Insultes en ligne : la force de l’effet de meute
Christophe Collignon a été traité de " Crapule sans valeur ", Jean-Marc Franco de " menteur " et Christian Glaude de " beau salo ". L’insulte se généralise. Analyse par une linguiste, membre du groupe international Draine, qui étudie le discours de haine.
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Publié le 02-02-2023 à 06h40
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Les élus sont fatigués des insultes en ligne. Est-ce un phénomène nouveau ? "L’injure depuis la nuit des temps s’appuie sus la stigmatisation et la discrimination, explique Laurence Rosier, spécialiste de l’analyse de discours. On retrouve donc des insultes qui perdurent à travers les siècles, comme “salope”, par exemple."
Ce qui a évolué, selon la linguiste, c’est d’une part son mode de diffusion, de propagation et de visibilité, en raison du développement numérique. "Ce ne sont plus seulement des mots, ça peut être des images, toute une série de pratiques, comme le dévoilement des correspondances ou des informations personnelles. Cela va alors au-delà de l’insulte, c’est une forme de violence qui va jusqu’au discours de haine. Je travaille avec le groupe international Draine. Avec ce groupe, on essaie de voir comment à un moment, un seuil est franchi. Dans le cas de Greta Thunberg, qui reçoit énormément d’insultes, qu’est-ce qui fait qu’on passe de “petite conne, tu devrais aller à l’école” à “nympho du climat” et “on devrait la brûler”. Internet nous permet d’observer des montées en tension et des effets de meute – quand une personne commence et que d’autres viennent à la suite."
Laurence Rosier estime que le net entraîne une "déréalisation": "Il y a des gens qui “ne se rendent pas compte”. Ils estiment être dans un registre humoristique, et ne voient pas le côté blessant et l’effet d’augmentation. Car on peut recevoir un SMS avec des insultes, ainsi qu’un message qui dit “Je sais où tu habites” ou des photos trafiquées où vous êtes défiguré, cette addition fait effet de harcèlement."
Une société plus violente aujourd’hui ?
"Il y a une partie d’anonymat sur internet qui rend la violence plus facile ", dit Laurence Rosier. Mais pour elle, l’agressivité vient aussi de la dureté du monde, qui "ne rend pas les gens bons".
Elle ne pense pas qu’il s’agisse d’une plus grande susceptibilité. "On a toujours dû faire attention à ce qu’on disait: il y a des règles de politesse, des convenances… Mais sur internet, on dit n’importe quoi et sous n’importe quelle forme. Et même les hommes et femmes politiques. La conséquence, c’est qu’il n’y a plus d’éthique langagière. On se dit: “Si Trump parle d’attraper les femmes par la chatte, alors je peux aussi dire ce genre de chose.” Il y a une forme de mimétisme de la violence."
Les minorités en ligne de mire.
Il y a quelques mois, l’écologiste française, Sandrine Rousseau avait été traitée de "Greta Thunberg ménopausée" par un chroniqueur de CNews. La Pr Rosier n’en est pas étonnée: "Les insultes à l’égard des femmes sont presque toujours axées sur sa sexualité ou sa non-sexualité. Il y a des insultes très très genrées. Je mets dans le même sac toutes les insultes adressées à la communauté LGBTQIA +, l’homophobie, la transphobie, qui sont aussi des modèles où la personne échappe à un modèle hétéronormé… Et ça dérange. On pardonne beaucoup moins l’incompétence d’une femme politique, et l’attaque porte tout de suite en dessous de la ceinture. Depuis que les femmes sortent dans l’espace public, depuis des siècles, elles sont victimes de violence. La violence à l’égard des femmes publiques est une forme de rappel à l’ordre. "