Procès des attentats | La directrice de la prison raconte le quotidien d’Abdeslam: "Des craintes qu’il ne mette fin à ses jours"
La vie n’est pas rose dans le cachot d’Abdeslam. La directrice de la prison d’Ittre l’a détaillé et a évoqué ce détenu "correct et poli". Toutes les 15 minutes, il était réveillé : c’était les consignes imposées par sa direction.
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Publié le 24-05-2023 à 15h36 - Mis à jour le 24-05-2023 à 16h56
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C’est assez inhabituel mais c’est la directrice de la prison d’Ittre qui est venue témoigner ce mercredi au procès des attentats de Bruxelles. Elle s’y est présentée à la demande de l’avocate de Salah Abdeslam.
Son témoignage a illustré les conditions de détention sévères imposées à celui qui a déjà été lourdement condamné pour les attentats de Paris. Entre les lignes, cette directrice - dont l’approche humaine est indéniable - ne semble pas en raccord avec les consignes émises par sa hérarchie sur les conditions de détention de Salah Abdeslam.
Celui-ci est arrivé à Ittre le 13 juillet 2022 et y est resté jusqu’en novembre. Ensuite, il a été transféré à la prison de Haren pour se rapprocher du procès des attentats de Bruxelles. Pascale Alexandre, la directrice, se souvient de l’arrivée de ce détenu très médiatisé. " Il y avait des craintes qu’il ne mette fin à ses jours mais rien ne le laissait apparaître ", avait-elle conclu après avoir discuté avec l’intéressé. " Quand il est arrivé, il était relativement serein par rapport à sa condamnation à Paris. On a discuté du fait qu’il n’a pas fait appel, du procès à venir (à Bruxelles). Il était inquiet par rapport aux box des accusés et aux conditions de transfert. Il était fort déçu de la justice française et il avait beaucoup d’appréhension par rapport au nouveau procès.
Quand il y a eu la décision de retirer les box, il y a eu un changement et une relation de confiance a pu se nouer avec le tribunal. "
Le régime a été imposé par la direction générale
Normalement, le régime de sécurité doit être proposé par le directeur de la prison. Dans le cas d’Abdeslam, afin de respecter la procédure, on a demandé à la directrice de proposer ce régime. Alors qu’elle n’estimait pas que toutes les restrictions étaient justifiées. "On m’a demandé de proposer ce régime sur base du régime strict," confirme-t-elle à la présidente. "En théorie, le directeur de la prison décide du régime mais j’ai reçu des indications de ma direction régionale qui m’a dit quelles modalités proposer."
Et ces modalités, on peut comprendre qu’elles peuvent peser sur la santé mentale d’un détenu. Salah Abdeslam a ainsi été privé d’activités sportives et culturelles avec d’autres détenus. "Les visites étaient seules. D’abord derrière le carreau, puis un plexi, puis en salle de visite."
L’accès au téléphone était aussi restreint : "il y a des instructions particulières pour les détenus suivis par la CellEx (Cellule extrémisme). Il devait demander l’accès au téléphone."
Réveillé toutes les 15 minutes
La surveillance du terroriste était quasiment permanente : "le personnel vérifiait tous les quarts d’heure s’il était toujours bien en vie." Et elle confirme que, cette mesure, elle ne l’aurait pas maintenue en raison des nombreuses rencontres qui l’avaient mis en confiance. " Peut-être toutes les demi-heures la première semaine. Mais pas au-delà..." Elle détaille ainsi cette mesure : "C’est intrusif et dérangeant au niveau du bruit. Il y a le guichet métallique et il faut allumer la lumière. " Salah Abdeslam était ainsi réveillé toutes les 15 minutes.
Sa cellule était aussi particulière. Il s’agit du cachot qui était destiné aux détenus sanctionnés. Cette mesure d’écartement de la section a aussi été imposée par la direction générale. "C’était un détenu correct, poli. Il respectait les injonctions des agents et quand il n’était pas d’accord, il s’expliquait."
À la demande de Delphine Paci, l’avocate de Salah Abdeslam, la directrice de la prison a estimé que le RSPI (Régime de sécurité particulier individuel) ne doit pas s’inscrire dans la durée. "Pour la santé mentale du détenu, ça doit être dirigé vers une ouverture." Ce type de détention pèse sévèrement sur le quotidien des détenus. "L’isolement a des effets néfastes par rapport au sommeil, à l’humeur, à un état dépressif. Je pense qu’il a pu mettre en place une force mentale pour résister à ça. Il est possible que la foi l’ait aidé à structurer sa pensée."
1 h de préau et sans soleil
Son isolement le privait aussi des moments de préau. Il y avait droit mais pas comme les autres détenus. Et pas dans la même cour car elle était visible des autres cellules. Alors que les autres pensionnaires d’Ittre ont droit à trois sorties quotidiennes dans le préau, Salah Abdeslam n’avait droit qu’à une heure. "Le préau classique, c’est comme une cour de récréation, illustre la directrice. Mais l’accès au préau de la section Deradex, c’est grand maximum 20 à 25 m2, avec des grillages au-dessus, du béton partout, les murs sont hauts. Je ne suis même pas sûre que le soleil donne sur ce préau..."