Procès des attentats: "Les accusés n’auront ni ma haine ni mon pardon" (vidéo)
Pierre Bastin est le papa d’Aline, décédée lors des attentats de Bruxelles. Ce lundi, les victimes vont entamer leur témoignage devant la cour d’assises. Pierre Bastin a suivi de manière régulière le procès. Il livre ses impressions et rend hommage à sa fille…
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Publié le 06-03-2023 à 06h00 - Mis à jour le 22-03-2023 à 10h28
Quand Béatrice s’avancera à la barre du procès des attentats de Bruxelles, ce lundi vers 14 heures, un moment d’émotion parcourra inévitablement l’assemblée. Elle n’avait que 17 ans lorsque les bombes de Zaventem ont brisé sa jeunesse. La jeune femme, amputée des deux jambes sous les genoux, sera la première victime à témoigner à cette cour d’assises. "C’est une jeunesse fauchée," témoigne l’avocat Guillaume Lys.
Une jeunesse fauchée pour Béatrice et une vie qui s’est éteinte pour Aline Bastin, 29 ans en 2016, et décédée dans le métro à Maelbeek. Nous avons rencontré son papa, médecin généraliste à Bassenge, en région liégeoise. Pierre Bastin est un des visages que nous avons régulièrement eu l’occasion de croiser au procès des attentats.

Un témoignage méticuleusement préparé
Le témoignage qu’il livrera au procès, il l’a mûrement réfléchi. "Je l’ai découpé en quatre parties", nous explique-t-il dans son cabinet à Eben-Emael, entouré de nombreux livres de voyages que sa fille appréciait tant. D’abord: qui était Aline, ensuite "la façon dont on a vécu le 22 mars." Le médecin s’est aussi beaucoup documenté depuis les attentats. Comprendre le contexte, c’est important. Il veut aussi parler des absents de ce procès: Atar et les frères El Bakraoui. "Et dans la dernière partie, je m’adresserai aux accusés. "
Qu’attend-il de cette confrontation ? "Je serais curieux de voir s’ils seront là quand les victimes s’exprimeront. Avec le grand mépris qu’ils ont pour la vie humaine, ne pas être présent en rajouterait une couche."
"Je ne me fais pas d’illusions"
Pierre Bastin ne porte pas de jugement sur les gars du box des accusés. Difficile de se forger une idée puisqu’on les a peu entendus depuis le début du procès. "On voit qu’il y a deux camps: ceux qui n’ont plus rien à perdre et qui restent endurcis. Et ceux qui ont intérêt à se défendre. "
Quel effet produira cet enchaînement de témoignages sur les accusés ? "Je ne me fais pas d’illusions sur leurs considérations. Mais ces témoignages, c’est un moyen de rendre un hommage aux victimes, de les faire vivre une dernière fois vis-à-vis de la société. Il faut pouvoir mettre des visages sur les noms des victimes. Pour les accusés, c’est important de voir ces visages et l’histoire des victimes."
Pierre Bastin sera le seul de sa famille à venir témoigner. Son épouse et son fils l’accompagnent dans la démarche mais préfèrent garder une certaine distance avec la procédure. "Ce témoignage sera une manière de tourner la page, mais le livre reste ouvert. J’espère que ce procès ouvrira les yeux sur les causes du mal. J’espère aussi qu’on ne viendra pas culpabiliser les gens avec des questions sociales. Ces accusés, ils vivaient dans des familles aimantes."
La surprise, dit-il, ce serait "qu’ils disent qu’ils regrettent. Qu’ils disent qu’ils abandonnent toute affiliation à cette idéologie."
Le médecin analyse calmement les choses, avec la même approche qu’envers ses patients. "Ils n’auront pas ma haine, ni mon pardon."

Le réveil d’anciennes blessures
Aline est encore bien présente dans le cabinet médical. Sur un mur, son portrait est accroché et placé dans un cadre vintage. "On a appris à faire son deuil. Mais tout ceci réveille d’anciennes blessures. " Pierre Bastin préfère alors parler de sa fille, de ses passions. "À 29 ans, elle avait envie de vivre. Elle adorait la littérature et les voyages." Il jette alors un œil vers la bibliothèque: "ces livres, c’est une manière de garder le contact. Elle a été dans tous les coins et dans des endroits bien plus dangereux qu’à Bruxelles. Si on lui avait dit de faire attention au métro, elle aurait rigolé." Quelques jours avant le 22 mars 2016, Aline était en voyage à Cuba. "Si elle était revenue un peu plus tard…" soupire son papa.
"Permettre aux victimes de souffler"
Depuis le début du procès, les chasubles bleues "aide aux victimes" sont présentes pour soutenir les parties civiles. Cette structure de la Fédération Wallonie-Bruxelles est présente chaque jour avec au minimum trois assistants de justice et deux psychologues. Côté néerlandophone, une structure similaire est également présente et encadre aussi les victimes anglophones. Pour mener à bien cette mission dans ce procès si spécifique, la structure s’est aussi inspirée de ce qui a été fait dans le cadre du procès des attentats de Paris. Les témoignages à la barre de la cour d’assises sont une véritable épreuve qu’appréhendent de nombreuses victimes. La cellule d’aide aux victimes a obtenu l’accord de pouvoir accompagner les témoins qui le souhaitent à la barre "afin de leur permettre de souffler, de terminer leur témoignage car leur entourage n’est pas là, ils se trouvent dans leur dos, " explique Lamya Amrani, directrice adjointe des Maisons de justice de Bruxelles.
Depuis le début du procès, les assistants ont été confrontés à de nombreuses questions. "Notre place d’intermédiaire avec le greffe, le parquet fédéral et les victimes est importante, explique Marie Robin,assistante de justice. Quand des images compliquées ont été projetées, des victimes ont quitté la salle et on essayait de les “récupérer”sans être trop intrusif." Quelles sont les questions les plus fréquentes ? "C’est important pour les victimes d’avoir le visionnage des images de surveillance, de voir ce qui s’est passé à Zaventem, à Maelbeek. Elles revoient où elles étaient, à côté de telle personne. Cela leur permet d’arrêter de gamberger."
C’est la ministre Glatigny qui a ces compétences en charge. Son cabinet explique que plus d’un million d’euros ont été débloqués depuis 2022 pour mettre sur pied et faire fonctionner plusieurs dispositifs destinés à accompagner les victimes.