Analyse : la guerre en Ukraine est-elle hypertechnologique ?
Au centre de la guerre, il y a l’humain, selon le colonel Quanten. Mais les armes et la formation permettent à l’Ukraine de tenir face à l’immense armée russe.
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Publié le 23-02-2023 à 16h35 - Mis à jour le 23-02-2023 à 17h02
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Des satellites, des drones, des missiles et des chars… Depuis un an, la guerre en Ukraine ressemble à un catalogue de nouveautés technologiques. Mais pour le colonel Kris Quanten, professeur d’histoire de la guerre à l’Académie royale militaire, au centre de la guerre, il y a l’homme.
"On parle de guerre technologique, de guerre hybride, mais l’élément essentiel, c’est l’homme et la volonté de se battre, et c’est ça qui a donné la force aux Ukrainiens de se battre, pour leur famille, leur territoire, leurs enfants. Et c’est ça l’erreur de Poutine: il pensait faire une promenade militaire de trois jours jusqu’à Kiev et installer un gouvernement fantoche. Mais ce qui a changé la donne, c’est la volonté de la population de se battre."
Face à l’Ukraine unie, la Russie aligne une armée de factions, selon Kris Quanten. "Le commandant actuel c’est Guerassimov. Il est arrivé au pouvoir en novembre 2022 avec pour mission d’obtenir des résultats et de réorganiser l’armée. La plus grosse partie est faite d’unités conventionnelles de l’armée russe, mais à côté de cela, il y a aussi les mercenaires de Prigojine, qui a un pied dans le monde politique et l’autre dans le monde militaire. Il utilise ses mercenaires à des fins politiques, ce qui est dangereux dans le milieu militaire. Et il ne s’inscrit pas du tout dans la ligne de Guerassimov, il s’inscrit en électron libre. Même chose pour Kadyrov, le Tchétchène. Cela crée énormément de frictions."
Comme lors de la 2e Guerre mondiale
Il y a eu une mobilisation en septembre de 300 000 hommes, côté russe. "Le problème, c’est que ces hommes ne sont pas bien formés. C’est une constante pour toute l’armée russe. Et la conséquence de ce manque de formation, c’est qu’ils se battent sur base de procédés datant de la 2e Guerre mondiale, parfois même la première. Il n’y a pas de “combat interarmes”. "
Le colonel Quanten dit qu’on voit sur la ligne de front, côté russe des attaques "classiques": "L’infanterie attaque, appuyée par l’artillerie, et c’est tout. Et quand la 1re vague de fantassins est massacrée par les Ukrainiens, la 2e vague arrive. Ça continue et continue… avec des pertes énormes en termes de vies humaines. Le but, c’est d’épuiser les Ukrainiens et quand même percer les lignes."
Les Ukrainiens pratiquent le combat interarmes. "Eux, ont été formés par les Américains depuis 2014, après l’invasion de la Crimée. Ils mettent l’accent sur la bonne collaboration entre les fantassins, les blindés, l’artillerie, le génie, l’appui aérien et le renseignement. Mener une opération est quelque chose de complexe." Dès le début de la guerre, les renseignements ont été très efficaces côté ukrainien, grâce à l’aide des États-Unis. Mais pour lui, l’atout majeur des Ukrainiens, c’est la manière de mener les offensives, grâce à la formation. Le colonel émet l’hypothèse que si des avions occidentaux n’ont pas encore été livrés à l’Ukraine, des pilotes ont bien déjà entamé leur formation à l’Ouest.
Côté russe, on mise plutôt sur l’usure de l’adversaire. "Ils attaquent les infrastructures critiques ukrainiennes, comme les centrales électriques, avec des Shahed, des drones avec une tête explosive, et des missiles de croisière. L’avantage des drones, c’est qu’ils se déplacent à 150, 200 km/h, et qu’ils coûtent moins cher que les missiles de croisière. Ils font des attaques répétées, obligeant les Ukrainiens à les contrecarrer avec des missiles antiaériens très chers. Puis, ils envoient une 2e vague de drones munis d’explosifs."
Comment ça va tourner ?
"Les Russes ont l’avantage stratégique: le temps joue en leur faveur, car ils ont des ressources quasi inépuisables d’hommes à mobiliser. Ils peuvent jouer sur l’aspect quantitatif pour lutter contre le problème qualitatif " dit le colonel Quanten.
Le temps joue pour la Russie, mais pas à court terme, à cause de l’armement que les Ukrainiens vont recevoir à la fin mars ou en avril. Une période décisive aussi pour d’autres raisons: "À cause du dégel, les opérations terrestres seront plus difficiles. Et des attaques limitées aux routes macadamées rendent les troupes plus vulnérables."
La nomination en novembre du général Guerassimov pourrait aussi jouer un rôle: "Il a été nommé avec une mission claire et il doit apporter des résultats à Vladimir Poutine. Il pourrait lancer une offensive rapidement, déjà à la fin février. C’est dans cette situation que l’on se trouve aujourd’hui. "