Procès des attentats: Thibault a vécu quatre miracles dans l'enfer du métro
Thibault est un des rescapés de la 2e voiture du métro. Il a raconté comment il a s’extraire du chaos qui régnait à Maelbeek.
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Publié le 21-03-2023 à 13h08 - Mis à jour le 21-03-2023 à 14h02
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"J e ne sais pas si je fais partie des vivants ou des morts..." Thibault, 53 ans, apparaît les épaules courbées, reposant le poids de son corps sur ses coudes. Ce mardi, son attitude est imposée par le fardeau qu’il porte depuis le 22 mars 2016 lorsque Khalid El Bakraoui s’est fait exploser dans le métro "à 2,75 m de moi." Ce jour-là, il était aussi courbé, plongé sur son smartphone et c’est peut-être ce qui l’a sauvé. "Il y a aussi 16 personnes qui ont fait obstacle pour préserver ma vie," dit-il en référence aux 16 victimes du métro.
Il se souvient de son trajet depuis la station Hermann Debroux. Les passagers se parlaient plus que d’habitude, ils évoquaient les explosions à Zaventem. "Je n’ai jamais connu une voiture de métro aussi vivante."
Et puis, Maelbeek… "Je suis complètement plongé dans le noir. Je suis dans un silence, mes oreilles ont été débranchées." Il a cet étrange sentiment de ne pas savoir s’il est toujours en vie ou pas. Et puis… "Premier miracle : un mal de tête fulgurant. Je suis vivant..."
Il revient à lui, "2e miracle. Je peux enfin respirer..." Et dans le micro de la salle de cour d’assises, l’employé de la STIB respire fortement, faisant claquer les haut-parleurs à trois reprises. "L’odeur dans mes poumons est irrespirable. Il faut que je sorte par mes propres moyens. Je pense à ma compagne, à mes deux enfants... " Vanessa, sa compagne, est à ses côtés pendant le témoignage.
"C’est Hiroshima et Nagasaki réunis"
Alors survient ce qu’il qualifie de "3e miracle" : "Je bouge". Et le "4e miracle : je peux ouvrir les yeux et je vois l’intérieur." Autour de lui, c’est le désastre absolu. "Les mots n’existent pas pour vous décrire cet intérieur. À cet instant, la voiture 2, c’est Hiroshima et Nagasaki réunis."
Le réflexe de sortir de cet enfer est naturel. Mais il est culpabilisant après-coup. Lui qui aime la montagne, qui a appris la solidarité qu’imposent les sorties sur les sommets, il s’en veut de ne pas s’être plus occupé de deux femmes dont il apprendra, plus tard, qu’elles ont survécu. Sur le quai "dans le brouillard, le silence est glacial."
Le récit de Thibault est structuré. Son témoignage a été soigneusement préparé mais les idées s’entrechoquent, certains mots ne sont parfois pas audibles. Peut-être à l’image du chaos qui régnait ce 22 mars 2016 dans le métro.
Peut-être aussi à l’image des maux de tête "permanents et violents " dont souffre toujours Thibault.
L’employé de la STIB ne semble pas apaisé par les 7 années qui viennent de s’écouler. Thibault détourne son regard vers la présidente pour glisser sur sa droite, vers le box des accusés. "Je ne pardonne pas aux gens qui ont fait pleurer ma compagne et mes enfants. Je passais là par hasard, j’ai pris cette haine en pleine gueule. On n’a pas pris le temps de faire connaissance : on aurait pu dialoguer. "
La présidente le reprend gentiment et murmure dans son micro : "c’est à moi que vous devez vous adresser..." Thibault continue : "il y avait d’autres moyens de partager vos idées plutôt que de tuer..."
Les assurances : "des mercenaires"
Thibault en veut aussi férocement à l’État belge et aux assureurs. "En Belgique, l’union fait la force mais pas pour tout le monde, " dit-il en évoquant les compagnies d’assurances. "Comment s’en sortir quand on n’en est pas capable ? Parfois, il faut passer ses vacances dans son lit, prendre des congés sans solde. " Alors l’armée d’experts et contre-experts rencontrés ces dernières années, il ne peut plus les encadrer. "J’aimerais échanger ma vie avec mon expert en assurances. Je serais heureux de voir quel pourcentage d’incapacité il s’accorderait. Il persiste comme un mercenaire qui a pour but d’en lâcher le moins possible. En ces circonstances, difficile de croire aux belles paroles de solidarité."
Thibault se souvient de ses années en culotte courte : "il y a 40 ans, chez les scouts, on levait le drapeau belge, on chantait la Brabançonne. Je n’ai jamais cru que je serai lâché par mon pays... "
Ce 22 mars 2016, Thibault a eu l’impression d’avoir été pris au piège "au moins 3 d’un immeuble de 25 étages qui s’était écroulé sur moi." Aujourd’hui, son refuge, c’est de s’élever à proximité des nuages. "Le seul métier que je peux faire, c’est d’accompagner des groupes en montagne. " Peut-être s’y sent-il plus près des "16 mésanges" qui se sont éteintes dans le métro et qui l’ont protégé des impacts et des boulons projetés par la bombe.