"Il faut un échange simultané": les dessous d’une négociation tortueuse pour faire libérer Olivier Vandecasteele
L'humanitaire tournaisien Olivier Vandecasteele a été libéré ce vendredi 26 mai 2023. Malgré la ratification d’un traité de transfèrement entre prisonniers Iraniens et Belges, les deux États ont tout tenté pour tirer le maximum de leurs interlocuteurs.
Publié le 26-05-2023 à 12h11 - Mis à jour le 26-05-2023 à 17h32
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C’est donc par l’entremise du Sultanat d’Oman, qui a joué les intermédiaires avec l’Iran, qu’Olivier Vandecasteele a enfin été libéré après 455 jours de détention. En contrepartie, la Belgique a libéré Assadolah Assadi, diplomate iranien condamné à 20 ans de prison à Anvers pour avoir fomenté un attentat en France en 2018.
Ping-Pong
L’événement clôt une longue période de négociation entre les deux États, ponctué par un ping-pong juridique entre l’État belge et la Cour constitutionnelle, qui a, courant mars, avalisé le traité de transfèrement devant permettre l’échange entre Olivier Vandecasteele et le terroriste iranien.
Mais les autorités belges ont fait savoir, vendredi, que l’échange a pu avoir lieu non pas en vertu dudit traité, mais d’un article de la Constitution belge qui assoit la compétence de l’exécutif belge (Roi, gouvernements) en matière de relations internationales.
Pourtant, c’est bien le fameux traité de transfèrement, et ces contours, qui fut au cœur des négociations entre la Belgique et l’Iran. Dès le 18 avril et l’entrée en vigueur de celui-ci, la Belgique a d’ailleurs fait sa demande de transfèrement pour Olivier Vandecasteele. Quelques jours plus tard, l’Iran annonçait à son tour avoir fait sa demande, se réjouissant dans la foulée de la libération prochaine de son diplomate.
Mais la Belgique a très vite démenti tout échange imminent, dénonçant un "État voyou" qui "tente de manipuler l’information". Surprenant, à première vue. Moins, si l’on se penche sur les coulisses de cette négociation.
Piratage
D’après des documents officiels iraniens glanés par un groupe de pirates informatiques liés à l’opposition en exil (CNRI), et que L'Avenir a pu consulter (tout comme nos collègues du Morgen, qui ont révélé le contenu de cette fuite mi-mai), la Belgique a tenté de tirer le maximum de l’Iran, en glissant dans l’équation d’un échange éventuel la libération d’Ahmadreza Jalali, ressortissant suédo-iranien accusé d’espionnage, capturé en 2016 et condamné à mort en 2017.
Si les autorités belge nient être intervenues pour tenter de faire libérer Jalali, c’est pourtant ce qui ressort d’un échange entre les représentants des Affaires Étrangères des deux pays courant avril, juste avant un entretien entre le Premier ministre Alexander de Croo et le président iranien Ebrahim Raïssi.
L’idée fait sens: Jalali a enseigné à la VUB, à Bruxelles, et a donc résidé en Belgique, tandis que l’espion Assadi, qui connait quelques secrets du régime iranien - en particulier l’identité et les tâches de ses agents secrets en Europe - vaut cher.
Mais, si ce "deal" se défend, la réponse de l’Iran a été cinglante: Jalali n’étant pas Belge, il n’est pas concerné par le traité et la requête est fermement rejetée. Pire, le régime se fait menaçant, estimant qu’en cas de "perturbation judiciaire", le transfert d’Olivier Vandecasteele serait suspendu. Il faut un échange "simultané", réclament alors les autorités iraniennes, promettant, en cas de succès de l’opération, des relations plus ouvertes non seulement avec la Belgique, mais aussi avec le reste de l’Union européenne.
Casse-tête juridique
Seul bémol à ce scénario bien ficelé : la Belgique est juridiquement contrainte par un arrêt de la Cour constitutionnelle. Lequel, s’il reconnaît la légalité du traité, stipule qu’en cas d’échange de prisonniers, le gouvernement doit tenir informées de sa décision "les victimes des agissements du condamné" afin que celles-ci puissent en contester la légalité devant un tribunal de première instance. Par victimes, la cour désigne notamment l’opposition iranienne en exil (CNRI), visée par le projet d’attentat de Villepinte de 2018 fomenté par Assadolah Assadi. Or c’est bien le CNRI qui, devant les tribunaux, s’est opposé plusieurs fois - avec succès - à la ratification de ce traité.
Courroux
"Je n’ai pris aucun engagement", (NDLR : auprès de l’Iran) assure pourtant, devant la Chambre, le Premier ministre Alexander de Croo, après son échange avec le président iranien Ebrahim Raïssi. Quelques jours plus tard (le 24 avril), l’Iran se fend d’un gros coup de communication en annonçant la libération prochaine d’Assadi, tout en se montrant optimiste pour la libération d’un certain Hamid Nouri, un cacique du régime condamné à la perpétuité en… Suède.
De quoi déclencher le courroux des autorités belges, prises entre leur volonté de faire libérer Vandecasteele le plus tôt possible et celle de respecter la légalité du processus.
Finalement, d’apès les informations récoltées par l’Avenir, l’opposition en exil visée par l’attentat de Villepinte n’a pas été prévenue de la libération d’Assadi. "La vie d’Olivier a toujours primé. C’est une responsabilité que je prends sur moi. Et que j’assume", s’est défendu ce vendredi le Premier ministre Alexander de Croo. "Le cas de la Belgique est particulièrement difficile", concédait, quelques jours avant sa libération, la ministre des Affaires Étrangères Hadja Lahbib. Quoi qu’il en soit, pour les autorités Belges mais surtout pour Olivier Vandecasteele, le calvaire est terminé. Il continue, hélas, pour la trentaine d’Occidentaux encore emprisonnés dans les geôles iraniennes.