Opération Wuambushu : de Calais à Mayotte, les méthodes à la dure de l’État français
Une opération d’envergure vise l’expulsion de milliers de migrants du département français de l’océan Indien. Mais rien, ou presque, ne s’est jusqu’ici passé comme prévu.
Publié le 22-05-2023 à 09h13 - Mis à jour le 22-05-2023 à 09h33
:focal(544.5x370.5:554.5x360.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/D47GZZ7AFJC5LFQBTGNWMQFI7U.jpg)
Prononcez "Wuambushu" ("Reprise", en mahorais). C’est le nom officiel de l’opération coup de poing lancée par l’État français fin avril, qui vise à expulser des milliers d’exilés se trouvant sur l’île de Mayotte (située entre l’archipel des Comores et la côte ouest de Madagascar) en plein océan Indien. Des demandeurs d’asile, essentiellement Comoriens, qui peuplent les bidonvilles dans les hauteurs de la capitale Mamoudzou ou celles de Koungou, seconde ville de l’île.
Contexte explosif
Alors que le 101e département français est régulièrement décrit comme "au bord de la guerre civile" ces derniers mois, du fait d’une criminalité élevée et d’une situation économique précaire, l’État français entend employer les grands moyens pour expulser, manu militari, un maximum de migrants, tenus responsables de la situation tant par les autorités qu’une partie de la population.
Au moins 1 800 policiers ont ainsi été mobilisés pour les expulsions, avant la destruction programmée d’une partie significative des cases abritant parfois des familles entières.
Mais dès le second jour de l’opération (25 avril), une décision de justice suspendait le démantèlement de certains bidonvilles, jugeant que cela mettait "en péril" la sécurité des habitants. "L’action menée à Mayotte est la restauration de la paix républicaine. C’est une action difficile mais extrêmement résolue. Ce qui met en danger la population c’est l’insalubrité, l’insécurité et la non-reconnaissance du droit de propriété", tempêtait alors Gérald Darmanin, le ministre français de l’Intérieur, tandis que les expulsions, entravées par le manque de coopération des autorités comoriennes (l’archipel revendique toujours la souveraineté sur Mayotte), se faisaient attendre. Un comble, alors que les autorités françaises avaient annoncé des rotations quotidiennes de bateaux entre Mayotte et Anjouan, l’île principale des Comores.
Depuis lors, la décision du tribunal a été cassée et le ministre français promet la destruction de "l’habitat indigne" à Mayotte et par là, l’expulsion des migrants qui le peuplent. Bon débarras ? Pas si vite: ce scénario de destruction et d’expulsions massives ressemble à l’expérience française de Calais, où le démantèlement, en 2016, de "la jungle", bidonville où se réfugiaient les exilés cherchant à gagner le Royaume-Uni, a laissé place à une situation humanitaire plus précaire encore.
Selon le journaliste français Louis Witter, qui a longuement couvert la "crise" calaisienne et enquête actuellement à Mayotte, cette politique met tout simplement en péril des vies humaines. "La mobilisation policière est telle dans les alentours de Calais que les gens tentent la traversée de plus en plus loin: Boulogne-sur-Mer voire Ouistreham. Tu passes de 33 km à 80 ou 100 km des côtes britanniques très vite, sur des bateaux pas du tout faits pour ça, avec 30 personnes dessus", relate ce dernier, qui vient de publier La battue (Seuil), livre-enquête relatant la politique "zéro point de fixation" développée par l’État français à Calais. Ce "zéro point de fixation" passe, comme à Mayotte, par la destruction des abris des migrants, lacérations ou confiscation des tentes comprises.
"La conséquence, c’est que les migrants font tout pour ne pas rester à Calais, car la ville leur est rendue invivable. Maintenant, ils ne font même plus attention à la météo. Parce que pour les passeurs et les personnes, il faut se lancer le plus vite possible", explique Louis Witter, qui rappelle que le dernier gros naufrage dans la Manche a causé 27 morts fin 2022. Aucun secours, ni côté britannique, ni côté français, n’avait daigné apporter de l’aide à l’embarcation en détresse. À Koungou, les cases visées par la démolition ont été marquées à la bombe. Leur destruction vient juste de commencer.