"Une période affreuse pour les droits syndicaux "
CSC, FGTB et CGSLB appellent à manifester, ce lundi 22 mai, contre les pratiques de dumping social et surtout les attaques croissantes dont fait l’objet le droit des travailleurs à exprimer colère et revendications.
Publié le 19-05-2023 à 17h42 - Mis à jour le 19-05-2023 à 17h44

"F ranchement, avez-vous l’impression qu’en 2023 la Belgique est un pays en train de basculer dans la violence, plus qu’il y a dix ans ? C’est quoi ce délire ?", interroge Thierry Bodson, le président de la FGTB. Très inquiet face aux attaques constantes, répétées, dont fait l’objet le droit à manifester et à la lutte sociale. "Nous sommes dans une période affreuse pour les droits syndicaux."
À l’origine, la manifestation de ce lundi 22 mai, organisée en front commun avec la CSC et la CGSLB, entendait dénoncer les pratiques de "dumping social" et "les attaques sévères portées au droit de grève", dans le contexte du conflit sévère chez Delhaize, et de la franchisation imposée des enseignes de la chaîne de supermarchés. Mais ces derniers jours, une couche d’inquiétude, et de colère, s’est rajoutée avec le projet de loi "anti-casseurs" porté par le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne.
Ce texte prévoit, notamment, que des personnes condamnées pour certains actes de dégradation commis lors de manifestations pourront se voir interdire de manifester durant une période de 3 ans. Pour les organisations syndicales, ça traduit une volonté de s’en prendre à la liberté de faire entendre sa voix dans la rue. Les syndicats sont d’autant plus remontés qu’ils ont pris connaissance du texte in extremis, malgré leurs relais politiques au sein du gouvernement. "Ça a été introduit en coup de force, en catimini, alors que nous sommes quand même les premiers concernés. C’est suspect", souligne-t-il.
Réécrire le texte
"Ce projet veut encore renforcer les possibilités de sanctions en cas de manifestation. C’est gravissime, et il n’y a pas que les syndicats qui s’insurgent. Même le Conseil supérieur de la Justice a émis un avis négatif. Il faut retirer ce texte dans un premier temps et le réécrire", estime Thierry Bodson, au premier chef concerné, car lui-même condamné à deux ans avec sursis, ainsi que 16 militants du syndicat socialiste, pour avoir contribué au blocage de l’autoroute E40, à hauteur du viaduc de Cheratte, à Liège, en 2015.
"Je serais dans ce cas-là, effectivement, dit-il, parce que j’ai été déclaré responsable alors que je n’étais pas sur le pont. Le plus grave, c’est que quelqu’un de condamné pour avoir fait brûler des palettes et abîmé le bitume lors d’un piquet de grève pourrait se voit interdire de participer même à une manifestation de jeunes contre le climat."
Face à la bronca suscitée par ce projet, l’examen du texte a été repoussé à la Chambre. "De deux ou trois semaines." Le ministre a juré que son intention n’était pas de s’attaquer au droit de grève. "Il y a dix ans, on disait la même chose, que l’article 406 du code pénal (qui concerne l’entrave méchante à la circulation) ne s’appliquait pas aux manifestations. Cinq ans après, j’ai été condamné. Les juristes nous disent que cette fois c’est exactement la même chose."
Droit de commerce supérieur
Les syndicats sont d’autant plus méfiants que la tournure du conflit chez Delhaize a démontré que les atteintes au droit de grève vont croissant. "Dans un premier temps, il y a eu la multiplication des astreintes. 1 000 € par client, pas par militant. Ce qui signifie qu’on oppose la liberté de consommer à celle de manifester. Puis quand on a été en tierce opposition, sur le fond, des juges ont confirmé les ordonnances unilatérales, disant que le droit de commerce de Delhaize était supérieur aux droits des travailleurs. Le pic, ce fut le 2 mai, une ordonnance interdisant tout piquet devant les 128 magasins Delhaize, même d’un barrage filtrant, même de distribuer des tracts. Il y a une gradation évidente."
Ces décisions émanent de la justice, pas du politique. "C’est vrai. la justice est une chose et il y a séparation des pouvoirs. Mais il y a aussi l’obligation pour la Belgique de montrer qu’elle respecte les conventions et recommandations de l’Organisation internationale du travail. Les piquets et le blocage de la circulation font partie intégrante du droit grève, rappelle l’OIT. La démocratie, ce n’est pas qu’aller voter une fois tous les cinq ans. C’est de permettre aux gens de manifester et c’est aussi tenter de modifier les lois. La meilleure façon de sortir de cette ambiance délétère, c’est encore d’alerter l’opinion publique."