L’UE et la Tunisie en quête d’un narratif commun
De retour d’une mission d’évaluation de la situation en Tunisie pour le compte de l’UE, la ministre belge des Affaires Étrangères Hadja Lahbib livre ses impressions.
Publié le 14-05-2023 à 17h27 - Mis à jour le 15-05-2023 à 10h02
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Fraîchement revenue de Tunisie, où elle se trouvait en mission la semaine dernière (avec son homologue portugais), pour y représenter l’Union européenne, la ministre des Affaires Étrangères belge Hadja Lahbib a transmis au Conseil européen un rapport visant à évaluer la situation. Ceci alors que le pays connaît une crise économique sans précédent, que le pouvoir enferme ses opposants au nom de la sûreté nationale et que le président Saïed a livré à la vindicte les migrants subsahariens, perçus comme une menace civilisationnelle.
Maintenir le dialogue
De quoi embarrasser profondément l’Union, qui collabore justement avec la Tunisie sur le sujet migratoire et s’inquiète du délabrement de l’État de droit dans ce qui fut le berceau des printemps Arabes.
"Il s’agissait d’aplanir les différends, les sensibilités, d’éviter une rupture du dialogue", avance Hadja Lahbib, qui s’est longuement entretenue avec le président Saïed. "La situation que vit la Tunisie n’est pas sans conséquences pour l’UE", justifie Madame Lahbib. "C’est notre voisin proche au sud, et que ce soit au niveau migratoire, économique et politique, cela a des répercussions sur la situation géopolitique que nous devons affronter du mieux qu’on peut et ensemble, surtout."
Outre une évaluation de la situation largement documentée par les ONG et les médias, comme le souligne Hadja Lahbib, la venue des émissaires européens constituait une occasion de rassurer le président Saïed sur le soutien que lui porte l’UE, malgré les inquiétudes exprimées ces dernières semaines, y compris par le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, qui redoute un "effondrement" du pays. "La perception de l’opinion publique s’est détériorée selon eux" [NDLR : les autorités tunisiennes], dit madame Lahbib . Cela mérite notre attention, notre écoute. Comment redresser cette image alors que nous sommes un des premiers bailleurs de fonds de la Tunisie ? Rien qu’en Belgique, au sein de l’UE, on est le quatrième investisseur. Donc il y a un narratif qu’il faut mettre à plat, en termes de ressentiments, de critiques."
Une société dans la peur
En attendant, l’Union assiste, impuissante, au travail de sape de l’état de droit, par exemple en matière de justice, un domaine dans lequel l’UE s’était proposée d’épauler le pays, avant de faire marche arrière. "IIs ont une vision qui n’est pas la nôtre", reconnaît Hadja Lahbib. "Ils nous ont parlé d’une période marquée par la particratie, l’islamisation rampante, et une politisation de la justice. C’est leur vision, qui justifie à leurs yeux les remaniements de ces dernières années. Ils nous ont dit qu’il fallait arrêter de commenter le processus politique en tant que tel, car il appartient aux Tunisiens."
Cette vision serait aussi celle des représentants de la société civile rencontrés là-bas, lesquels s’inscriraient "non pas en rupture mais dans un dialogue certes critique mais constructif avec les autorités", rapporte Hadja Lahbib. Un dialogue qui se déroule dans un climat très tendu, visiblement : aucune communication n'est faite sur les personnalités civiles rencontrées là-bas.