver une riche variété génétique. Avec des qualités biologiques qui les rendent plus adaptés au climat de nos régions et plus tolérant aux maladies, ces variétés se passent de tout traitement chimique puisqu’elles ont été créées avant l’usage des pesticides.
Mais la qualité biologique est aussi dans les fruits dont la qualité nutritionnelle est plus importante. «Des études ont ainsi montré que les fruits des variétés anciennes de hautes tiges avaient une concentration en vitamine C jusqu'à deux fois plus importante», indique Benjamin Cerisier.
Les fruits de ces variétés anciennes sont également multi-usages. Une pomme belle-fleur large mouche ou une Jacques Lebel sera aussi bonne en compote qu’en fruit de table. Ce n’est pas le cas d’une jonagold.
INTÉRÊT ENVIRONNEMENTAL
Un rôle dans le maillage écologique
Les vergers sont un lieu de prédilection pour la chouette chevêche d’Athéna, rapace nocturne menacé qui apprécie les milieux ouverts. Mais ce n’est qu’un des aspects de l’intérêt environnemental des vergers hautes tiges. D’autres prédateurs, comme des rapaces et la fouine y trouveront refuge, jouant un rôle naturel dans l’élimination de ravageurs comme le campagnol.
Le lérot, un autre rongeur en voie de disparition chez nous, apprécie aussi ce milieu semi-naturel.
Un verger haute tige est aussi une ressource nourricière d’autant plus importante pour les pollinisateurs que ces variétés de fruitiers ne nécessitent pas de traitement par pesticide.
Enfin, ce type de verger joue un rôle essentiel dans le maillage écologique en permettant la liaison entre les milieux ouverts et les forêts.