Agriculture: le bio boit la tasse pour la première fois en 10 ans (vidéo)
Producteurs et points de vente bio souffrent depuis le déconfinement. Le secteur marque un coup d’arrêt : une première en 10 ans.
Publié le 02-03-2023 à 19h40 - Mis à jour le 03-03-2023 à 06h47
Le doute prend-il le pas sur l’engouement des dernières années dans le secteur bio? Après une progression constante, deux années dorées liées au confinement, le bio prend un coup dans l’aile. Et cela alors que la Région wallonne martèle vouloir atteindre 30 % de SAU (surface agricole utile) à l’horizon 2030.
Les producteurs sont hésitants comme le confirment les chiffres 2022 de Biowallonie regroupant les acteurs du secteur (producteurs, transformateurs, points de vente, restaurants, horeca…). En 2022, le nombre de producteurs n’a augmenté que de 24 unités pour approcher les 2000. «La plus faible progression depuis 2015», constate l’association. La part de marché bio a aussi quelque peu régressé : de 3,5 % à 3,3 %. «Le secteur bio est tendu pour la première fois en 10 ans,» peut-on lire dans la présentation des chiffres 2022. L’inflation a joué un rôle mais aussi le prix des intrants qui n’a cessé d’augmenter.
9 % des Belges sondés confirment avoir réduit leur consommation de produits bio «pour des raisons financières.»

Trop cher ce bio?
Le prix des produits bio semble être un frein à l’achat. Dans une enquête menée par l’APAQ-W en novembre 2022 sur un échantillon de 1 500 personnes, 9 % des Belges sondés confirment avoir réduit leur consommation de produits bio «pour des raisons financières.» Pour la moitié du panel, l’écart avec le prix des produits issus de l’agriculture conventionnelle constitue un frein à l’achat.
Les analyses de Biowallonie confirment aussi que le prix donné aux producteurs est plus stable en bio qu’en conventionnel dans toutes les spéculations. C’est généralement un avantage pour les producteurs bio mais quand les prix s’emballent comme ces derniers mois, il y a certainement une part de frustration de constater que les prix payés en conventionnel rejoignent ceux du bio. Quel est l’intérêt de travailler différemment si la part du gâteau n’est pas plus importante, pourraient légitimement s’interroger les agriculteurs bio? «Le prix payé au producteur pour certains produits bio est aujourd’hui égal ou même parfois inférieur à leur équivalent en agriculture conventionnelle malgré des coûts de production plus élevés», pointe l’UNAB, association représentant les agriculteurs bio. L’UNAB constate que «les secteurs porcin, œufs, fruits et légumes sont dans un état critique.» La rentabilité du porc bio a chuté jusqu’à 62 % entre 2021 et 2022.
Le prix payé au producteur pour certains produits bio est aujourd’hui égal ou même parfois inférieur à leur équivalent en agriculture conventionnelle malgré des coûts de production plus élevés
Les agriculteurs bio ciblent aussi les grandes et moyennes surfaces qui se seraient détournées du bio local. «de nombreux agriculteurs se retrouvent avec des stocks sur les bras. Ils ne parviennent plus à vendre à la grande distribution.»

Circuits courts : ça ferme!
Les magasins bio ont aussi été impactés par cette crise du bio. Entre 2021 et 2022, 65 % des points de vente ont vu leur chiffre d’affaires baisser. Et on parle bien de chiffres d’affaires et pas de bénéfice net alors que l’inflation était croissante en 2022.
Le secteur de la vente bio reste toutefois optimiste pour cette année 2023. Le mois de janvier a été meilleur que celui de 2022. Le prix de l’énergie s’est aussi stabilisé. Et, conséquence des fermetures d’autres points de vente, ceux qui restent voient converger une partie de la clientèle des points de vente fermés.
PAC plus favorable
Pour le ministre wallon de l’Agriculture, une des pistes pour rendre confiance au secteur et s’inscrire dans les objectifs 2030, c’est de «poursuivre son développement tout en préservant un prix, non seulement rémunérateur, mais valorisant pour les producteurs bio.» Le ministre voit aussi dans la nouvelle PAC, une politique de subside plus favorable aux producteurs bio avec «une majoration de l’ensemble des indemnités bio de plus de 7 %» et une aide spécifique au maraîchage diversifié sur des surfaces de moins de 3 hectares.
«Après le confinement, on a perdu la nouvelle clientèle»

À Somme-Leuze, l’exploitation de Françoise et Michel repose sur des bovins et poulets bio. Le couple garde le cap malgré la perte de nombreux clients au déconfinement.
«On a commencé le bio dès le début de l’exploitation. Pas par choix philosophique mais par choix financier.» Michel Leboutte et Françoise Demande sont devenus agriculteurs sur le tard. Michel, issu du milieu agricole, n’y était donc pas étranger. Le couple de Somme-Leuze travaillait en tant que salariés et l’appel de la campagne s’est concrétisé en 2011. «On est parti de rien. Françoise était ergothérapeute de formation et moi agronome», explique Michel.
On a commencé le bio dès le début de l’exploitation. Pas par choix philosophique mais par choix financier.
2011, c’est le basculement pour ces deux salariés. Ils achètent une maison et 7 hectares de prairie. C’est que, dans cette région de la Famenne namuroise, il est peu évident d’y faire des cultures. «On est sur du schiste, il y a peu d’épaisseur de terre et la pluviométrie est faible.» Passez dans la région en été et vous constaterez que Michel a bien raison : les prairies sont roussies bien plus vite qu’ailleurs.
Le bio avait le vent en poupe en 2011. Comme le couple partait de rien, le choix d’élevage s’est imposé logiquement. «Une petite exploitation bio était bien primée. La race limousine était plus facile à élever et on y trouvait beaucoup plus de sens. Quand on s’est installé en bio en 2013 (après la conversion de 2 ans), il nous fallait une rentabilité plus importante.» Aujourd’hui, l’aspect strictement opportuniste de l’époque a fait place à une réelle conviction : «on est bio convaincu», assure le couple.
En 2011, Françoise n’avait pas encore atteint le cap des 40 ans et pouvait donc bénéficier des aides à l’investissement. Le couple décide alors d’investir dans des poulaillers pour y élever des poulets de chair aujourd’hui sous le label «Coq des prés».

Covid : De 19 à 32 bêtes vendues par an
Avec les bovins à l’engraissement d’un côté, la volaille de l’autre, le couple s’en sort assez bien puisque le bio suit une progression constante d’année en année. À la ferme, ils ont créé un réseau leur permettant de vendre des colis de viande. «On a fait des colis dès 2011. En 2019, on arrivait à vendre une vingtaine de bêtes au particulier.»
Arrive alors la crise sanitaire et le Covid-19. Et là, c’est l’explosion des ventes. «On est monté à 32 bêtes. Heureusement que j’en avais d’avance pour répondre à la demande.» Mais cette nouvelle clientèle n’était que mirage… «Vers mai 2021, après le confinement, on a perdu la nouvelle clientèle.» L’explication? Elle est multiple. «Énormément d’éleveurs se sont mis à proposer des colis bovins. On remarque aussi que, quand il se passe quelque chose dans une famille, les gens continuent à se nourrir mais en allant au supermarché.»
On remarque aussi que, quand il se passe quelque chose dans une famille, les gens continuent à se nourrir mais en allant au supermarché.
«Une ligne de conduite claire»
Le couple n’a cependant pas tout perdu puisqu’ils ont créé un magasin coopérative au centre de Marche-en-Famenne. Et là, le succès est toujours au rendez-vous alors que les fermetures de commerces en circuit court se multiplient. «Nous sommes quatre couples d’agriculteurs au sein de “fermes en vie”. On a ouvert pendant le confinement et, après, ça a plongé un grand coup. Maintenant, c’est plus stable et ça tourne au-delà de ce qu’on avait imaginé au départ.» Pourquoi ça fonctionne alors que d’autres dégringolent? «On a une ligne de conduite claire et on n’a pas ouvert au non bio. Je pense qu’on a aussi fait du tort au bio avec le bio venu du bout du monde.»
Le couple sait que l’incertitude est permanente et que la viabilité de leur exploitation dépend essentiellement de facteurs externes comme le coût des intrants. «C’est vraiment difficile de se projeter…»
Coq des prés : «Les marges se resserrent et cela met pas mal d’infrastructures en difficultés»
La filière Coq des prés rassemble 45 producteurs bio de poulets de chair. François Rouchet, responsable opérationnel de la coopérative, constate une baisse d’intérêt. «La diminution des ventes a démarré avant la guerre en Ukraine. 70 % du prix du poulet vif dépend de l’aliment. Et celui-ci a pris 40 % d’augmentation en deux ans. On n’a pas pu répercuter tous ces coûts sur le prix de vente final. Alors, les marges se resserrent et cela met pas mal d’infrastructures en difficultés.» Fermeture de circuits courts, retour au conventionnel : la filière est en plein questionnement. «Le nombre de nos coopérateurs est resté assez stable. Mais, dans d’autres filières bio, on constate une tendance au retour vers le conventionnel.»
La période liée au confinement a fait les beaux jours de la filière. Aujourd’hui, on déchante quelque peu. «Il y a un retour vers le non bio du côté des consommateurs. Ils passent d’un magasin bio vers Aldi ou Lidl. Ce qu’on attend, c’est de la stabilité sur le marché afin de pouvoir faire des plans sur l’avenir. La solution, c’est aussi l’autonomie territoriale. Sur le long terme, il n’y aura pas d’autre choix.» Il faudrait avant tout manger local avant de manger bio.
