Attentats de Paris | Le verdict français bafoué par la Belgique : la place de Chouaa "n’est pas en prison"
Condamné dans les attentats de Paris, Abdellah Chouaa n’aurait pas dû retourner en prison. En dépit du bon sens, il est sous les verrous depuis le 17 février alors qu’il respectait toutes les conditions.
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Publié le 17-03-2023 à 17h31 - Mis à jour le 17-03-2023 à 18h47
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Le soir du 29 juin 2023, la cour d’assises de Paris prononçait les peines à l’égard des 14 accusés des attentats du 13 novembre 2015. Parmi eux, Abdellah Chouaa, un Bruxellois proche de Mohammed Abrini et qui a payé cher cette amitié d’enfance. Il est condamné à quatre ans de détention dont trois avec sursis. Chouaa risque de devoir purger quelques mois de détention, ce qui représente énormément pour ce père de famille sans lien avec l’islam radical.
Le 17 février, il a été incarcéré à la prison de Saint-Gilles alors qu’il était totalement réinséré et répondait à toutes les conditions imposées par le jugement de la cour d’assises de Paris. L’arrêt prononcé le 29 juin 2022 à Paris minimisait le rôle d’Abdellah Chouaa. "Sans diplôme, il a toujours travaillé y compris durant la période où il a été placé sous contrôle judiciaire. Il justifie ainsi de sa capacité d’insertion professionnelle. Il bénéficie d’un soutien familial stable, étant marié avec 3 enfants. Son positionnement et ses déclarations à l’audience ainsi que les éléments du dossier démontrent une absence de radicalisation et de velléités de passage à l’action violente […] Il convient de souligner qu’Abdellah Chouaa a respecté les contraintes du contrôle judiciaire et celle de l’audience démontrant sa capacité à respecter les règles sur la durée, ce qui peut apparaître comme un gage de réinsertion". Comment la justice belge peut-elle dès lors justifier une incarcération inutile ?
Un passage en prison qui ne devait durer qu’un jour
C’est une réponse que son avocat français, Adrien Sorrentino, aimerait entendre. Le 17 février, Abdellah Chouaa a été convoqué à la prison de Saint-Gilles. Il devait y être placé sous écrou et libéré le jour même "car il correspondait aux critères de libération immédiate", souligne son avocat. Celui-ci explique que la directrice de l’établissement avait "mal lu la circulaire".
Dans les affaires de terrorisme, il n’y a pas de libération immédiate. Une enquête psychosociale devait être réalisée et nécessitait un certain temps. Un certain temps mais pas plus d’un mois... "C’est normal qu’une enquête soit faite. Mais la directrice a passé 5 h 30 avec M. Chouaa et a posé des questions sur ses relations avec Abrini, le GSM utilisé... " Tout ressemblait à un interrogatoire alors que l’affaire avait été jugée à Paris.
L’avocat français est remonté car il suffirait à la direction de l’établissement pénitentiaire de se reposer sur l’arrêt de la cour d’assises pour se forger une opinion fidèle sur Abdellah Chouaa. "On a déposé un dossier de 50 pièces et il faut plus d’un mois pour lire ces pièces. L’arrêt de la cour d’assises de Paris dit, noir sur blanc, qu’il n’est pas radicalisé et qu’il ne doit pas retourner en prison!" Aujourd’hui, M. Chouaa est soumis à un régime de haute sécurité au sein d’un des pires établissements pénitentiaires du pays. "Pourquoi la Belgique ne fait pas confiance à la justice française ? " s’interroge l’avocat.
Des accusés proches des victimes
Avec deux autres accusés, Abdellah Chouaa avait comparu libre tout au long du procès des attentats de Paris. Ponctuels, respectueux de la cour et des victimes : ils n’ont jamais fait de vagues. À un point tel qu’ils s’étaient attiré la sympathie de plusieurs victimes avec qui ils discutaient volontiers, fumaient une cigarette à la pause ou buvaient même un café avant de se rendre au palais de justice. Aucun d’entre eux n’avait le profil d’un terroriste radicalisé. C’était plutôt des gars qui payaient cher des coups de main dont ils n’avaient pas vraiment mesuré la portée...
Abdellah Chouaa avait écopé d’une peine de quatre ans et d’un sursis de trois ans. Mais, au soir du 29 juin 2022, on savait qu’il y avait un risque pour que le père de famille de 41 ans ne retourne en prison. Contrairement aux autres accusés, M. Chouaa n’avait effectué que quatre mois de détention préventive. Pour toute peine supérieure à quatre mois, Abdellah Chouaa risquait donc une incarcération.
Lors de sa dernière prise de parole, avant que la cour ne se retire pour délibérer, Abdellah Chouaa avait expliqué qu’il ne pouvait se rendre à la remise de CEB d’un de ses enfants puisqu’il était au procès : "j’ai honte : j’ai dit ‘papa, il travaille...’"
"Je ne suis pas un terroriste"
Abdellah Chouaa était pétrifié à l’idée de retourner en prison. Sa dernière prise de parole avait été bouleversante. Il savait qu’il jouait sa dernière carte… "J’ai très peur de votre décision. J’ai très peur que vous ne fassiez une erreur. Je ne suis pas un terroriste, je ne l’ai jamais été. Je ne suis pas de ces gens-là. "
Il s’était alors retourné vers Mohammed Abrini : "je t’en veux Mohammed, je t’en veux frère. Tu as détruit ma vie. Je ne sais pas si je te pardonnerai mais j’en souffre. "
Chouaa a ainsi été condamné dans le procès des attentats de Paris en raison des coups de main apportés à Abrini. Il l’avait conduit à l’aéroport pour qu’il parte en Syrie. Et il avait été le rechercher à son retour à Paris. De bonne foi, selon Chouaa, il était convaincu qu’Abrini allait en vacances en Turquie. Le Abrini que Chouaa connaissait était un flambeur, un amateur de filles et de bistrot. Pas le type qui devait se faire exploser à Paris ou à Bruxelles.
Il avait dénoncé son frère radicalisé
Au procès, son avocat s’était évertué à démontrer qu’Abdellah Chouaa n’était pas radicalisé. Il avait d’ailleurs dénoncé son frère qui était parti faire le djihad. "Il avait constaté un changement radical chez son frère qui se levait à 5h pour aller à la mosquée; rien de comparable avec Abrini qui va en discothèque. Il ne fumait plus et ne buvait plus; Abrini boit et fume. Son frère est parti en Turquie sans bagage; Abrini part avec des bagages. Abrini ne portait pas la barbe; son frère portait le kamiz. "
Aujourd’hui, Abdellah Chouaa croupit dans la prison de Saint-Gilles. Depuis le 17 février, il a été privé de liberté, de sa famille, de ses enfants. Il avait retrouvé un boulot dans un restaurant et cherchait plutôt à se faire oublier plutôt qu’à faire parler de lui.