Un an de guerre en Ukraine: la crise énergétique a confirmé l'émergence d'une nouvelle ère économique

L'assaut lancé par la Russie en Ukraine, il y a près d'un an, a plongé le monde dans une crise inédite depuis la fin de la Guerre froide.

Belga
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Image d'illustration ©Jean Luc Flemal

L'offensive russe du 24 février 2022 a provoqué une flambée des prix de l'énergie sans précédent, qui à son tour a dopé l'inflation déjà présente dans un contexte de réouverture des économies post-covid. Pour lutter contre cette poussée inflationniste, les banques centrales ont joué un rôle de premier plan, avec un revirement total de leurs politiques monétaires jusque-là très accommodantes.

Ainsi, entre mars et mai 2022, les banques centrales ont procédé à plus de 60 hausses de taux directeurs à l'échelle mondiale, selon une analyse du Financial Times, qui évoque un "resserrement monétaire synchronisé et inédit depuis la crise financière de 2008".

Même si une hausse généralisée des prix et de l'inflation avait débuté après la crise du coronavirus, tout s'est emballé à partir de février, principalement car la Russie exporte beaucoup, principalement des matières premières. Pour rappel, en 2021, 40% du gaz importé en Europe provenait de la Russie, qui était également pourvoyeuse de 27% du pétrole et de 45 % du charbon, selon Eurostat.

En Europe, le taux d'inflation annuel s'élevait à 10,7% en octobre 2022, largement au-dessus de l'objectif des 2% fixé par la Banque centrale européenne (BCE). En Belgique, l'inflation a même culminé à 12,27% à la même période, plaçant le Plat Pays dans le peloton de tête de la zone euro.

Pour juguler cette inflation galopante, la BCE a procédé, depuis juillet 2022, à cinq hausses de ses taux directeurs, mettant ainsi fin à une décennie de politique de taux zéro (à partir de 2012) puis de taux négatif (à partir de 2014). Du jamais-vu depuis l'instauration de la monnaie unique. Le mouvement, affirme la présidente de la BCE Christine Lagarde, se poursuivra en 2023.

La BCE a également cessé d'augmenter la taille de son bilan via ses achats d'actifs et a même programmé la réduction progressive de celui-ci pour 2023. À compter de mars, l'institution de Francfort réduira de 15 milliards d'euros par mois ses interventions sur le marché.

À ce jour, la banque centrale américaine (Fed) a été la plus proactive puisqu'elle a remonté ses taux directeurs de 0,25% à 4,75%, soit huit hausses des taux depuis l'invasion ukrainienne. Plus récemment, si les dernières hausses de taux ont été d'une ampleur plus réduite, la Fed a toutefois conservé un ton ferme, en soulignant que ces moindres hausses ne signifiaient pas la fin du resserrement de la politique monétaire. L'institution américaine continue donc d'afficher sa volonté très claire de poursuivre la lutte contre l'inflation.

La Fed et la BCE se sont toutes deux engagées sur une trajectoire de resserrement rapide de leurs taux directeurs, mais à des rythmes différents. Dans sa croisade contre l'inflation, la Fed a été plus agressive que la BCE, et ce pour plusieurs raisons.

D'une part, l'environnement inflationniste aux États-Unis diffère de celui des pays de la zone euro. Outre-Atlantique, l'inflation est en baisse depuis juin 2022 et a atteint 6,5% en glissement annuel en décembre 2022. L'inflation sous-jacente - hors énergie et alimentation - a également diminué, passant de 6,0% à 5,7% en décembre 2022. L'inflation sous-jacente en zone euro, a, quant à elle, augmenté de 5,0% à 5,2% durant la même période.

L'inflation dans la zone euro a commencé à s'accélérer l'été dernier, grimpant de 2,2% à 8,6% entre juillet 2021 et juin 2022. Aux États-Unis, le processus s'est non seulement enclenché plus tôt, mais les augmentations de prix ont aussi été initialement plus prononcées, l'inflation ayant bondi de 1,4% en janvier 2021 à 8,6% en mai 2022.

Entre les deux continents, les dynamiques sous-jacentes de l'inflation divergent. Les pays de la zone euro ont subi un choc inflationniste de nature exogène, alors que l'inflation aux États-Unis est plutôt le résultat de la dynamique économique et des décisions politiques entrées en vigueur depuis la pandémie.

En outre, le Vieux Continent "est davantage impacté par l'inflation des prix de l'énergie, en raison de sa proximité et de sa dépendance historique au gaz russe", pointe Bernard Kepenne, économiste en chef chez CBC.

Roland Gillet, professeur d'économie financière à la Sorbonne et à l'ULB (Solvay), avance une clé de compréhension supplémentaire. "Aux États-Unis, dans le cadre de l'activation rapide de plans de relance robustes (d'abord sous Trump et ensuite Biden) et de la réouverture des économies post-covid, on a observé un fort excès de demande, ce qui n'a pas été le cas en Europe, où la composante énergétique de l'inflation prend une place prépondérante". Par ailleurs, Outre-Atlantique, "ces plans de relance très proactifs ont permis aux entreprises les plus solides ayant survécu à la crise sanitaire de regagner rapidement une grande compétitivité", analyse-t-il.

Selon Bernard Kepenne, la BCE a également tardé à opérer un tour de vis monétaire en prétendant que la flambée de l'inflation n'était que temporaire fin 2021. L'institut a longtemps persisté dans un "aveuglement" qui trouve son origine notamment dans la politique prônée par les "colombes" de la BCE, ces dernières préconisant le maintien d'une politique accommodante, que d'aucuns qualifieraient de "laxiste".

Par ailleurs, si un lien de causalité existe entre hausse des taux directeurs et hausse de l'inflation, la BCE doit composer avec une difficulté majeure: l'hétérogénéité des situations inflationnistes, des niveaux de dette et de taux d'emploi en zone euro. En outre, selon Roland Gillet, "l'absence de politique énergétique commune" rajoute une couche à l'hétérogénéité de la zone euro, en plus d'affecter l'économie européenne.

Avec la remontée de leurs taux directeurs, la BCE et la Fed ont entériné la fin de l'argent facile. Dopés aux taux bas et aux liquidités abondantes, les marchés financiers vont devoir apprendre à se passer progressivement de la manne monétaire créée par le "QE" (Quantitative easing - "assouplissement quantitatif", rachats massifs de dette par les banques centrales sur les marchés afin d'injecter des liquidités dans l'économie, NDLR). Une manne qui a permis de maintenir des conditions de financement très avantageuses pour les États de la zone euro. Les États devront désormais s'attendre à devoir se refinancer à un taux moyen plus élevé.

"Bien que la politique monétaire non conventionnelle de la BCE ait été indispensable pour soutenir l'économie réelle et aider les États les plus vulnérables, la voie de la normalisation était plus qu'indiquée pour les pays du Vieux Continent, qui vivaient depuis plus d'une décennie sous baxter monétaire", observe encore Roland Gillet, qui rappelle que cette mesure (assouplissement monétaire, NDLR) à la base exceptionnelle "est devenue pérenne, quasiment institutionnalisée". Et de rappeler le surendettement public qui fragilise les marges de manœuvre des États, "après des années d'argent facile".

La normalisation actuelle des politiques monétaires signe-t-elle le début d'une nouvelle ère, après une décennie de politique accommodante et expansionniste ? Selon Bernard Kepenne, économiste en chef chez CBC, il s'agit là d'un "retour à une certaine normalité". "Les taux négatifs appliqués dans le cadre des politiques accommodantes pénalisaient les épargnants et gonflaient les prix des actifs financiers et de l'immobilier", explique l'économiste.

L'économiste en chef de BNP Paribas, William De Vijlder, considère pour sa part que la guerre en Ukraine et la crise du coronavirus constituent deux chocs inflationnistes majeurs qui, ensemble, ont fait émerger un nouveau cycle de resserrement monétaire. Nous sommes bien entrés dans une "nouvelle ère", selon l'économiste, pour qui "l'époque des taux zéros ne reverra peut-être jamais le jour". L'inflation, durant l'année 2022, a été "d'une virulence que personne n'avait anticipé, et la lutte contre celle-ci nécessitera un effort conséquent et étalé dans le temps", ajoute-t-il.

Bernard Kepenne, tout comme William De Vijlder, estiment que les taux directeurs de la zone euro et des États-Unis atteindront leur apogée au deuxième trimestre 2023. Ces taux se maintiendraient ensuite pendant plusieurs mois afin de freiner la demande et ainsi la hausse des prix, avant un assouplissement monétaire au premier semestre 2024.

La prudence restera toutefois de mise. "Les banques centrales ne peuvent pas se permettre d'assouplir de manière agressive", explique William De Vijlder. "Une hausse des taux se reflète généralement dans l'économie après neuf à 12 mois". Les banquiers centraux jouent un "jeu d'équilibriste complexe", qui implique de prendre en compte les effets induits par l'inflation, à savoir, notamment, la capacité des entreprises à répercuter la hausse des taux sur leurs prix de vente et la sensibilité de la demande à la variation des prix, décrypte l'économiste.

D'après Roland Gillet, la zone euro pourrait échapper de peu à la récession, à condition que l'évolution des prix énergétiques soit favorable et que le dollar s'affaiblisse face à l'euro. "En revanche, une légère récession est probable, voire souhaitable Outre-Atlantique, afin de juguler la spirale inflationniste", conclut l'économiste.


Le taux d'emploi des réfugiés ukrainiens meilleur en Flandre qu'en Wallonie et à Bruxelles

Au cours des trois premiers trimestres de 2022, près de 30.000 réfugiés ukrainiens (29.859) sont arrivés en Belgique. Parmi eux, 5.177 ont trouvé du travail, soit 17%, ressort-il de données de l'office statistique Statbel et de la banque carrefour de la Sécurité sociale (BCSS) communiquées à l'agence Belga. Si l'on se concentre sur le niveau d'emploi par région, des disparités existent.

Ainsi, 2.407 réfugiés ukrainiens sur les 6.615 inscrits auprès du VDAB, l'office flamand de l'Emploi, ont trouvé du travail, ce qui représente 36% d'entre eux.

En Wallonie, 2.248 Ukrainiens étaient inscrits au Forem début février 2023, parmi lesquels 378 ont trouvé un job, soit 16%, indique à Belga un porte-parole de l'agence wallonne de l'emploi.

À Bruxelles, 2.601 personnes de nationalité ukrainienne se sont inscrites auprès d'Actiris depuis le mois de mars 2022 et 13,8% ont trouvé un emploi, notamment dans l'intérim, l'horeca et le commerce de gros et de détail. L'office de l'emploi bruxellois indique que ce chiffre est en constante augmentation.

Comme des milliers de ses compatriotes, Tatiana a fui la guerre déclenchée le 24 février dernier par la Russie. Arrivée fin août en Belgique, elle a depuis trouvé du travail et ne souhaite pas retourner en Ukraine. Sa chance ? Elle parle très bien le français, ce qui lui a permis de travailler en tant qu'interprète, à Bruxelles.

"Au tout début, j'appréhendais parce que je ne connaissais pas bien la ville, ni le fonctionnement des structures pour lesquelles je devrais traduire. Mais c'est le premier pas qui a été le plus difficile. J'ai rencontré beaucoup de gens aimables, qui m'ont soutenue. J'adore Bruxelles, sa multiculturalité. Et j'aime dire que c'est la ville de la gentillesse et des polyglottes", explique-t-elle.

Si elle travaille pour le SéTIS, le service d'interprétariat en milieu social, elle a également collaboré avec la délégation des psychiatres ukrainiens à Bruxelles, pour le compte du centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) au CHU Saint-Pierre. "C'était la traduction la plus difficile que j'ai jamais dû faire, surtout moralement", se confie-t-elle. "Il y a beaucoup de femmes ukrainiennes victimes de violences sexuelles dans les territoires occupés par les Russes."

Après plusieurs mois passés loin du champ de bataille, en compagnie de plusieurs membres de sa famille, Tatiana continue à aider son pays comme elle peut "en envoyant de l'argent et des colis". Cette guerre l'attriste toujours autant, mais elle ne voit plus son avenir et celui de ses enfants en Ukraine. "J'adore mon travail ici, mes collègues. Je me sens utile. C'est une vraie période d'épanouissement et de prospérité pour moi", déclare-t-elle.

Alors que sa soeur, médecin, ne peut quitter le pays, elle attend la fin de la guerre avec impatience et "prie Dieu que la guerre finisse le plus vite possible".

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