Procès des attentats : Abdeslam alterne entre les postures du petit gars de Molenbeek et celle du soldat de Dieu
Un rapport d’expertise psychiatrique de Salah Abdeslam réalisé en novembre 2021 a été présenté ce mardi 23 mai 2023 devant la cour d’assises de Bruxelles.
Publié le 23-05-2023 à 18h15 - Mis à jour le 23-05-2023 à 19h25
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"Salah Abdeslam alterne entre les postures du petit gars de Molenbeek et celle du soldat de Dieu. Le sujet oscille entre la revendication d’un engagement déterminé et la manifestation d’une humanité", est-il ressorti d’un rapport d’expertise psychiatrique réalisé en novembre 2021, au cours du procès des attentats à Paris. Ce rapport a été présenté mardi après-midi devant la cour d’assises de Bruxelles, qui juge les attentats du 22 mars 2016, par l’un de ses auteurs, le docteur Daniel Zaguri.
Dans ce rapport, les psychiatres, qui ne se sont entretenus qu’une seule fois avec Salah Abdeslam durant 2h30, reviennent sur son parcours de vie, son entrée dans la vie professionnelle et son adhésion au modèle de l’État islamique, "cet arsenal déshumanisant".
"Salah Abdeslam nous décrit d’abord son enfance et ses origines marocaines, mais très brièvement, sans entrer dans les détails", a exposé l’expert psychiatre français. "Comme s’il voulait se désarrimer de l’histoire familiale, ne voulant pas mêler ce cercle (proche) à l’opprobre du procès".
"Mais ensuite, quand il aborde les faits, son discours est entier et sans nuance. Le choix du combat était, à ses yeux, une action de guerre nécessaire liée à l’intervention militaire des Français en Syrie et aux exactions commises par le régime de Bachar el-Assad", a-t-il expliqué. L’accusé a cependant exprimé une forme d’empathie vis-à-vis des victimes. "Il dit ne pas être insensible à leur souffrance, tout en soulignant le fait que ces victimes sont la conséquence d’un mal initié par d’autres".
Au cours de son entrevue avec les médecins, Salah Abdeslam répétera à plusieurs reprises "ne pas avoir de sang sur les mains", un peu comme s’il récusait l’idée de violence gratuite, a avancé Daniel Zaguri avec précaution.
"À chaque question qu’on lui posait, il nous récitait le bréviaire des radicalisés mais pas comme un perroquet. On sentait que sa carapace n’était pas si solide que ça. On avait l’impression qu’un vacillement, une oscillation était à l’œuvre", a-t-il précisé.
Interrogé sur la radicalisation de Salah Abdeslam, l’expert a répondu que l’accusé était "un homme-système comme tous les sujets radicalisés, embrigadés dans un régime autoritaire". Il a ajouté que "néanmoins on sent que l’homme-système n’a pas complètement fait disparaître l’homme, sa personnalité intérieure n’a pas été complètement enfouie. Il est traversé par des courants contraires".
L’expert a aussi déclaré que "dès le départ et tout au long de notre entretien, il a insisté pour que l’on montre de lui une image plus humaine que celle que réverbéraient les médias".
"Bien sûr j'ai de l'humanité"
"Bien sûr j'ai de l'humanité, j'ai fait le bon choix à ce moment-là [en abandonnant la ceinture explosive]", a insisté Salah Abdeslam après le témoignage de l'expert psychiatre français qui l'avait rencontré en novembre 2021. Ce dernier a exposé, mardi après-midi, devant la cour d'assises de Bruxelles, qui juge les attentats du 22 mars 2016, un rapport très circonstancié au sujet de Salah Abdeslam, mettant en avant sa part d'humanité.
Salah Abdeslam a assuré à la cour qu'il avait abandonné sa ceinture explosive le 13 novembre 2015 à Paris, mais aussi qu'il l'avait désamorcée. Pour les procureurs fédéraux, cela n'a pas été établi par la cour d'assises de Paris, mais Salah Abdeslam a insisté, déclarant qu'il avait enlevé l'interrupteur et la pile de la bombe avant de la laisser sur place, pour éviter de blesser des personnes.
"Bien sûr j'ai de l'humanité, j'ai fait le bon choix à ce moment-là. J'ai été jugé de toute façon. Je voulais dire qu'il y a de l'évolution voilà. J'ai fait preuve de respect à l'égard des victimes, j'ai participé aux débats, j'ai collaboré... Ça montre qu'il y a de l'évolution, seul un aveugle dirait le contraire", a déclaré l'accusé.
"J'essaie de construire un avenir malgré le calvaire que j'ai subi en France [soit une incarcération en régime strict], et malgré toutes ces choses que j'ai sur les épaules et avec lesquelles je dois vivre. J'ai perdu un frère, j'ai ma famille qui est détruite, j'ai un avenir incertain, mais j'essaie de me battre, de rester vivant", a-t-il encore dit.
Un peu plus tôt, le docteur Daniel Zaguri, l'un des experts psychiatres qui a rencontré Salah Abdeslam en novembre 2021 à Paris, a expliqué qu'il ressortait de cet entretien que l'accusé "oscillait entre protestation d'humanité et revendication d'un engagement déterminé, entre des postures plus authentiques et des postures de surenchère". Selon le médecin, l'intéressé se disait "pas insensible à la souffrance des victimes", mais en même temps il "récusait toute idée de violence gratuite", expliquant les victimes des attentats comme les représentants d'un État à combattre.
Allant plus loin, le psychiatre a avancé que "le sujet continue de tenir le même discours [radical], mais avec moins de véhémence. Il n'y croit plus tout à fait lui-même, mais il ne peut pas prendre le risque du doute". Il a ajouté que Salah Abdeslam "est un homme-système comme tous les sujets radicalisés, mais en même temps on sent que ça se lézarde, on entrevoit une légère faillite du système".