Supprimer la mention du sexe de l’État civil ?
Changer plusieurs fois d’enregistrement de sexe et de prénom à l’État civil. Le projet de loi visant à réformer la loi transgenres a été déposé cette semaine à la Chambre.
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Publié le 27-05-2023 à 06h00
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Changer d’enregistrement de sexe et de prénom à l’État civil, autant de fois qu’on le souhaite. C’est l’objectif du projet de loi, validé par le conseil des ministres en mars et déposé à la Chambre cette semaine par le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne et la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, Marie-Colline Leroy.
Le projet de loi veut réformer la loi transgenres entrée en vigueur au 1er janvier 2018. Si cette loi permet aux personnes transgenres de modifier l’enregistrement de leurs sexe et prénom désormais sans condition médicale particulière, certaines parties du texte ont été pointées du doigt par la Cour constitutionnelle.
Celle-ci a estimé en 2019 que les droits des personnes non binaires (qui ne sentent ni homme, ni femme) et de genre fluide (qui s’identifient de façon variable aux genres masculin ou féminin) n’ont pas été suffisamment pris en compte.
Plus irrévocable
Pour remédier à cela, le projet de loi actuel supprime le caractère irrévocable de la modification de l’enregistrement du sexe et du prénom.
En d’autres termes, changer son marqueur de genre (de M à F ou F à M) peut se faire à plusieurs reprises, et via la procédure ordinaire, devant l’officier de l’État civil (aujourd’hui, toute modification supplémentaire – "dans des circonstances exceptionnelles" – impose un passage au tribunal).
Il ne limite plus non plus à une seule fois le changement de prénom pour des raisons de transidentité. La condition de choisir un prénom qui soit en adéquation avec l’identité de genre vécue intimement est également supprimée.
Par ailleurs, les deux procédures (changement de prénom et réassignation sexuelle) sont rendues totalement indépendantes l’une de l’autre.
M/F/X ?
Si le but est de respecter au maximum le droit à l’autodétermination de chacun, dit le texte, le projet de loi ne s’adapte que partiellement à l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Ainsi, la reconnaissance des personnes non binaires dans l’acte de naissance est renvoyée à plus tard , "car cela demande un examen plus approfondi avec tous les acteurs", peut-on lire dans le texte.
À l’époque, la Cour constitutionnelle avait suggéré plusieurs pistes: la création d’une ou de plusieurs "catégories" supplémentaires ou encore la suppression de l’enregistrement du sexe comme élément de l’État civil d’une personne.
Selon les ministres, "la création d’une catégorie “X” supplémentaire (à côté de M/F) ne semble pas indiquée compte tenu de son effet stigmatisant". Et ne plus enregistrer le sexe requiert "une analyse en profondeur vu les répercussions dans plusieurs branches du droit, et en particulier dans le droit de la filiation". À noter qu’en décembre dernier, le MR s’était montré défavorable à l’invisibilisation de la mention du sexe/genre sur la carte d’identité.
569 demandes en 2022
Pour Véronique De Baets, porte-parole de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH), le projet de loi sur la table de la Chambre va dans le bon sens. Selon une étude européenne, 57% des jeunes hommes trans, 35% des jeunes femmes trans et 23% des jeunes non binaires se sentent discriminés en montrant leurs papiers. "Pour eux, leur apparence ne correspond pas au genre qu’on leur a assigné. "
Les demandes de modification d’enregistrement de sexe à l’État civil ont explosé avec l’entrée en vigueur de la loi transgenres en 2018. Cette année-là, on enregistrait 742 requêtes (110 en 2017), pour 530 en 2021 et 569 en 2022. Ce qui reste peu élevé alors qu’il y a aurait 55 000 personnes transgenres en Belgique.
L’ASBL Genres Pluriels, qui œuvre à la visibilisation des personnes transgenres/genres fluides et intersex (ué)es, estime que le projet de loi est "un premier pas dans la réponse à la Cour constitutionnelle".
"Un premier pas"
L’ASBL, qui avait porté, avec d’autres associations, l’affaire devant la Cour constitutionnelle en 2018, soutient le fait de pouvoir changer de prénom à plusieurs reprises. "Le prénom nous identifie au niveau social. C’est important", dit Max Nisol, membre fondateur de l’ASBL. Il avertit toutefois sur le changement d’enregistrement de sexe: "La modification de la lettre (M/F, NDLR) , peut aujourd’hui créer des problèmes administratifs et médicaux. Car en modifiant la lettre, le numéro de registre national change aussi ! Le numéro est pair pour les femelles et impair pour les mâles."
Avec, selon l’ASBL, des conséquences sur l’accès aux soins ou encore de double perception des impôts… "Les personnes sont souvent mal informées", assure Max Nisol pour qui il faut – afin de répondre complètement aux griefs de la Cour – débinariser le numéro national et retirer la mention du sexe sur la carte d’identité. "Ce n’est pas une donnée valide pour identifier une personne."
Véronique De Baets ajoute: "C’est une donnée privée. Pourquoi l’afficher ? On peut rendre ces informations invisibles sur la carte d’identité. Par contre, on a besoin de garder des statistiques de genre pour pouvoir adapter nos politiques anti-discriminations." Place aux débats.