Le manga n’est plus seulement japonais [DOSSIER]
Européens, Français en tête, se lancent dans la création de mangas " locaux ". Et ça n’est pas sot, quand on sait qu’aujourd’hui, plus d’une bande dessinée achetée sur deux est précisément un manga.
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Publié le 04-02-2023 à 04h00 - Mis à jour le 04-02-2023 à 07h25
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En 2022, six des dix albums de bande dessinée les plus vendus auront été des mangas. Il y a là du One Piece, du Naruto ou encore du Spy Family. Il y a surtout là une tendance apparue massivement en 2021 et qui ne fait que se renforcer: aujourd’hui, plus d’une BD achetée sur deux (57% pour être précis) est un manga.
Rien de neuf sous le soleil de l’édition, en somme. Avec une petite nuance toutefois: alors que jusqu’alors, les éditeurs francophones se contentaient d’acheter les droits des licences japonaises pour offrir à leurs lecteurs des traductions de leurs "hits", ils se lancent désormais dans la création de mangas "locaux".
Un boum des contrats en 2021

Le Dreamland de Reno Lehaire et le Radiant de Tony Valente, des séries "made in France" toujours en cours, avaient joué les pionnières voici respectivement 16 et 9 ans. Mais sont rejointes, aujourd’hui, par des séries comme Oneira, Sweet Konkirete, Nova ou Wandering Soul, pour ne citer que quelques projets récents. "Depuis 10 ans, constate Senchiro, le dessinateur français de Sweet Konkrete, il y a eu beaucoup d’essais. Mais depuis 2020, on assiste à un véritable boum des contrats . Tous les éditeurs, et plus seulement les ‘‘petits’’, veulent leur label de mangas originaux." Chez Kana, où les licences ne représenteraient plus "que" 90% de la production, ce sont par exemple quatre séries qui auront été lancées en 2022. Un record.
Pourquoi cette tendance se marque-t-elle maintenant ? Pour Cab, le scénariste d’ Oneira, c’est d’abord une question de… digestion. "Nous avons tous entre 30 et 40 ans et avons grandi à la même époque, en regardant les mêmes animés et en lisant les mêmes mangas. Après quoi nous avons eu le temps d’en digérer les codes."

Le lectorat, d’abord réticent, a fini par adhérer à la démarche, lui aussi: " Avant, estime Timothée Guédon, directeur éditorial chez Kana, le lecteur hésitait à faire confiance à un mangaka non-Japonais. C’est pour ça que certains auteurs ont parfois pris des pseudos qui ‘‘sonnaient’’ japonais. Ces freins existent moins aujourd’hui. "Difficile, toutefois, de rivaliser avec les franchises japonaises, sorties de studios surpeuplés et qui bénéficient de prépublications très lues, quand les mangakas européens travaillent seuls," parce que nous n’avons pas les moyens de leur payer des assistants ", reconnaît Timothée Guédon.
Ceci explique en partie pourquoi les tirages des mangas européens les plus populaires, quoique nettement à la hausse, ne dépassent pas encore la barre des 20 000 exemplaires. "Mais il n’y a pas longtemps, insiste, Senchiro, on plafonnait encore à 2 000 ou 3 000 ". On se heurtait, aussi, au "plafond de verre" du troisième tome, celui après lequel les éditeurs, aussi volontaristes soient-ils, tiraient l’échelle, faute d’un nombre suffisant de lecteurs.
Ne pas chercher à « faire » japonais
Plus chère que la simple traduction, la production de mangas propres possède aussi ses avantages: pas besoin, par exemple, de négocier avec les ayant droit japonais (et souvent tatillons) d’une franchise à succès. Ce qui permet, selon Cab, "de prendre davantage de risques, aussi, au niveau des scénarios". Et d’offrir une patine plus européenne aux décors et personnages: "Dreamland, par exemple, se passe à Montpellier. La plus grosse erreur serait de vouloir faire du Japonais car le lectorat auquel on s’adresse ne l’est pas. Il vaut mieux utiliser les codes et la grammaire du manga à travers une culture et un univers qui lui est plus familier", conclut Cab.
PORTRAIT | Savo, mangaka liégeoise (vidéo)