#Lesmémés (T3) - Vieillesse ennemie, mes fesses !
Non, la vieillesse n’est pas un naufrage. Pas, en tout cas, sous le crayon de Sylvain Frécon, qui rit d’elle et avec elle, et non à ses dépens, dans "#Lesmémés".
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Publié le 06-03-2023 à 14h01 - Mis à jour le 06-03-2023 à 14h04
Tout a commencé sur Facebook, et c’est un peu paradoxal quand il s’agit du troisième âge: nous sommes en 2020 et Sylvain Frécon, dont les activités de dessinateur et d’illustrateur s’étaient jusqu’alors davantage orientées vers la bande dessinée jeunesse et même l’édition… scolaire, lance sur le tout-puissant réseau social des gags mettant en scène des femmes âgées.

Des crayonnés qui fédèrent rapidement un certain public, et convainquent Olivier Sulpice, fondateur de Bamboo devenu aussi directeur de publication chez Fluide Glacial, de leur offrir un prolongement en bande dessinée. #Lesmémés était né. Trois albums ont vu le jour depuis, dont un dernier sorti le 1er février dernier et baptisé Fraîcheur de vivre. Car oui, ces "mémés" sont tout, sauf à l’article de la mort: "C’est une série, assure Sylvain Frécon, qui cumule dessin et scénario, qui va à l’encontre de l’expression qui veut que la vieillesse soit un naufrage. Parce que le naufrage, il peut survenir bien plus tôt, on n’a pas toujours besoin d’avoir 80 ans pour ça…"
Moqueur, mais jamais à leur détriment
Huguette, Sylvette et Paulette sont donc trois octogénaires (a minima) qui, chacune à sa façon, continuent de croquer la vie. Et de l’observer avec férocité, mais aussi un certain sens de l’autodérision: elles nous parlent de leurs maris décédés, de leurs dentiers bancals ou du vieux string, devenu trop petit qu’elles ont retrouvé au fond d’un placard. Ce pourrait être moqueur, mais c’est tout le contraire: "Mes mémés sont comme nous, au fond: elles peuvent être connes et racistes, appuie Sylvain Frécon. Ce qui m’importe, surtout, c’est qu’elles soient drôles. Bien sûr, parfois, c’est vulgaire, mais cette vulgarité n’est jamais gratuite. Et n’intervient surtout jamais à leur détriment."

L’inspiration, l’auteur français l’a trouvée… en bas de chez lui. "Ces mémés, je les observe depuis longtemps, concède-t-il. Pas besoin de se rendre à l’ouverture du supermarché à 9h pour les rencontrer, elles sont partout. Et j’ai, personnellement, toujours ressenti beaucoup de tendresse pour ces femmes qui, souvent, survivent à leurs maris et vivent leur petite vie avec courage et détermination. Même si les miennes affirment, disons, un certain caractère."
Une effronterie, même, qui fait inévitablement penser à la Carmen Cru de feu Jean-Marc Lelong (huit albums chez Fluide Glacial entre 1984 et 2008). "Mais en moins misanthrope ", tempère Frécon, qui a aussi puisé dans ses souvenirs d’enfance pour composer ses personnages: "Il y a beaucoup de mon arrière-grand-mère chez elles, reconnaît-il. On l’appelait Mémé Moulon: j’avais 12 ou 13 ans quand elle est morte, si bien que j’en conserve un souvenir très fort. C’était une femme de tempérament, pas toujours bien vue de son entourage parce qu’elle était libre dans sa tête, et pas forcément dans son rôle de grand-mère âgée qui suit et subit: elle avait tendance à affirmer son point de vue, et je pense qu’elle est toujours dans un coin de ma tête quand j’écris mes gags."

Il y a, aussi, pas mal de lui-même et de ses angoisses, par exemple dans le personnage d’Huguette, la "mémé" au caddie rouge: "Je me projette beaucoup en elle, confirme-t-il. Elle est sans doute ce que j’aimerais être en vieillissant parce qu’elle accueille la vie avec bonheur, malgré son âge. Et ne verse jamais dans l’aigreur. Or, il ne faut pas avoir 90 ans pour être aigri, on peut l’être dès ses 30 ans. Mais elle, elle croit toujours en l’avenir. Et puis, j’ai eu 50 ans cette année, et la mort est une chose à laquelle je pense. Pas de façon obsédante, mais quand même un peu. Cette série, et la façon qu’ont mes mémés de parler de ces sujets, donc aussi de la mort, est un peu une façon, pour moi, d’exorciser ces peurs. "
#Lesmémés, tome 3: "Fraîcheur de vivre", Sylvain Frécon, Fluide Glacial, 56 p., 13,90 €.