Obliger les caméras en cellule ? "Ce n’est pas la panacée"
Faut-il équiper toutes les cellules des commissariats de caméras afin que des images vidéo soient toujours disponibles en cas d’incident ? La question est posée par une députée à la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden.
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Publié le 03-05-2023 à 06h00
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"Faut-il équiper toutes les cellules de police de caméras afin que des images vidéo soient toujours disponibles en cas d’incident dans une cellule ?" La question est posée à la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V), par la députée Eva Platteau (Groen). L’écologiste fait écho dans sa question parlementaire au décès de Sourour Abouda, en janvier 2023, dans une cellule bruxelloise. "Elle n’est hélas pas la première personne décédée dans une cellule de police et elle risque de ne pas être la dernière, pointe la députée. Chaque décès survenu dans une cellule doit faire l’objet d’une enquête, car il importe de déterminer ce qu’il s’est passé avant le décès."
Dans une annexe à la réponse de la ministre, on apprend que 60% des cellules des zones de police locale seraient équipées de caméras. Elles sont bien plus en réalité (lire ci-contre).
"Pour le Comité européen pour la prévention de la torture, l’enregistrement électronique (audio et/ou vidéo) représente, pour les détenus, une importante garantie supplémentaire contre les mauvais traitements, souligne Annelies Verlinden. Cette garantie joue [aussi] pour les policiers confrontés à des allégations non fondées."
Dans sa réponse, la ministre note que le Conseil supérieur de la Justice lui a conseillé "d’envisager le placement de caméras avec prise de son dans les lieux de privation de liberté. L’Organe de contrôle de l’information policière soulève le problème de la légalité des enregistrements audio (enregistrer une conversation sans y participer n’est pas légal, selon le Code pénal, NDLR) . Il conviendrait dès lors de prévoir une base légale, similaire à celle applicable dans les cellules de sécurité" des prisons.
Toutefois, une modification de l’arrêté sur les normes minimales dans les lieux de détention (2007), "n’est pas encore à l’ordre du jour", dit la ministre, précisant que "plusieurs arguments requièrent une analyse".
Selon l’article 10 de cet arrêté royal, des caméras "peuvent" aider à la surveillance des personnes mises en cellule, "à condition qu’elles bénéficient d’un minimum d’intimité lors de l’utilisation de la toilette".
"Éviter des incidents"
Pas d’obligation donc, même si les syndicats policiers ne seraient pas contre. "Je plaide pour une caméra par cellule, avance Thierry Belin, secrétaire national SNPS. Cela éviterait des incidents. Le risque zéro n’existe pas. Il faut tout mettre en œuvre pour réduire ces risques et la caméra est un outil."
Eddy Quaino (CGSP) abonde: "Tous les moyens qui permettent le contrôle permanent de la personne sont judicieux. On voit d’ailleurs que le nombre de plaintes dans les zones de détention équipées de caméras est faible. Mais si demain on décidait d’imposer, il faut des moyens. Or il n’y a pas de financement fédéral aujourd’hui !"
Installation, entretien,… "ces caméras représentent un coût non négligeable, assure Thierry Belin. Or, des commissariats sont dans un état lamentable. Certains doivent se dire à quoi bon faire des frais dans un taudis ?"
Imposer est aussi compliqué en raison de l’autonomie communale, dit-il. "Une directive serait toutefois nécessaire, avec des standards de qualité pour les caméras et un marché national. Cela éviterait à chaque zone de devoir faire son analyse de risques, longue et coûteuse."
Du personnel disponible
Pour le secrétaire national SNPS, les décès survenus dans les commissariats "nous incitent à dire: la technologie, ok. Mais il faut aussi du personnel disponible. Un policier devant un écran pendant 8 heures ? On n’a pas…"
Vincent Gilles (SLFP) réagit: "Parfois un même policier doit faire 3 choses en même temps durant la nuit: surveiller, recueillir une plainte pour viol et gérer un état d’ivresse. Cela peut concerner un court laps de temps mais tout peut arriver malheureusement durant ce laps de temps."
Un chef de corps insiste: "Ce n’est pas parce qu’il y a une caméra que la surveillance est effective. On ne reste pas 12 heures rivé sur l’écran. Et puis, à l’écran, une personne peut sembler dormir alors qu’elle fait un malaise. La caméra, ce n’est pas la panacée !"
Sur le terrain, on reconnaît pourtant leur intérêt. Elles ont été utilisées à maintes reprises, à charge ou à décharge, nous dit-on. "Si on avait le choix, tout le monde dirait oui aux caméras, affirme Olivier Libois, chef de corps de la zone de police de Namur et vice-président de la Commission permanente de la police locale. La caméra n’est pas là pour répondre à un problème inopiné. Mais plutôt pour objectiver les faits a posteriori."
Selon Eddy Quaino (CGSP), les cellules des nouveaux commissariats sont équipées de caméras. Les zones profitent souvent de la mise en conformité des cellules – vis-à-vis des normes minimales (taille, équipement,…) -, pour en installer. Une adaptation aux normes obligatoire pour 2027.
Selon un rapport intermédiaire de l’Inspection générale de police (2020), 87% des cellules visitées étaient "conformes" à la norme sur les caméras (article 10, lire plus haut). 61% ne disposaient par contre pas de pictogramme (ou il n’était pas assez visible) pour signaler ces caméras.
Aller plus loin ?
Mais pour Thomas Danloy, chef de corps de la zone de police des Fagnes, si les caméras en cellules sont "vraiment utiles", elles le sont aussi pour le parcours du détenu jusqu’à sa cellule. En 2020, 33% des sites visités par l’Inspection disposaient de caméras couvrant le trajet jusqu’à la cellule.
Si rien n’est inscrit dans la loi, filmer les fouilles peut aussi être "intéressant", selon le chef de corps. " Il y a le respect de la dignité. Mais il peut y avoir des incidents et je pense que cela peut être intéressant de filmer, sans retransmettre en direct dans la salle de surveillance." Dans le rapport de l’Inspection, 50% des espaces de fouille disposaient d’une caméra, avec une utilisation fort différente d’une zone à l’autre. Un avis de l’Organe de contrôle de l’information policière exclut toutefois de filmer les fouilles à nu.
Eddy Quaino (CGSP) estime qu’ "on est en retard au niveau technologies. On pourrait avoir une vision scanner des zones sensibles. Mais encore une fois, c’est une question de moyens !"
Quant à la prise de son, les avis divergent. "Ça ne sert à rien", "Quelle cellule écouter ?" , interrogent certains. " Entendre ce qu’il se dit peut objectiver la situation", juge le chef Danloy.
"La loi c’est une chose, la pratique, c’en est une autre !"
Quelles sont les règles qui entourent l’utilisation des caméras dans les cellules ? Sur le terrain, ce n’est pas toujours clair…
Selon l’Organe de contrôle de l’information policière (COC), c’est la loi sur la Fonction de police qui encadre l’utilisation des caméras dans les cellules. "Et non la loi caméra", insiste son porte-parole Frank Schuermans, contrairement à ce que certains de nos interlocuteurs ont laissé entendre. "Dans la pratique se pose souvent la question de la législation applicable. Mais comme ici, la caméra appartient à la police, c’est clair." Cette loi sur la Fonction de police (dont les règles ont été modifiées en 2018) distingue les caméras visibles (celles dans les cellules) et invisibles.
Frank Schuermans le confirme, rien n’oblige d’avoir une caméra en cellules. "Si les nouveaux bâtiments en ont, il y a des cellules sans caméra. J’y vois des raisons budgétaires mais aussi des vieux bâtiments. Il serait peut-être judicieux d’uniformiser. Vu la responsabilité que la police a sur la personne incarcérée, le visionnage est parfaitement défendable."
Un an de conservation
Quant aux règles, les images peuvent être conservées jusqu’à un an – il n’y a pas de distinction entre caméra dans la cellule ou le commissariat. "Elles sont plutôt conservées quelques jours, voire maximum un mois, en raison de la capacité de stockage. Il n’y a pas d’obligation de conserver les images. Mais on connaît les affaires Chovanec, etc. Il y a d’ailleurs un projet de loi qui veut fixer un délai minimal de conservation."
Pour l’enregistrement sonore, l’Organe de contrôle a émis un avis d’initiative, regrettant le manque de règles à ce sujet. "Si c’est moins courant, ça se fait déjà. Nous estimons que c’est légal d’avoir un enregistrement s’il n’est pas continu. Quand on voit clairement que l’on est face à une personne qui a des problèmes médicaux ou psychologiques, qui représente un risque pour elle-même, on peut imaginer un bouton qui enclencherait un enregistrement. Mais enregistrer en continu, c’est non."
Il n’y a pas de règles non plus imposant la surveillance de ces images en permanence. "Mais le policier doit savoir qu’il a l’obligation légale, civile et pénale, de faire en sorte que la détention se passe bien. La police est responsable le temps de la détention, note Frank Schuermans. Les caméras ne sont pas la panacée. Il y a d’abord le contrôle humain, aidé par les caméras." D’ailleurs, selon une recommandation de l’Autorité de Protection des Données (2011), le système de caméras ne décharge nullement les services de police d’un contrôle personnel régulier.
"Zones floues"
Enfin, quant au choix de la caméra: "Les zones de police font ce qu’elles veulent. C’est notre organisation policière et c’est dans tous les domaines comme ça. Et ce, parce que les règles fédérales sont générales et vagues. Sans chipoter à la structure de la police, la guidance sur tous ces aspects pourrait être améliorée." Frank Schuermans reconnaît que sur le terrain, il y a beaucoup de "difficultés" à comprendre les articles de la loi et les "zones floues" existent. "On pourrait simplifier tout cela. Il faudrait une circulaire adaptée. Car si la loi est une chose, la pratique en est une autre. Pour les bodycams par exemple, aucune circulaire les encadre et on voit des pratiques très diverses. Il faut des guidelines pour le terrain et c’est à ça que servent les ministres."