Quel statut donner aux travailleuses et aux travailleurs du sexe ?
La Belgique a été pionnière, il y a un an, pour décriminaliser la prostitution. Reste encore à donner un statut légal au "travail du sexe", soulignent les associations.
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Publié le 17-03-2023 à 18h44 - Mis à jour le 17-03-2023 à 18h45
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Rue d’Aerschot, derrière la Gare du Nord à Schaerbeek, la prostitution n’a guère changé. La chair des jeunes femmes dénudées, filles de l’Est pour la plupart, s’expose en vitrine à l’appétit des regards jaugeants masculins. Maquillées, elles s’efforcent de sourire du haut de leur tabouret. Pour douze heures, elles ont loué l’emplacement à 200 ou 250 euros. Les tarifs de leur prestation se négocient dans des gestes explicites, au travers des fenêtres de ces immeubles miteux.
"Une porte ouverte"
Il y a tout juste un an – c’était dans la nuit du 17 mars 2022, un peu après une heure du matin –, la réforme du droit pénal sexuel était approuvée par une large majorité du Parlement fédéral, et avec elle la décriminalisation du "travail du sexe", comme préfère l’appeler le milieu associatif.
Avancée principale: les fournisseurs de services tiers aux prostituées – les comptables, les avocats, les banquiers ou ceux qui louent les lieux des rapports sexuels facturés – ne risquent plus d’être poursuivis comme proxénètes. Cela facilite, un peu, le quotidien des prostituées, mais le regard que porte la société, lui, ne s’est pas modifié pour autant. La stigmatisation persiste. La clandestinité, l’exploitation, la violence aussi.
La prostitution n’est pas considérée comme une infraction, au-delà de 18 ans, en Belgique, mais son organisation par autrui reste punissable hors de l’encadrement de la loi. "Empêcher l’arrêt de l’activité ou tirer un profit anormal, par exemple avec des loyers prohibitifs, relève du proxénétisme", détaille Daan Bauwens, le directeur d’Utsopi, organisation qui milite pour donner un statut bien plus légal aux travailleuses ou travailleurs du sexe.
"La loi votée il y a un an a ouvert la voie à une protection sociale et au droit du travail, et c’est une avancée majeure, mais il y a encore beaucoup de choses à faire", explique-t-il. Le gouvernement travaille actuellement pour définir quel pourrait être ce statut légal de travailleur du sexe. Des experts et les organismes impliqués seront consultés. Daan Bauwens espère qu’un texte pourra sortir avant la fin de cette législature, mais il est conscient que, au sein de la société belge, d’autres associations sont totalement opposées à la décriminalisation du commerce sexuel.
Un métier avec ses libertés
Ce que des organismes comme Utsopi, Espace P ou Alias revendiquent, c’est que la société porte un autre regard sur ces métiers du sexe, permettant une reconnaissance et un statut comme pour tout travailleur salarié ou indépendant, avec des droits à la sécurité sociale, à la pension, en cas de grossesse et même des congés annuels. "On ne dit pas que c’est un travail comme n’importe quel autre", précise Daan Bauwens. "Il comporte des risques et c’est pour cela qu’il faudrait aussi une protection du travail contre ces risques."
Pour encadrer ce statut bien particulier de travailleur du sexe, et lui permettre d’échapper un tant soit peu aux abus d’employeurs proxénètes, le milieu formule quatre conditions essentielles: "La liberté de choix du partenaire, la liberté des pratiques sexuelles, la liberté d’interrompre un rapport et la liberté d’imposer les conditions de son choix avant celui-ci."
Pas un cadre trop strict
Mais la crainte des associations, c’est que la réflexion en cours débouche, comme aux Pays-Bas, en Suisse ou en Allemagne, sur une réglementation trop stricte, qui conduit à une interdiction de fait de la prostitution en dehors de périmètres bien définis, ou l’obligation d’un permis spécifique, discriminant, imposé à toute personne qui voudrait pratiquer un travail sexuel.
"On reste très vigilant à ce qui pourrait être proposé. Il faut un cadre du travail faisable, qui fonctionne", souligne Daan Bauwens.
Attentif aussi à la législation européenne, sous pression de la Suède qui voudrait imposer le "modèle nordique" qui entend combattre la prostitution en criminalisant le client. Une voie sans issue selon le directeur d’Utsopi, lequel salue "le courage" du gouvernement belge qui a été pionnier, lui, d’un mouvement de décriminalisation de l’activité. Rares sont les pays, comme la Nouvelle Zélande dès 2003, a l’avoir tenté avant cela.