Le chauffeur du métro de Maelbeek au procès des attentats: "Je n’aime plus le monde dans lequel je survis..." (vidéo)
Le chauffeur du métro dans lequel la bombe a explosé à Maelbeek est venu témoigner. L’homme est broyé et dit "ne plus attendre grand-chose de la vie".
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Publié le 15-03-2023 à 18h18 - Mis à jour le 15-03-2023 à 19h01
Le gars a une bonne carrure : large d’épaule et, surtout, une allure débonnaire qui le rend sympathique dès le premier regard. Christian Delhasse a "plus de 30 ans d’expérience" à la STIB. Entre ses mains, le chauffeur du métro qui a explosé à Maelbeek tient son témoignage. Les mains tremblent et rendent ce colosse bien fragile.
Après avoir vu l’innommable dans la 2e voiture de son métro, ce 22 mars 2016, Christian Delhasse était rentré chez lui. Le lendemain matin, il reprenait déjà le service. Avec une épouse malade et "des factures à payer ", il ne voyait pas d’autres moyens de s’en sortir, de ne pas sombrer.
Pourtant, l’ancien chauffeur semble aujourd’hui au fond du gouffre.
Quand on est chauffeur de métro, il le répète, la mission, c’était de mener les passagers à destination. Ce jour-là, 16 d’entre eux sont restés à quai à Maelbeek. "Chaque conducteur est responsable de son véhicule et des gens qu’il transporte," rappelle-t-il. Sept ans après, il ne parvient pas à évacuer ce qu’il ressent comme un échec et les images liées à l’explosion. "Personnellement, je suis en bout de course. Je ne supporte plus le bruit, j’oublie des choses simples. Je n’attends plus grand-chose de la vie. Aujourd’hui, je n’aime plus le monde dans lequel je survis."
Christian Delhasse a préféré tenté d’oublier ce qu’il avait vu. Le soir du 22 mars 2016, il avait été clair avec sa famille. "Quand je suis arrivé chez moi, j’ai dit à ma femme et à mes filles que je ne voulais plus jamais en parler et elles ont respecté ma demande. "
"Conduire les gens à l’abattoir"
Plusieurs années ont été nécessaires pour qu’il reconnaisse son statut de victimes, qu’il se constitue partie civile dans ce procès.
Il a recommencé à travailler mais a pris sa prépension dès qu’il en a eu la possibilité, à 62 ans. "Chaque jour que je roulais, j’avais l’impression de conduire les gens à l’abattoir."
Au cours de son poignant témoignage, le chauffeur a évoqué les images qui hantent désormais ses nuits autant que ses jours. Après que l’explosion ait déchiré la deuxième voiture, il a procédé à l’évacuation des n°1, 3 et 4. "La deuxième voiture, c’était un cauchemar. Je ne savais par où commencer. " Il se souvient d’un homme allongé devant la première porte "avec un trou dans la tête", du "bassin coupé net d’une femme", d’une "femme qui brûlait " et qu’il a éteinte avec un extincteur… Mais il a aussi courageusement extrait des blessés : "il y avait une odeur indescriptible."
"Il y avait des gens sur les voies"
Christian Delhasse n’est pas le seul chauffeur de métro à être venu témoigner. Dans l’autre sens, en provenance de la station Arts-Loi, un autre métro approchait de Maelbeek. C’est Cindy Bulinckx qui le conduisait et qui a pu arrêter le convoi quelques dizaines de mètres avant. "J’étais à 30 mètres de la station, témoigne-t-elle en pleurs. Il y avait des gens à terre, sur les voies. Il y avait des personnes qui sautaient sur les voies..." Sa priorité a été d’évacuer son métro dans lequel plus de 800 personnes étaient compactées en cette heure de pointe. L’ancienne chauffeur est dévastée tout autant que Christian qui, lui, a certainement vu des scènes bien plus atroces. Elle a perdu pied mais aussi ses enfants qui ont décidé de retourner vivre chez leur papa. "Parce que chez nous, ce n’était plus possible alors que leur papa ne s’en était plus occupé pendant dix ans. À cause des attentats, j’ai perdu mes trois enfants..."
Les deux vies de ces chauffeurs, au demeurant singuliers, ont pris un virage qui semble définitif. "Je vis en confinement depuis 2016, complète Christian. Je ne vais plus nulle part..."