« Les amis de Spirou » - Ces autres enfants de la Résistance
Jean-David Morvan et David Evrard font revivre les " Amis de Spirou " et Jean Doisy, le premier rédacteur en chef du journal Spirou, dans une série patrimoniale sur fond de deuxième guerre mondiale.
Publié le 24-01-2023 à 12h41 - Mis à jour le 24-01-2023 à 12h43
C’est à une drôle d’époque que nous ramène Les amis de Spirou, la nouvelle série des éditions Dupuis. Une époque où les croix gammées flottaient sur l’Europe, jusqu’à Marcinelle. Une époque, aussi, où des enfants pouvaient mourir pour leurs idéaux.
Nous sommes en 1943. Et pour Flup et ses amis, c’est la catastrophe: l’occupant allemand a décidé d’interdire la parution du journal Spirou, coupable de n’être pas assez collaborationniste à ses yeux. Qu’à cela ne tienne: inspirés par les neuf commandements des "Amis de Spirou", un club créé quelques années auparavant par son officieux rédacteur en chef Jean Doisy, les six compères vont lancer leur propre magazine satirique… et anti-nazi.

Un engagement que deux d’entre eux paieront de leur vie, sans que l’on sache encore de qui il s’agira – suspense un peu morbide s’il en est. Ce double deuil, Jean Doisy l’a porté jusqu’à la fin de sa vie, en 1955. Et relaté dans une lettre émouvante publiée peu de temps après la guerre dans un exemplaire du Moustique – et reproduite à la fin de ce premier volet.
"Cette lettre aura été le moteur de la série, assure Jean-David Morvan. Le scénariste de celle-ci. On y ressent à la fois fierté et tristesse. Fierté de voir comment ces gamins ont intégré le code d’honneur des ‘‘Amis de Spirou ” jusqu’à s’engager au sein de la Résistance ; mais aussi la tristesse de constater que certains en sont morts. "
Je ne voulais pas donner l’impression qu’on faisait une pub géante pour Dupuis
Lui-même résistant notoire (voir ci-contre), Doisy devait être le sujet de l’album. Il est finalement devenu l’indispensable fil rouge d’une série qui devrait connaître plusieurs volumes, peut-être jusqu’à neuf… soit autant que les fameux commandements des "ADS".
Lesquels enjoignaient notamment ses membres – 60 000 en 1944, près de 80 000 deux ans plus tard – à être "francs et droits", à aimer "la discipline libre et joyeuse", à être les amis "de tous, mais surtout des faibles " ou encore à être "fidèles à Dieu et à leur pays ". Chose plutôt amusante quand on sait que, par ailleurs communiste et employé des très catholiques éditions Dupuis, Jean Doisy était aussi un authentique "bouffeur de curés".

"Mais, précise Morvan, ainsi que me l’a souvent dit Madeleine Riffaud (NDLR: grande figure de la Résistance française qu’il a racontée dans une autre BD, Madeleine Résistante), toutes les idéologies, politiques comme religieuses, ont participé à la Résistance, en dépassant leurs différences. D’ailleurs, au fond, si tout sépare les cathos des communistes, il faut constater qu’au départ, l’idée est la même: aider les plus démunis."
Le combat mené d’abord un peu naïvement, puis plus tragiquement, par cette bande de gosses a donc une portée universelle. Et plus moderne qu’il n’y paraît. "Je n’avais pas fait le parallèle jusqu’alors, mais les Amis de Spirou devaient se choisir un pseudo parmi les personnages du journal. Un peu comme les jeunes qui, aujourd’hui, choisissent un personnage de manga pour pseudo sur des forums. Il y a là une vraie filiation à mes yeux", dit encore un auteur arrivé à pleine maturité et de retour chez Dupuis… 15 ans après en avoir été viré alors qu’il s’occupait des scénarios de Spirou et Fantasio.
Difficile, dès lors, de l’accuser de vouloir faire la promotion de l’éditeur marcinellois avec cette série: "Je ne voulais pas qu’on donne l’impression qu’on faisait une super-pub à Dupuis, un bouquin promotionnel pour leur permettre de dire ‘‘Nous, on a fait de la Résistance, on est super-forts ”. Cette histoire va bien au-delà de ça."
« Les amis de Spirou », tome 1: « Un ami de Spirou est franc et droit… », Morvan/Evrard, 72 p., 15.50 €.